Incroyable parcours du Canadien de Montréal dans la dernière
saison régulière de la Ligue nationale de hockey (NHL). Une équipe résiliente,
improbable qui contre toute attente a réussi à se tailler la toute dernière
place dans les séries à son dernier match de la saison. On ne peut être
insensible au formidable parcours de l'équipe de Martin St-Louis durant cette
dernière année. Peu d'observateurs donnaient une chance au Canadien de
participer aux séries, moi le premier. Cela mérite donc d'être souligné à
grands traits dans l'une de mes chroniques. Chapeau au Canadien de Montréal !
Le Canadien de
Montréal, une institution...
Le Canadien de Montréal n'est pas seulement une équipe de
hockey. C'est une institution, un symbole culturel et identitaire profondément
enraciné dans l'histoire et la mémoire collective du Québec. Depuis sa
fondation en 1909, le club a joué un rôle bien plus grand que celui de
représenter Montréal dans la Ligue nationale de hockey (LNH) : il est devenu un
vecteur de fierté francophone, un miroir des tensions sociopolitiques du Québec
et un pilier de la culture populaire. Cet attachement viscéral entre le
Canadien et le peuple québécois transcende le sport et s'inscrit dans une riche
tradition façonnée par l'histoire, la langue, les luttes identitaires et le
rêve collectif.
Le Canadien de Montréal a été fondé avec une mission bien
particulière : représenter la population francophone dans un sport dominé par
les anglophones. À une époque où le Québec était marqué par des tensions
linguistiques et sociales, le Canadien s'est vite imposé comme le club du
peuple. Le fait qu'il ait été créé pour donner une voix aux joueurs
francophones et aux partisans québécois dans la LNH a contribué à forger une
relation spéciale, teintée de fierté et d'attachement identitaire.
Alors que les anglophones contrôlaient largement les
institutions économiques et politiques au début du XXe siècle, le Canadien est
devenu un espace symbolique où les francophones pouvaient exceller et être
célébrés. Les victoires sur la glace devenaient, par ricochet, des victoires
pour une communauté cherchant à affirmer son identité et à se faire respecter.
Les légendes...
La tradition du Canadien est riche de noms légendaires qui résonnent
encore avec émotion dans tout le Québec. Maurice « Rocket » Richard, figure
emblématique du club, incarne à lui seul cette connexion unique entre le hockey
et la fierté francophone. Plus qu'un joueur, il est devenu un héros populaire,
voire un mythe.
Le célèbre « Richard Riot » de 1955, survenu après la
suspension controversée de Maurice Richard, dépasse le cadre sportif : il
s'inscrit dans l'histoire sociale du Québec comme un prélude à la Révolution
tranquille. Pour de nombreux Québécois, la suspension du Rocket fut perçue
comme un affront à toute une nation francophone. La révolte populaire qui a
suivi est souvent interprétée comme une expression de la colère accumulée
devant l'injustice, l'inégalité et la domination anglophone.
D'autres joueurs comme Jean Béliveau, Guy Lafleur, Yvan
Cournoyer ou Patrick Roy ont également marqué de façon indélébile la mémoire
collective du Québec. Ces athlètes n'étaient pas que des champions : ils
étaient des modèles, des sources d'inspiration et des figures culturelles. Cela
a fait en sorte que le Canadien de Montréal est plus qu'une équipe de hockey au
Québec, mais un important vecteur de l'identité et de la culture populaire
québécoise.
Le Canadien comme
pilier de la culture populaire québécoise
Le hockey, et en particulier le Canadien, occupe une place
de choix dans la culture populaire du Québec. Des générations entières ont
grandi au rythme des saisons de hockey, avec les voix inimitables de René
Lecavalier ou de Richard Garneau à la télévision. Le samedi soir, c'était
presque une religion : les familles se rassemblaient autour du poste pour
écouter la Sainte-Flanelle.
Cette tradition s'est aussi exprimée par la littérature, le
cinéma, la musique et même l'humour. Des auteurs comme Roch Carrier, avec son
célèbre conte Le chandail de hockey, ont immortalisé la place du Canadien dans
le cœur des Québécois. Ce récit illustre parfaitement l'importance quasi sacrée
que revêtait le club pour les enfants francophones et la pression sociale
autour de l'appartenance à l'équipe.
