Les politiciens entrent à peine de vacances que le sujet de
l'immigration revient à l'avant-plan de l'actualité. Nous ne sommes pas si
originaux que cela. Le même lancinant débat fait rage dans la plupart des
démocraties occidentales. Près de nous, aux États-Unis d'Amérique, la campagne
de Trump y fait une large place avec les images d'illégaux meurtriers et
violeurs de femmes. Ce sang étranger qui vient contaminer le sang pur américain
dixit Donald Trump.
Chez nous, les propos sont plus modérés, à la façon
canadienne dirions-nous, nous sommes ouverts à accueillir des immigrants et des
réfugiés, mais nous avons des problèmes pour les loger, les éduquer et les
soigner. C'est le sens de la lettre de François Legault à Justin Trudeau. Paul
St-Pierre Plamondon, ce lettré populaire aux propos souvent insignifiants, ce
bellâtre prétentieux a pour ambition de mettre l'immigration au cœur de ses
préoccupations au cours de la prochaine session parlementaire. Je vous prédis
que derrière les belles intentions, le chef du PQ dira en substance la même
chose que Parizeau au soir du référendum perdu de 1995 ou encore de son allié
du Bloc qui estime que Montréal devient une ville étrangère au Québec. Que
faut-il voir dans ses propos si ce n'est une politique pour séduire un
électorat blanc conservateur, inquiet pour l'avenir de ses traditions ? Il faut
se retrancher chez Québec solidaire et au PLQ pour entendre des discours qui sur
l'immigration qui tranchent avec la xénophobie ambiante dans le discours
politique dominant tant chez les politiques que dans les médias. Il faut
pourtant en finir avec ce discours d'accablement des gens que nous accueillons
chez nous.
Nous ne pouvons pas nous attendrir à propos d'une photo d'un
jeune syrien mort sur une plage et, en même temps, tenir des discours qui font
des immigrants un problème alors qu'ils représentent la seule solution à notre
problème démographique, du déclin des naissances et du vieillissement de la
population. L'immigration ne devrait pas être un sujet de polarisation
politique, mais plutôt un chantier de construction de notre avenir. La crise du
logement quoi qu'en l'on en dise n'est pas le résultat de l'accueil de
réfugiés, de travailleurs temporaires ou d'immigrants, mais bien le résultat de
politiques publiques inadéquates en matière de logement. Le point sur une
question litigieuse : l'immigration.
L'immigration
au Québec
Hélas, le discours anti-immigration, avec ou sans fariboles,
n'est pas nouveau dans les propos politique québécois. Jadis, alors que Monique
Gagnon-Tremblay était ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration
sous le gouvernement de Robert Bourassa, de 1989 à 1994, elle avait proposé une
politique ambitieuse qui proposait à la fois l'établissement des immigrants
dans les régions notamment en Estrie, en Outaouais et à Québec tout en présentant
une politique d'interculturalisme. Cette politique s'accompagnait de
revendications du Québec sur les pleins pouvoirs en immigration qui n'ont pas
été obtenus même si nous avons acquis de nombreuses nouvelles prérogatives dans
l'entente McDougall-Gagnon-Tremblay qui était venue rafraîchir l'entente
Cullen-Couture au lendemain de l'échec de l'Accord du lac Meech. Cette avancée
politique majeure dans l'histoire politique du Québec demeure encore à ce jour
méconnue et le gouvernement actuel n'en utilise pas le plein potentiel.
Depuis toujours, notre histoire est
traversée par des épisodes peu glorieux envers les étrangers. Il faut rappeler
les conflits entre les francophones et les Irlandais au moment de la
construction du canal de Lachine au 19e siècle. Les épisodes
fratricides qui ont toujours accompagné chez nous notre haine de l'Anglais qui
perdure encore jusqu'à nous. Comment passer sous silence le mauvais sort que
nous avons réservé aux Juifs au moment de la Seconde Guerre mondiale ? Le
Québec n'était pas seul malheureusement, le gouvernement de Mackenzie King a
même refusé d'accueillir des Juifs fuyant l'Europe, un fait majeur de
l'important récit historique des historiens canadiens anglais Harold Troper et
Irving Abella sur la politique d'immigration restrictive du Canada envers les
réfugiés juifs pendant les années de l'holocauste. Un livre que je recommande à
tous : None is too many: Canada and the Jews of Europe 1933-1948.
