On peut
donner de nombreuses définitions au mot voyou. C'est parfois un délinquant, une
personne peu recommandable, mais dans cette chronique, j'utiliserai le sens de
garnement mal élevé pour définir ce terme. C'est ce que m'inspire Pierre
Poilievre, le chef du Parti conservateur du Canada lorsque je l'entends. Je
suis d'accord avec Jean-François Lisée qui écrivait récemment sur le réseau
X : « Avec la normalisation de l'insulte, Pierre Poilievre tire le discours
politique canadien vers le bas. » Ce qui en soi est une fort mauvaise idée
lorsque l'on veut être le premier ministre du Canada. Heureusement qu'au
Québec, nous sommes vaccinés contre ce genre de discours politique que
généralement nous n'apprécions pas. Réflexion sur le phénomène Pierre
Poilievre.
Qui est Pierre Poilievre ?
Si je me fie
au propos d'Andrew Lawton qui a publié en mai dernier chez Southerland House, une
biographie du personnage sous le titre : Pierre Poilievre, A Political Life, Poilievre est une véritable bête
politique qui n'a jamais fait autre chose que de la politique dans sa vie
d'adulte. Il peut bien reprocher à Jagmeeth Singh de penser à sa pension plutôt
qu'aux Canadiens, mais comme je l'ai entendu sur les ondes de Radio-Canada, « il
sera impossible pour Poilievre de tenir un party de départ à la retraite avec
ses collègues puisqu'il sera le seul de sa cohorte. » N'empêche que nous l'aimions
ou pas, ce personnage politique au vocabulaire truffé d'insultes et qui a un
mépris pour les médias, il caracole bien loin devant les libéraux dans les
sondages et il semble inévitable que le Canada vive son moment Poilievre. Le
Québec risque de ne pas être de la fête, mais le Canada demeure tout de même
notre pays et nous devons nous intéresser à ce personnage politique qui
deviendra vraisemblablement le premier ministre du Canada lors des prochaines
élections.
Faire amende honorable :
Poilievre n'est pas un mini-Trump
Malgré mon aversion pour le personnage politique que
représente Poilievre et des valeurs qu'il promeut, je me dois de faire amende
honorable sur mes textes antérieurs. À plusieurs occasions, je l'ai qualifié de
mini-Trump. Ce n'est pas tout à fait exact.
L'émergence de Pierre Poilievre au sein de la scène politique canadienne a
suscité des comparaisons avec Donald Trump, l'ancien président des États-Unis.
Les deux hommes partagent des caractéristiques qui, à première vue, semblent
les rapprocher : un style de communication flamboyant, une rhétorique
populiste et une capacité à mobiliser des bases électorales passionnées.
Cependant, il serait simpliste de considérer Poilievre comme un simple mini-Trump,
car son parcours, ses idées et le contexte politique canadien dans lequel il
évolue nécessitent une analyse plus nuancée.
L'une des premières ressemblances entre Poilievre et Trump
réside dans leur préférence pour un style de communication directe et
décomplexée. Poilievre n'hésite pas à déclamer ses opinions avec force, que ce
soit sur les réseaux sociaux ou sur des scènes publiques. Cette approche séduit
de nombreux électeurs qui se sentent délaissés par le langage politique
traditionnel, souvent perçu comme trop technique et éloigné des préoccupations
quotidiennes.
Cependant, alors que Trump misait sur des slogans
accrocheurs et un discours émotionnellement chargé, Poilievre semble s'orienter
vers une rhétorique plus axée sur les enjeux économiques. En critiquant l'inflation
et en mettant l'accent sur la nécessité de réduire les impôts, il s'efforce de
se présenter comme le champion des Canadiens ordinaires, tout en empruntant les
techniques de marketing politique qui ont fait le succès de Trump.
