Dans cinq jours, ce sera Noël. Un Noël marqué cette année par la
prise de position de la Commission des droits de la personne qui dans son
dernier rapport intitulé : « Document
de réflexion sur l'intolérance religieuse » affirme que
la discrimination à l'égard des minorités
religieuses au Canada est ancrée dans l'histoire du colonialisme. Cette
histoire se manifeste aujourd'hui par une discrimination religieuse systémique.
Un exemple évident est celui des jours fériés au Canada. L'un des jours visés
par ce rapport c'est bien entendu le jour de Noël. Plutôt que d'imaginer de jeunes enfants autour de l'arbre de Noël, les yeux en bonbon
trois couleurs, les sourires grands comme l'océan et d'y voir leur grande joie
de croire à la magie de Noël, la Commission nous invite à y voir les traces des
relents du colonialisme. On ne peut trouver mieux pour briser la magie.
En dépit de l'avis de ces sages, il me semble aviser de nous
interroger sur la question de l'existence du père Noël. ? Doit-on favoriser ou
non la croyance du phénomène père Noël ? La réponse à cette question appartient
à chaque parent, mais il n'y a pas à en sortir, la magie de Noël fait partie de
notre culture. Chose certaine, nous pouvons suivre à la trace la création et
les diverses métamorphoses de ce personnage dans notre imaginaire collectif.
Le miracle de la 34e rue
Le gros bonhomme de rouge et de blanc avec sa barbe
blanche et sa poche de cadeaux sur son traîneau tiré par des rênes est la
représentation achevée du père Noël qui a été largement mise à contribution par
les marchands et scénarisée dans les plus grands films hollywoodiens. Qui ne se
rappelle pas le célèbre film Le miracle de la 34e rue qui
a été produit en 1947 par le réalisateur George Seaton et qui a gagné trois
Oscars. Un film qui met en vedette un père Noël Kris Kringle, gentil vieillard,
qui doit débattre dans un procès de la preuve de son existence contre de
méchants marchands de jouets. Le père Noël, rassurez-vous, sortira gagnant de
ce procès. Une fois encore Hollywood permettra le triomphe du bien contre le
mal. Le méchant marchand ne triomphera pas de l'esprit charitable de Noël. Mais
est-ce bien là la vérité ?
Un Noël chrétien,
vraiment ?
Souvent, on veut croire que le père Noël est issu de
la tradition chrétienne et que lentement au cours des dernières années, la
méchante société de consommation que nous sommes devenues a travesti le sens de
Noël et en a fait une vulgaire fête commerciale. Est-ce là toute la vérité que
nous enseigne l'histoire ? Non. Le père Noël n'a peut-être pas été inventé par
Coca-Cola comme le veut cette fausse vérité largement répandue par les services
markéting de cette multinationale américaine, mais il n'en fut pas moins
inventé par les marchands qui, à l'approche de ces festivités annuelles,
voulaient multiplier leurs possibilités de profit.
Coca-Cola et le père
Noël
C'est une légende urbaine de croire que le père Noël
a été inventé par Coca-Cola. Il est vrai cependant qu'en 1931, Coca-Cola voyant
ses ventes de boissons gazeuses déclinées fortement durant la période hivernale
a eu l'idée d'associer son produit à un symbole mondialement connu et
immédiatement reconnu : le père Noël. Coca-Cola voulant créer un buzz
publicitaire a fait appel à Haddon Sundblom pour lui demander de dessiner un
vieux bonhomme en train de boire du Coca-Cola pour reprendre des forces pendant
la distribution de cadeaux. Le célèbre dessinateur l'habilla aux couleurs du
produit : rouge et blanc.
L'image du père Noël était désormais fixée dans
l'imaginaire nord-américain grâce à la puissance markéting de la multinationale
américaine. Il faut dire cependant que Coca-Cola s'appuyait sur un terreau déjà
fertile, le vieux bonhomme Saint-Nicolas avait déjà de la notoriété. Cela a
fait que certaines voix catholiques, d'où provient la tradition de Saint-Nicolas,
se firent entendre pour dénoncer l'envahissement de cette nouvelle figure qui
venait porter ombrage à la naissance du petit Jésus. Même si certains allèrent
brûler l'effigie du nouveau père Noël, Coca-Cola a réussi à imposer sa nouvelle
figure emblématique. C'est sur cela que s'appuie la légende urbaine que
Coca-Cola aurait inventée l'actuel père Noël. Pourtant, ce personnage de
l'imaginaire de tous les enfants avait déjà acquis sous diverses formes et
diverses représentations une très grande notoriété partout dans le monde
occidental.
De Sinter
Klaas à Santa Claus...
Au Moyen Âge, l'Église cherchait à remplacer les
figures païennes par des saints. Ainsi l'évêque de Myre, Nicolas de Myre,
un personnage qui a vécu au IVe siècle au sud de la Turquie
actuelle devient Santa Claus, personnage qui distribue anonymement
nourriture et cadeaux aux pauvres et aux familles modestes pendant la nuit. Au
XIe siècle, au moment des croisades, sa dépouille est volée.
Des légendes autour de ce personnage naîtront ainsi à Lorraine en France, à
Bari en Italie, où on attribuera des miracles à ce personnage mythique et il
deviendra un personnage semi-laïc après la Réforme aux Pays-Bas, Sinter
Klaas. C'est à partir de ce personnage que nous retrouverons par la suite
le Santa Claus popularisé au Royaume-Uni et aux États-Unis, à
New York plus précisément, qui avait des liens privilégiés avec les Hollandais.
De l'Europe aux
États-Unis...