Tout cela pour dire que ce n'est pas d'aujourd'hui que les
politiciens canadiens et québécois cultivent le ressentiment envers l'étranger,
c'est un trait non seulement de notre histoire, mais de l'histoire de
l'ensemble de la civilisation occidentale. Pas étonnant qu'un auteur comme
Albert Camus ait consacré toute son œuvre à dénoncer ce trait de civilisation.
Dans son célèbre roman L'étranger, Camus questionne la question de
l'altérité. Il cherche à nous faire comprendre notre relation avec l'étranger.
Camus et
l'altérité : pour réfléchir ensemble...
Dans son roman L'étranger, Camus
raconte l'absurdité du monde. Comment un homme normal peut-il être si peu
affecté de la mort de sa mère ? Dès les premières phrases de son roman, Albert
Camus donne le ton : « Ma mère est morte ». Le narrateur va bien aller à
la rencontre du corps de sa défunte, mais rien ne semble presser. Il hésite à
en parler et fait preuve de peu d'empathie pour la mort, sa
mère. En fait, Camus nous raconte la méchanceté du quotidien, la tendre
indifférence du monde et la folie des hommes. Il nous dit surtout que l'on n'a
pas le droit de sacrifier les certitudes du plus grand nombre pour qui il est
de bon aloi de pleurer sa mère. Dans le monde des hommes de Camus, il n'y a pas
de place pour ceux qui ne savent pas mentir ni pleurer.
En fait, le roman le plus célèbre de Camus nous amène à nous
interroger sur ce qu'est un étranger pour nous ? Que tenons-nous pour autres,
avec la charge de menace et d'inquiétude contenue dans le mot étranger ? Le mot
étranger doit-il rimer avec le mot danger ? L'étranger est-il le réfugié, le
migrant, l'ancien colonisé venu se venger de ses ancêtres sur son territoire
national ? L'étranger prend-il plutôt la forme d'un substrat dégradé de
nous-mêmes, le sans-abri, le pauvre, l'invisible ? L'étranger à nous-mêmes
n'est-il pas plutôt l'errant venu de loin menaçant les esprits intolérants et
frileux, gagnés par une obsession hygiéniste, qui jugent ces nouveaux arrivants
comme une menace autant à notre intégrité physique qu'à notre tissu social ?
Albert Camus a toujours été un rebelle, lucide et souvent
minoritaire pour les idées qu'il a émises. Il ne voulait que comprendre le
monde et nous aider, nous ses lecteurs, à mieux le comprendre. Les
enseignements que nous livre son roman le plus célèbre peuvent aider à notre
réflexion actuelle sur l'immigration et à nous poser les bonnes questions sur
nos attitudes et sur notre pseudo générosité envers l'accueil des autres.
Soyons des humains plutôt que de pâles Westphaliens...
Le traité de Westphalie signé en 1648 est à l'origine de la
naissance d'un nouvel ordre international qui fonde les États égaux en droit et
souverains de leurs frontières. Un ordre international qui doit être
requestionné aujourd'hui sous l'impulsion des changements climatiques qui
poussent de nombreuses populations à migrer vers des zones plus sécuritaires et
plus riches. Le mouvement global des populations sur la terre ne s'arrêtera pas
de sitôt. Voilà pourquoi c'est une mauvaise idée absolue de cultiver la peur de
l'Autre et de refuser de réfléchir comme humain sur l'avenir de l'humanité sur
une planète que nous tuons à petit feu chaque jour. Le repli sur soi
nationaliste comme nous le propose les Blanchet, St-Pierre Plamondon et Legault
de ce monde n'est pas la ligne politique à adopter. C'est plutôt Justin Trudeau
qui a raison dans ce débat. Moi je préfère de loin avoir tort avec Justin
Trudeau et Camus que d'avoir raison avec celles et ceux qui veulent le repli du
Québec sur soi-même avec les vieilles questions poussiéreuses de souveraineté.
Je suis d'accord, parlons en d'immigration...