Les experts ont été confondus une fois de plus. La dernière
course à la présidence aux États-Unis a été marquée par une rhétorique d'une
rare violence et du « Eux et Nous ». Malgré les casseroles que le candidat élu Donald
J. Trump traînait, la population américaine a tranché et elle l'a non seulement
élu comme 47e président des États-Unis, mais, cerise sur le gâteau, elle
lui a donné pour la première fois la pluralité des voix au vote populaire. Dans
les prochaines semaines et les prochains mois, experts, commentateurs et
sondeurs feront l'exégèse de cette campagne pour expliquer les motifs de la
victoire de l'improbable Donald Trump. Trêve d'analyse, deux constats
s'imposent à nous. Le premier est que Trump a gagné haut la main, cela n'a même
pas été serré. Le second, c'est que les démocraties libérales et l'économie
canadienne doivent se préparer à passer au travers d'un long hiver glacé. Que
signifie l'élection de Donald Trump pour les démocraties libérales et l'économie
canadienne ? Tentative d'explications.
Le contexte politique
américain
Pour comprendre les conséquences potentielles de l'élection
de Donald Trump, il est utile de se pencher sur le contexte politique
américain. Les États-Unis sont à un tournant de leur histoire, avec des
débats enflammés sur des questions telles que l'économie, la justice sociale,
le changement climatique et les droits civiques. La gestion de la pandémie de
COVID-19 et de ses répercussions sur la santé publique et l'économie continuent
à influencer les perceptions des électeurs. De plus, les tensions
géopolitiques, notamment en rapport avec la Chine et la Russie, ajoutent une
couche de complexité aux priorités électorales des citoyennes et des citoyens.
Sans oublier les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine. Ce qui a marqué
l'esprit de nos voisins américains, c'est la hausse du coût de la vie et ses
manifestations dans le prix de l'épicerie et de l'essence. Des sondages
réalisés à la sortie des bureaux de scrutin ont bien démontré que les gens
étaient défavorables à l'administration Biden et inquiets pour leur avenir
économique. Cela s'est manifesté bruyamment dans les votes exprimés, notamment
dans les États pivots et le mur bleu du nord-est de l'Amérique.
Donald Trump, le génie politique
On peut
bien ne pas aimer Donald Trump avec raison, mais il faut être d'une
malhonnêteté crasse pour ne pas reconnaître son génie politique et sa capacité
peu commune de lire l'opinion publique. Malgré ses outrances, il réussit comme
nul autre à saisir l'humeur du temps et à rassembler les gens autour de sa
rhétorique. Trump est une véritable bête médiatique, unique dans l'histoire
politique américaine. Il a bien joué de son pouvoir au cours de la dernière
campagne électorale.
Donald
Trump a su saisir un sentiment d'insatisfaction face à l'establishment politique traditionnel. Son message populiste et
antisystème lui a permis de rassembler un large éventail d'électeurs, en
particulier dans les États ruraux et ceux touchés par la désindustrialisation.
Il a même réussi le tour de force de rejoindre des clientèles qui ne votaient
pas habituellement : les jeunes hommes imprégnés de culture masculiniste et des
électeurs afro-américains et des latinos. Il a réédité en quelque sorte 2016 en
allant chercher un soutien significatif parmi les blancs non diplômés, les
travailleurs de la classe ouvrière et une partie croissante de la communauté
hispanique.
Et qu'arrivera-t-il maintenant ?
La victoire
de l'élection par Donald Trump signifie qu'il a réussi son pari de canaliser
les mécontentements existants vis-à-vis de l'administration Biden, notamment
sur des questions économiques comme l'inflation, la frontière et la gestion de
la criminalité. Ce succès de Trump dans les urnes ne sera pas sans
conséquences, comme je l'écrivais au début de cette chronique, pour les
démocraties occidentales et pour l'économie canadienne. Ajoutons que la
propension de Trump à s'entourer de gens de droite et d'extrême droite n'est
guère rassurante pour celles et ceux qui croient en un État de droit et au
respect des institutions. Il s'agit de voir qui étaient les personnes invitées
de Trump à Mar-a-Lago le 5 novembre dernier pour s'en convaincre.
Les positions de Trump
exprimées durant la dernière campagne électorale sur la politique étrangère
américaine, notamment sur les conflits à Gaza et en Ukraine, ont de quoi faire
perdre le sommeil à bien des dirigeants politiques occidentaux en Europe. On
est impatient de voir quelles solutions il avancera pour résoudre le conflit
entre la Russie de son bon ami Poutine et l'Ukraine en 24 heures. Même
chose sur les libertés d'action qu'il accordera à un autre de ses bons amis,
Benyamin Nétanyahou, pour faire le
ménage à Gaza, au Liban et pour combattre le régime iranien. Cela ne sera pas
sans conséquences pour l'équilibre politique sur la scène internationale.
L'Europe sera victime de cette volonté politique trumpienne sur la scène
internationale.
En ce qui concerne le Canada, nous ne pouvons
qu'être inquiets de la volonté de Trump d'imposer des tarifs d'un minimum de
10 % pour tous les biens exportés en sol américain. Cette volonté
politique assortie de la volonté déjà exprimée de renégocier l'Accord de
libre-échange États-Unis, Mexique, Canada (ACEUM) justifie les efforts mis en
place par le gouvernement du Canada pour nouer le dialogue avec Trump et les
membres de son équipe rapprochée. Le Québec et le Canada sont fortement
dépendants de ses liens économiques avec les États-Unis. On y exporte, selon
les chiffres de 2022, pour une valeur de 960,9 milliards de dollars, ce
qui représente 63,4 % de l'ensemble du commerce international du Canada
qui s'élève à 1,5 milliard de dollars. Sans compter l'importance de
l'investissement des États-Unis au Canada qui correspond à la moitié de
l'ensemble de l'investissement direct au Canada. On ne peut pas en sortir, nous
devons préserver comme la prunelle de nos yeux notre relation avec notre voisin
américain.
Ce ne sera pas facile. Par exemple, la volonté
affirmée de Donald Trump d'expulser plus de 10 millions d'immigrants de
son pays, la plus grande déportation de l'histoire du monde, ne pourra
qu'entraîner des répercussions sur la frontière canadienne. L'immigration fait
déjà débat chez nous, il n'est pas opportun d'en ajouter une couche. Je ne suis
pas certain qu'il sera à propos que notre premier ministre Justin Trudeau
répète que le Canada sera la terre d'accueil de cette population migrante qui
sera expulsée des États-Unis. Cela pourrait devenir un irritant majeur des
relations avec le régime Trump pour notre pays.
Les
États-Unis ont choisi leur chemin...
Au bout du compte, le choix de Trump par les Américains ne sera pas sans
conséquences pour nous Canadiens, notamment dans le dossier de l'économie et de
l'immigration. Il sera aussi très dommageable pour les démocraties libérales
dans le monde occidental. C'est ce qui me faisait écrire au début de cette
chronique que les démocraties occidentales et l'économie canadienne doivent se
préparer à passer un long hiver.
Pour finir, la compétition entre
Trump et Harris durant la dernière élection ne peut mieux résumer le temps
d'une campagne les tensions et les aspirations d'un pays à la croisée des
chemins, où chaque voix mobilisée participera à titre de caution et de
légitimation à la définition de l'Amérique de demain. Nous avons peu à dire,
nous, Canadiens et Québécois, à ce sujet, même si cela affectera nos vies au
quotidien. Trump, c'est connu, c'est un joueur de Monopoly, un bâtisseur et
cette fois, il a joué et gagné sur toute la ligne et en prime, il a pigé une
carte sortie de prison...