Le Noël de Charles
Dickens
Dans le Royaume-Uni, on doit à l'auteur anglais
Charles Dickens le passage de Saint-Nicolas au père Noël grâce à ses Livres
de Noël. En Hollande, le père Noël prenait forme sous les traits de Sinter
Klaas. En France, il aura fallu attendre à la fin de la Deuxième Guerre
mondiale pour que le père Noël tel que nous le connaissons aujourd'hui
parvienne à s'imposer même si sa figure était largement connue, mais faisait
l'objet de résistance. Les Français préférant continuer à s'offrir de petits
présents sous l'égide de Saint-Nicolas, figure plus compatible avec les valeurs
chrétiennes et catholiques de ce pays.
Le père Noël de New
York
Aux États-Unis, un père Noël différent de la
représentation que nous nous en faisons aujourd'hui est apparu au même moment
qu'au Royaume-Uni, soit vers 1860, alors que le journal new-yorkais Harper's
Weekly représente Santa Claus vêtu d'un costume orné
de fourrures blanches et d'une large ceinture de cuir noir. C'est
l'illustrateur et caricaturiste, Thomas Nast, qui pendant près de trente ans
dessina tous les aspects de la légende de Santa Claus et donna
à ce personnage mythique ses principales caractéristiques visuelles :
petit bonhomme rond vêtu à ses débuts d'une houppelande en fourrure de couleur
rouge. C'est aussi lui qui a établi le lieu de résidence du père Noël au pôle
Nord. C'est à partir de cette représentation que l'illustrateur réputé a fait
la fortune de Coca-Cola dans ses efforts de création d'un buzz publicitaire
majeur et que la figure actuelle du père Noël tout vêtu de rouge et de blanc
s'est imposée comme étant le vrai père Noël. Au Québec, le personnage a vécu
une trajectoire similaire.
Le père Noël de la
société distincte
Le Québec ne fait pas figure d'exception et chez
nous aussi Saint-Nicolas s'est transformé en père Noël. Trop souvent, on entend
dire faussement que ces dernières années on a travesti nos Noëls d'antan par
une commercialisation à outrance. Au milieu du 19e siècle, en
1843, la publication Mélanges religieux de Mgr Ignace Bourget
publie des vers sous le titre Cette nuit de bonheur n'a plus de poésie :
« Noël, mais ce n'est plus la fête universelle, que notre cœur d'enfant
regrette et se rappelle, ce n'est plus ce beau jour si désiré de tous, où nul
n'aurait manqué son pieux rendez-vous... Noël ! Tu n'es plus la fête
d'autrefois. » (Mélanges religieux 18 décembre 1843, p.1.)
Il est clair que le Québec de la fin du 19e siècle
et du début du 20e siècle est happé par la culture des grands
magasins qui s'empare à la même époque des États-Unis et de l'Angleterre. On
assiste alors à la commercialisation de la saison des fêtes au Québec. En cette
matière, nous ne sommes pas une société distincte, mais une société pleinement
intégrée au capitalisme libéral en pleine effervescence. L'historien
Jean-Philippe Warren qui a écrit un ouvrage sur la question intitulé Hourra
pour Santa Claus ! publié chez Boréal en 2006 affirme et je
cite : « Le processus de déchristianisation à l'œuvre dans la
bureaucratisation de l'appareil d'État ou l'industrialisation de l'économie à
la fois fragilise et exalte, paradoxalement, certains éléments de la culture
religieuse populaire. L'exemple des fêtes de décembre est à cet égard
particulièrement évocateur : d'une part, l'historien observe
l'appropriation par la société de consommation des rites entourant la
célébration de la Nativité et de l'an neuf ; d'autre part, il assiste à la
réinvention de cette tradition. » (Jean-Philippe Warren. p. 12-13)
Le père Noël, une
affaire de gros sous
Quoi que l'on en pense aujourd'hui, le père Noël a
bel et bien été inventé par les commerçants et Coca-Cola dans un coup de markéting
brillant en a fixé la représentation archétypale actuelle grâce au concours des
producteurs d'Hollywood avec le film culte Le miracle de la 34e rue de
George Seaton.
Le mot de la fin revient à Jean-Philippe
Warren : « Dès la fin du siècle, des Canadiens français s'avouent
nostalgiques d'une période révolue où Noël était une vraie fête chrétienne,
familiale, féérique et charitable. Le passage d'une époque à une autre a été
d'une grande rapidité. En trente ans à peine (1885-1915), l'imaginaire culturel
a été bouleversé et retraduit dans la logique de la société industrielle. »
(Warren, ibid. p. 259)
Une question en terminant : comprenez-vous
mieux maintenant, à l'ère des chartes et du relativisme culturel ambiant,
pourquoi il est faux d'affirmer que Noël est une fête chrétienne ? Noël c'est
bien plus la fête des commerçants que la fête des chrétiens et cela ne date pas
d'hier. Le père Noël existe, nous l'avons créé...
Lectures
suggérées :
Jean-Philippe Warren, Hourra pour Santa Claus. La
commercialisation de la saison des fêtes au Québec, 1885-1915. Montréal,
Éditions du Boréal, 2006, 301 p.
Wikipédia, père Noël. http://fr.wikipedia.org/wiki/
N.B. Ce texte a déjà été publié. Cette version est
légèrement remaniée. Ce texte est toujours d'actualité. L'avis de la Commission
des droits de la personne et les prises de position de l'Assemblée nationale du
WQuébec et du Parlement du Canada en sont des preuves tangibles. Le père Noël
nous revient chaque année et son histoire demeure la même malgré le temps
incertain dans lequel nous vivons et où les fausses nouvelles rendent moins
amusantes les fables modernes.