Bien que Poilievre exhibe certains traits communs avec
Trump, plusieurs éléments différencient les deux hommes. D'abord, leur parcours
politique ne peut pas être comparé. Pierre Poilievre a fait ses armes au sein
du Parti conservateur du Canada, occupant divers postes ministériels avant de
devenir chef du parti. À l'inverse, Trump est d'abord un homme d'affaires et un
outsider qui n'avait aucune expérience politique avant de se présenter
en 2016. Cette différence dans le parcours peut influencer leurs visions et leurs
approches respectives des politiques publiques.
De plus, le contexte politique canadien et américain diffère
grandement. Alors que Trump a réussi à galvaniser une base électorale enracinée
dans un mécontentement face aux élites politiques et médiatiques, le Canada
présente une culture politique plus centriste, où les électeurs ont tendance à
privilégier des discours modérés. Pierre Poilievre doit donc naviguer dans un
paysage où les divisions idéologiques ne sont pas aussi marquées qu'aux
États-Unis.
Les enjeux de la Politique canadienne
Un autre aspect à considérer est le type d'enjeux politiques
auxquels Poilievre tente de répondre. Tandis que Trump se concentrait sur des
thématiques telles que l'immigration, le nationalisme et le protectionnisme
économique, Poilievre se focalise sur des problèmes qui touchent directement le
quotidien des Canadiens. L'inflation, la crise du logement et le coût de la vie
sont des sujets qui occupent une place centrale dans son discours. En partie,
cela peut être attribué à une différence dans les préoccupations des
électorats, les Canadiens étant généralement plus sensibles à la gouvernance
économique et sociale.
Au-delà de la politique économique, Poilievre a également
fait appel à des valeurs conservatrices traditionnelles, cherchant à renouer
avec une base plus large tout en restant fidèle aux principes du parti. Cela
indique une stratégie politique différente de celle de Trump, qui a souvent
vilipendé les institutions et les conventions établies par son comportement
anti-establishment.
L'influence des Médias sociaux
Un autre point de similarité réside dans l'utilisation
stratégique des médias sociaux. Tout comme Trump, Poilievre utilise Internet
pour contourner les médias traditionnels et atteindre directement les
électeurs. Cette technique lui permet de présenter sa version des faits sans
filtre et de mobiliser ses partisans autour de sa cause. Néanmoins, bien que
les médias sociaux aient eu un rôle crucial dans l'ascension de Trump, leur
impact au Canada pourrait être relativement limité par le contraste des
réalités socioculturelles et médiatiques.
Pas un mini-Trump, mais un voyou
politique
En fin de compte, bien que Pierre Poilievre présente
certaines caractéristiques similaires à celles de Donald Trump, notamment en
matière de style de communication et de capacité à toucher à des sentiments
populistes, il serait erroné de le réduire à un mini-Trump. Le contexte
politique canadien, les enjeux socio-économiques et son parcours personnel
sculptent une trajectoire différente. Pierre Poilievre incarne une certaine
frénésie politique au Canada, mais son avenir dans la scène politique dépendra
largement de sa capacité à se distinguer – tant des méthodes que des contenus –
par rapport à ses homologues américains.
Les électeurs canadiens finissent souvent par trancher sur
la base d'une multitude de facteurs, et Poilievre devra répondre à leurs
attentes tout en restant fidèle à une vision conservatrice qui pourrait le
départager de son homologue américain. En somme, son avenir politique repose
sur sa capacité à allier un discours populiste avec des propositions concrètes
et réalistes, qui répondent véritablement aux défis contemporains du Canada. Néanmoins,
sa propension à insulter ses adversaires politiques et afficher son mépris pour
les représentants des médias en font un cas à part dans l'histoire politique
canadienne. Si l'analyse sommaire, honnête et objective, oblige à renoncer à
faire de Pierre Poilievre un mini-Trump, il n'empêche que le fait qu'il soit un
véritable voyou politique résiste à l'analyse. Je me rétracte. Pierre Poilievre
n'est pas un mini-Trump, c'est un voyou politique...