Notre puissant voisin, les États-Unis d'Amérique, n'en est
pas à un paradoxe près. Ce grand pays au sud de nos frontières est le lieu par
excellence de la démesure.
Il s'y côtoie la plus grande richesse avec la pauvreté la
plus miséreuse. On y trouve plein d'idées novatrices, mais en même temps un
conservatisme religieux. On y élit un président noir et on y retrouve une
recrudescence de racisme. C'est en ayant en tête ces paradoxes qu'il faut
essayer de comprendre le drame que vit la ville de Baltimore au Maryland ces
jours-ci.
Des
policiers coupables?
La bonne nouvelle c'est que le verdict n'a pas tardé à tomber.
Des accusations seront portées contre six policiers de Baltimore à la suite des
conclusions de l'enquête qu'a déposée, le 1er mai dernier, la
procureure Marilyn Mosbie devant la presse. La mort du jeune Freddie Gray est
un homicide et elle fait suite à une intervention pour le moins musclée de la
part des policiers.
On se rappelle que cet homicide a entraîné des émeutes dans
cette ville, dont les principaux dirigeants sont des descendants
afro-américains. Cet événement a même donné lieu à un match de baseball à huis
clos, sans aucun spectateur. La communauté noire américaine peut se réjouir
cette fois que les policiers, apparemment fautifs, soient conduits devant les
tribunaux. Cela est une bien triste consolation cependant quand on observe le
comportement raciste des autorités policières américaines envers les personnes
de couleurs partout aux États-Unis.
La violence
policière envers la communauté noire américaine :
Outre Freddie Gray, il y a eu Michael Brown, John Crawford
III, Tamir Rice, Akai Gurley, Vonderitt Myers et Kajieme Powell. Des jeunes
noirs entre 12 et 25 ans. Ils venaient de Ferguson, Cleveland et New York. Tous
ces jeunes sont morts aux mains de la police à la suite d'une altercation. Il y
a problème en la demeure.
Dans une chronique publiée dans le journal La Presse le 1er mai dernier,
la réputée chroniqueuse Agnès Gruda affirme au sujet de ces victimes : « Ils
ont tous été victimes du même phénomène : la brutalité policière qui
s'abat d'une façon disproportionnée sur la communauté noire aux États-Unis. »
(Agnès Gruda, « 1. Après Freddie Gray », La Presse, vendredi 1er mai 2015, p. A15). Phénomène
isolé ou fortuit? Madame Gruda en doute si l'on se fie aux divers témoignages
qu'elle cite en appui dans sa chronique.
Elle cite par exemple un journaliste du Washington Post,
lui-même un membre de la communauté noire, Michael Fletcher dans une anecdote
se rapportant aux autos volées : « Comment faites-vous pour retrouver
les autos volées avait-il demandé aux agents... Quand nous voyons des groupes de
noirs nous les interpellons a répondu le policier. C'est la banalité du
profilage racial à son meilleur » (Agnès Gruda, Ibid.)
Dans ces conditions, on n'est guère étonné de prendre
conscience qu'en la terre des libertés que représentent les États-Unis
d'Amérique, « les jeunes noirs courent 21 fois plus de risques d'être tués
que leurs compatriotes blancs constataient en octobre 2014 le site du
journalisme d'enquête ProPublica » (Agnes Gruda, op.cit).
Il faut dire aussi que la situation de la violence policière
à l'égard des Noirs américains s'inscrit dans un contexte plus large de la
pauvreté dans laquelle se retrouvent les membres de cette communauté partout
sur le territoire américain.
Quelques
chiffres édifiants (2) :
Les Afro-américains représentent 13,6 % de la
population américaine selon le recensement de 2010, en légère hausse par
rapport à celui de 2000 où le pourcentage était de 12,9 %. On prévoit que
celui-ci atteindra 15 % en 2060.
Malgré qu'ils ne représentent que 13,6 % de la
population, les Noirs représentent 40 % de la population carcérale aux
États-Unis. Qui plus est, cette discrimination systémique s'étend jusqu'au
couloir de la mort puisque 34 % des condamnés à mort sont des Noirs.
Largement plus pauvres que les Blancs, 27,2 % des
Afro-américains sont sous le seuil de la pauvreté pour 15 % pour
l'ensemble des Américains. Le revenu médian d'un noir américain est de 33 321
dollars par année comparativement à 51 017 dollars par année pour
l'ensemble de la population américaine. Le taux de chômage est le double de
celui de la population blanche, 13,4 % contre 6,7 %.
Même l'espérance de vie chez les membres de la communauté noire
est plus basse que celle des blancs. L'espérance de vie moyenne de la
population américaine atteignait 78,7 ans en 2010 contre 75,1 ans pour les
Noirs. Ce qui est vrai pour la santé est vrai aussi dans le secteur de
l'éducation où les Noirs sont moins diplômés, plus susceptibles de décrocher et
ils fréquentent de moins bonnes écoles avec des professeurs souvent moins
qualifiés.
Tous ces chiffres parlent fort. Ils font la démonstration
sans équivoque que la population noire américaine est victime de discrimination
systémique et elle vit dans une plus grande pauvreté que le reste de la
population américaine. C'est dire que les grandes lois des années 1960 pour
vaincre la discrimination et donner des droits égaux aux Noirs se sont heurtées
au récif des réalités socio-économiques et qu'il y a beaucoup à faire pour
changer la situation et pour mettre fin à la violence policière et aux émeutes
dans les rues d'une population qui ne voit pas d'espoir à l'avenir.
Le paradoxe
américain :
Le grand paradoxe c'est que toute cette situation
d'inégalité intenable envers les Noirs américains se révèle au moment où la
population américaine a un président Noir pour la première fois dans son
histoire. Pour Barack Obama, cette crise latente de la discrimination à l'égard
de la population afro-américaine de son pays est un véritable œil au beurre
noir pour sa présidence et pour ce que l'histoire en retiendra...
1.
Agnès
Gruda, « Après Freddie Gray », La Presse, vendredi 1er mai 2015, p. A15
2.
Statistiques
tirées de la revue française L'Express :
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/noirs-contre-blancs-les-chiffres-de-la-discrimination-aux-etats-unis_1625824.html
Lectures recommandées :
David
Austin, Nègres noirs, Nègres blancs. Race,
sexe et politique dans les années 1960 à Montréal, Montréal, Lux éditeur,
2015, 284 p. (pour saisir que nous ne sommes pas à l'abri du racisme au
Québec...);
Nicole
Bacharan, Les Noirs américains. Des
champs de coton à la Maison-Blanche, Paris, Éditions du Panama, 2008, 618 p.;
A.B. Caldwell, History Of The American
Negro And His Institutions: Georgia Edition, NewYork, Kessinger Publishing LLC, 2007, 692 p.;
David Dialo, Histoire des Noirs aux États-Unis, Paris,
Ellipses marketing, 2012, 168 p.