Est-ce un hasard que mon attention soit captée par la démission du politicien ineffable Luc Ferrandez au même moment où je prends livraison de la publication du second tome des œuvres de Friedrich Nietzche où l'on retrouve, entre autres, Humain, trop humain et Le Gai savoir. (Marc de Launay, éd., Humain, trop humain - Aurore - Le Gai Savoir, Œuvres, II, Nietzsche, coll., Bibliothèque La PLéïade, Paris, Éditions Gallimard, 1504 p., 2019).
Il n'y a pas de hasard. Ces deux événements sont une belle toile de fond pour discuter du sujet de l'heure qui est la survie de la planète alors que la jeunesse québécoise vient de tenir sa dernière manifestation de la saison. Pourtant, l'heure est grave. L'environnement s'impose de plus en plus comme sujet de délibérations publiques. Néanmoins, il s'insinue dans le débat une vision pessimiste des choses qui a de quoi rebuter les plus croyants. Les éco-anxieux comme Luc Ferrandez deviendront-ils les références de ce débat important pour l'avenir de la planète ? Le point sur l'urgence d'agir en environnement.
Un bilan pitoyable
Ne faisons pas dans la dentelle. Le bilan environnemental de la très grande majorité des pays de notre planète est déplorable. Les scientifiques ont beau nous alerter du sérieux des conséquences du réchauffement climatique, il s'en trouve encore pour contester le rôle des humains dans le dérèglement du climat. D'autres, c'est plus pitoyable encore, se drapent dans des discours aux idées creuses ou dans des manifestes de relations publiques pour nous convaincre qu'ils sont verts, mais dans les faits ils carburent aux énergies fossiles. Pendant que le premier ministre du Canada Justin Trudeau se drape dans l'urgence climatique, le principal prétendant, le chef conservateur Andrew Scheer propose un corridor énergétique pour justifier l'exploitation du pétrole sale de l'Alberta avec toutes les conséquences désastreuses sur le réchauffement de la planète.
Au Québec, la Coalition avenir Québec se donnera une position ce mois-ci. La classe politique internationale ne fait pas mieux avec Trump et ses vis-à-vis de la Chine, de l'Inde même de l'Europe. Bien sûr, les discours sont différents, mais le résultat est le même. L'économie prime sur la survie de la planète. Au fond, quoi de neuf, l'argent est plus important que les humains et les espèces animales. Quelqu'un de surpris ? On peut comprendre l'impatience de certains. Luc Ferrandez n'a pas tort d'être découragé par la lenteur des actions, mais faut-il pour autant appeler à une dictature verte, des dirigeants autoritaires disait-il en entrevue, pour améliorer les choses dans le sens désiré ? C'est là la question fondamentale. Être démocrate c'est aussi le demeurer devant de grands enjeux même si les chemins qui mènent aux solutions sont plus sinueux et parsemés de nombreuses embûches.
Un problème réel
Nous ne rappelons jamais trop souvent les faits saillants du dernier rapport du GIEC, voici ce que j'écrivais dans ma chronique parue ici du 17 octobre dernier : « Il fallait s'y attendre. La question des changements climatiques revient à l'avant-plan de l'actualité. Cela se fait dans la foulée du dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Que dit ce rapport ? Rien d'encourageant. En voici les points saillants comme cité dans le rapport :
1. "Les activités humaines ont déjà provoqué un réchauffement climatique de 1 ± 0,2 C au-dessus des niveaux préindustriels. La température moyenne augmente actuellement de 0,2 ± 0,1 C par décennie en raison des émissions passées et actuelles. À ce rythme, le réchauffement dépassera 1,5 C entre 2030 et 2052. Les systèmes humains et naturels pâtiront davantage d'un réchauffement de 2 C que d'un réchauffement de 1,5 C."
2. "Les modèles climatiques prévoient de fortes différences dans les caractéristiques climatiques régionales, entre les conditions actuelles et un réchauffement de 1,5 C, et entre 1,5 C et 2 C. Ces différences se manifestent par l'augmentation de la température moyenne dans la plupart des pays et des régions océaniques, par des chaleurs extrêmes dans la plupart des régions habitées, par des précipitations intenses dans la plupart des régions, et par des risques de sécheresse et de déficit de précipitations dans certaines régions."
3. "Limiter le réchauffement à 1,5 C par rapport à 2 C réduirait les risques d'impact du réchauffement climatique sur les écosystèmes terrestres, d'eau douce, côtiers, marins et sur les services qui leur sont associés. Certains impacts peuvent être de longue durée, voire irréversibles, entraînant notamment la perte de certains écosystèmes."