Dans les chansons, les sketchs humoristiques, les publicités
et les références quotidiennes, le Canadien est omniprésent. Il n'est pas rare
de dire que le Canadien est « la religion d'un peuple sans religion ». Ce n'est
pas seulement une formule : cela traduit un attachement affectif et identitaire
profond.
Durant la Révolution tranquille des années 1960 et 1970,
alors que le Québec entrait dans une ère de modernisation, de laïcisation et
d'affirmation nationale, le Canadien restait un des rares symboles qui unifiait
toutes les couches de la société. À une époque où les institutions religieuses
perdaient de leur pouvoir et où la société québécoise redéfinissait ses
repères, le club de hockey continuait à jouer un rôle central dans l'imaginaire
collectif.
La domination du Canadien durant cette période - avec 10
Coupes Stanley entre 1965 et 1979 - coïncidait avec une montée de la confiance
et de la fierté nationale. À bien des égards, les succès du club symbolisaient
les aspirations du peuple québécois à prendre sa place et à rayonner sur la
scène internationale.
1993, puis le déclin...
Depuis la dernière conquête de la Coupe Stanley en 1993, le
Canadien n'a pas retrouvé la même gloire. Ce déclin sportif a coïncidé avec des
changements sociaux, démographiques et économiques importants au Québec. Le
club n'est plus exclusivement composé de joueurs québécois, et il est parfois
critiqué pour avoir perdu son âme ou son identité francophone.
Cela dit, l'attachement demeure. Les partisans continuent de
suivre l'équipe avec passion, même dans les années difficiles. Le mythe est
entretenu, la nostalgie est forte, et chaque lueur d'espoir rallume la flamme
d'un peuple qui rêve encore de grandeur.
La question de la représentation francophone dans l'équipe
fait régulièrement débat. Beaucoup déplorent la rareté des joueurs québécois
sur la glace, ou encore l'usage de l'anglais comme langue principale dans
l'organisation. Ces critiques ne font que démontrer l'importance symbolique que
continue d'avoir le Canadien : il ne s'agit pas seulement de gagner, mais de
représenter.
À l'ère de la mondialisation, du marketing sportif et de la
diversité, le Canadien de Montréal tente de concilier tradition et modernité.
Il continue de valoriser son histoire, ses légendes et son lien avec le peuple
québécois, tout en s'adaptant aux nouvelles réalités de la LNH.
Les cérémonies du Temple de la renommée du club, les
hommages aux anciens joueurs et la mise en valeur du passé glorieux témoignent
d'un effort pour maintenir vivante la tradition. Dans les médias, dans les
écoles, dans les rues, la Sainte-Flanelle garde une place à part.
De plus, dans un Québec où les débats identitaires restent
vifs, le Canadien demeure un rare espace de rassemblement, transcendant les clivages
politiques, linguistiques ou culturels. Il unit plutôt qu'il divise, il
rappelle ce qui rassemble dans un monde où l'individualisme est en croissance.
C'est pourquoi la victoire de mercredi contre les Hurricanes de la Caroline
donnant l'accès aux séries à nos Canadiens n'est pas banale, surtout dans un
contexte de crise larvée de l'économie et avec notre voisin du Sud.
Le Canadien, le
reflet de l'âme québécoise
La tradition du Canadien de Montréal est bien plus qu'un
palmarès ou une histoire de hockey. C'est une partie intégrante de l'âme
québécoise. Elle incarne des valeurs, des espoirs, des luttes et une fierté
collective. Bien que le club ait connu des hauts et des bas, son importance
symbolique demeure intacte. Il est le reflet de l'âme québécoise. Nous avons
deux grandes passions au Québec, la politique et le Canadien.
Le Canadien est une mémoire vivante, un héritage
intergénérationnel et un trait d'union entre le passé et l'avenir du Québec.
Qu'on le suive pour la passion du sport, par fidélité familiale ou par
sentiment identitaire, il reste au cœur de la culture québécoise. Et tant qu'il
y aura des enfants qui rêvent de porter le chandail bleu-blanc-rouge, la
tradition vivra. À l'unisson, nous serons tous dans les prochains jours à
nouveau bleu, blanc, rouge...