Y
a-t-il quelque chose dans ce vaste monde plus lancinant et désagréable qu'un
gérant d'estrade? Moi j'ai toujours détesté les gérants d'estrade.
Vous savez
ces petits Jos-connaissant qui ont toujours réponse à tout et surtout qui
savent toujours tout. Un gérant d'estrade c'est un peu Benoit des campagnes
publicitaires des fromages d'ici qui pérore et pérore sur
le nombre de fromages d'ici ou sur d'autres sujets et qui fait la démonstration
de son ignorance crasse.
La
découverte des gérants d'estrade
Très
jeune, je me suis frotté aux gérants d'estrade alors que, joueur de hockey
plutôt talentueux, je devais après les matchs entendre les parents de mes
coéquipiers raconter le match de hockey que j'avais joué. Ils savaient eux que
j'aurais dû sur tel jeu, lancer ou sur tel autre, faire une passe à leur fils
et nous aurions gagné le match. Je trouvais à l'époque que c'était beaucoup
plus facile de commenter les matchs après-coup que de les jouer en temps réel. Ce
fut ma première découverte du gérant d'estrade.
Les
fafans de Réjean Tremblay
Plus
tard, amateur de lignes ouvertes sportives, j'ai découvert les « fanfans »
du Canadien : de grands gérants d'estrade. Les « fafans » des
Canadiens de Montréal, comme les appelle le chroniqueur et journaliste Réjean
Tremblay aujourd'hui dans l'écurie Québecor, sévissent sur les lignes ouvertes
et les réseaux sociaux. Ces fafans ont, croyez-le ou non, échangé Carey Price
plusieurs fois. Ils préféraient Jaroslav Halak. Parfois, les fafans sont des
gens riches ou célèbres. N'est-ce pas Denis Coderre, maire de Montréal, qui
voulait donner un billet aller simple pour Hamilton à David Desharnais alors
qu'il traversait une période de léthargie offensive?
Les
fafans politiques
Les
gérants d'estrade seraient inoffensifs au fond s'ils ne sévissaient que dans
les tribunes sportives, mais ils sont aussi très présents dans le domaine de la
politique. Selon ces gérants d'estrade, Phillipe Couillard est un demeuré,
Pauline Marois est à peine capable de réflexion alors que Justin Trudeau est un
fils à papa. Nous rencontrons des gérants d'estrade partout dans nos vies et ils
sévissent plus que jamais sur les réseaux sociaux. Ils sont une sorte de cancer
de notre vie démocratique.
Le
modus operandi des gérants d'estrade
Les
gérants d'estrade ont tous le même modus operandi : des opinions
tranchées, peu d'assises de faits dans leur argumentation et ils s'attaquent
généralement à celles et ceux qui ont des opinions et qui cherchent à asseoir leur
argumentation sur des faits. Bien sûr, les gérants d'estrade sont susceptibles
et ils n'aiment pas être pris à partie dans un débat d'idées. La raison est
facilement identifiable : ils n'aiment pas le monde des idées et fuient
les débats. Non, pour un gérant d'estrade rien ne vaut le persiflage et les
procès d'intention. L'important ce n'est pas de s'interroger sur les faits,
mais bien d'arriver à une condamnation exemplaire.
Nous
sommes tous des gérants d'estrade
Nous
sommes malheureusement tous un peu des gérants d'estrade. Certains jours sont plus
fastes que d'autres. Ce qu'il importe de retenir ce n'est pas tant de se
culpabiliser d'être ou ne pas être un gérant d'estrade, mais plutôt de savoir
repérer les moments où nous sommes un gérant d'estrade afin de chercher à nous
élever de cette condition pour atteindre celle de citoyenne et de citoyen qui
débattent dans l'espace public afin de chercher à trouver la meilleure voie
possible pour notre collectivité à la recherche d'un seul objectif : le
bien commun.
Devenir
autre chose qu'un gérant d'estrade
Si
l'on souhaite vraiment à ne pas être un gérant d'estrade, nous devons suivre un
certain nombre de principes :
1) Baser nos opinions sur des
faits vérifiables
2) Respecter l'opinion de
l'Autre
3) Ne pas se gouverner comme
le détenteur de la vérité
4) Accepter que notre façon
de voir le monde n'est pas la seule
5) Chercher les points de rencontre
avec l'opinion des autres
6) Être curieux
7) Se documenter pour
discourir d'un sujet
8) Accepter de changer notre
opinion si les arguments de l'autre sont concluants
9) Refuser les attaques « ad
hominem »
10) Toujours faire preuve de
courtoisie et de civilité dans nos échanges avec les autres.
Ces
quelques principes, s'ils sont suivis, permettent à celles et ceux qui les
adoptent de ne pas être des gérants d'estrade et parfois même, de soutenir des
discussions intelligentes avec autrui.
Chroniquer
ce n'est pas être un gérant d'estrade
Une
longue digression pour vous entretenir que chaque semaine quand je rédige une
chronique à l'intention des lectrices et des lecteurs d'EstriePlus, je
m'efforce toujours d'être fidèle à mon intention initiale que j'ai écrite lors
de ma première chronique intitulée : « Ceci n'est pas un tweet »
et que vous pouvez retrouver en archives ici. Je voudrais cependant vous citer
un passage de cette vieille chronique : « J'entends aussi garder un
profil haut à cette chronique. Je veux partager avec tous ceux et celles qui me
liront ma passion de l'écriture et de la lecture, et ce dans un esprit de
dialogue continu et du respect des faits objectivement vérifiables ». J'ai
aussi écrit dans cette chronique que : « Pour des raisons d'éthique
élémentaire, je m'abstiendrai d'écrire des chroniques pour lesquelles je suis
lié par contrat avec un client. » Enfin, j'ai écrit la phrase la plus
importante, celle que tous devraient retenir : « Cela ne m'empêchera
pas de critiquer ce qui doit l'être et qui nous permettra d'avancer
collectivement. »
Les
insultes et les procès d'intention
Si
j'évoque aujourd'hui cette vieille chronique, c'est pour dire que je suis très
heureux de recevoir des commentaires ou de discuter avec des gens à la suite de
mes chroniques ou des opinions que j'ai émises. Je suis cependant moins chaud à
recevoir des insultes ou me faire faire des procès d'intention. À la suite de
ma chronique sur le débat concernant les arrondissements, quelqu'un m'a accusé
de faire des relations publiques pour Bernard Sévigny. Tellement loin de la
vérité. Cette personne m'a fait un procès d'intention à la manière d'un gérant
d'estrade. Autre exemple, à la suite de ma chronique sur la Charte du PQ,
quelqu'un m'a écrit que j'étais « un larbin à l'esprit colonisé ».
Vous pouvez juger si ma chronique sur le nationalisme revanchard était celle
d'un vulgaire esprit colonisé. Ce ne sont là que quelques exemples des
courriels que je reçois.
Le
privilège d'être lu...
Tout
cela m'amène à conclure que chroniquer chaque semaine pour dire ses opinions
est un privilège immense. Avoir des lectrices et des lecteurs critiques est un
plus grand privilège encore. Je suis toujours heureux d'entrer en dialogue avec
des gens intelligents et critiques, pour autant qu'ils ne soient pas trop gérants d'estrade.
Tweet de la semaine :
« Il est plus difficile de lire dans la joie que dans le chagrin »
dans Bernard Pivot, Les tweets sont des chats, Paris, Albin Michel, 2013, p.56.
Pour commentaires ou suggestions dnadeauestrieplus@gmail.com