4. "Dans le cas d'un réchauffement de 1,5 C, l'élévation du niveau de la mer à l'horizon 2100 serait inférieure d'environ 0,1 m par rapport à un réchauffement de 2 C. Le niveau de la mer continuera à monter bien au-delà de 2100. L'ampleur et la rapidité de cette augmentation dépendent des trajectoires d'émissions futures. Une augmentation plus lente du niveau de la mer améliore les possibilités d'adaptation dans les systèmes humains et écologiques des petites îles, des zones côtières basses et des deltas.
L'instabilité de la calotte glaciaire antarctique et/ou la perte irréversible de la calotte glaciaire du Groenland pourraient entraîner une élévation de plusieurs mètres du niveau de la mer en plusieurs centaines à plusieurs milliers d'années. Ces instabilités pourraient être déclenchées pour un réchauffement climatique autour de 1,5 C à 2 C."
5. "Les impacts sur la santé, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l'approvisionnement en eau, la sécurité humaine et la croissance économique vont augmenter par rapport à aujourd'hui dans le cas d'un réchauffement de 1,5 C, et plus encore dans le cas d'un réchauffement de 2 C".
6. "La réalisation des engagements actuels dans le cadre de l'Accord de Paris, comme présentés dans les ‘Contributions déterminées au niveau national', ne suffira pas à limiter le réchauffement climatique à 1,5 C." »
Que devons-nous faire ?
Néanmoins, une chose est claire, c'est que dans tous les scénarios pensés et pensables, on doit réduire les émissions de Co2 dans l'atmosphère ou les retirer. Il existe des techniques qui peuvent être mises à contribution pour retirer du Co2 de l'atmosphère. Or, ces techniques ne sont pas encore fiables scientifiquement au sens où la science serait capable d'en mesurer l'efficacité dans le temps et sur une large échelle. Ce qui n'en fait pas la panacée souhaitée. C'est pourquoi nous en revenons à l'essentiel. La crise climatique nécessite non pas une transition « pépère » comme veulent nous le faire croire les ténors modérés de la cause des changements climatiques, mais une rupture brutale avec nos modes de vie actuels. Là est le nerf de la guerre de la survie de la planète.
En ce sens, Luc Ferrandez n'a pas tort d'appeler à de grands changements dans nos vies, mais là où le bât blesse dans ce discours c'est qu'il ne daigne pas se préoccuper du nécessaire accompagnement de ces réformes majeures. Faut-il vraiment diminuer nos niveaux de vie et renoncer à tout pour sauver la planète ? D'un point de vue idéologique, oui, si on prend une position politique démocratique qui tient compte du nécessaire accompagnement de la population dans ces changements, la réponse est non.
Nietzche, auquel je faisais allusion au début de ce texte, s'est fait connaître de nous pour son pessimisme, son nihilisme et son idée de l'éternel retour. Il faut aussi retenir de cet auteur son concept de volonté de puissance. Plutôt que de rechercher le bonheur, l'humain que nous sommes recherche la volonté de puissance : « il n'est pas vrai que l'homme recherche le plaisir et fuit la douleur : on comprend à quel préjugé illustre je romps ici (...). Le plaisir et la douleur sont des conséquences, des phénomènes concomitants ; ce que veut l'homme, ce que veut la moindre parcelle d'un organisme vivant, c'est un accroissement de puissance. Dans l'effort qu'il fait pour le réaliser, le plaisir et la douleur se succèdent ; à cause de cette volonté, il cherche la résistance, il a besoin de quelque chose qui s'oppose à lui... ». C'est dire que les humains pour se réaliser doivent soumettre le monde dans lequel ils vivent sinon nous n'existons plus en tant qu'humains. Notre essence en tant qu'humain est de vivre un sentiment de transcendance avec la nature et surtout notre espèce « ne pourrait prospérer sans une confiance périodique dans la vie » Marc de Launay, Nietzche, Œuvres, tome II, p. XXII. op. cit.)
En d'autres mots, il faut se donner un programme d'action progressif. Le Québec ne sauvera pas la planète à lui seul. Cela est une évidence. Voyager moins souvent en avion, fréquenter plus le transport en commun, manger moins de viandes, tout cela peut avoir un sens, mais pas si une nouvelle dictature verte l'impose de force et de façon violente à la population. Je préfère le discours de la jeunesse québécoise comme voie de solution à toutes les vociférations des écoanxieux qui pratiquent, il faut le dire, une politique de la terre brûlée...