Le 17 février dernier, le premier ministre Stephen Harper y allait
d'une déclaration fracassante sur les ondes d'une « radiopoubelle » de
Québec dans une entrevue avec le très intellectuel Éric Duhaime. Voyons comment
a rapporté cette nouvelle le quotidien Le
Devoir du 17 février dernier :
Le premier ministre Stephen Harper a profité d'une
entrevue accordée à une radio privée de Québec pour décrire Radio-Canada comme
un repaire sinon de « gauchistes », au moins d'employés qui « détestent »
les valeurs portées par les conservateurs.
L'attaque a été portée sur les
ondes du FM 93, lundi midi, dans le cadre de l'émission coanimée par
Nathalie Normandeau. « Qu'allez-vous faire pour séduire l'électorat du
Québec? » a demandé au premier ministre l'ancienne ministre libérale
provinciale. « Moi, je reste convaincu que, malgré l'image donnée par
certains médias, par certains de nos opposants, les Québécois ne sont pas des
gauchistes », a répondu M. Harper. (Le Devoir, 17 février 2015)
N'ayez crainte amis lecteurs
j'avais bien noté cette déclaration de notre cher premier ministre. Connaissant
mes positions à l'égard de Radio-Canada, vous deviez bien vous douter que
j'écrirai tôt ou tard sur cette déclaration. Moi aussi je le savais. Si j'ai
tardé à le faire, plus de trois semaines, c'est que je cherchais à comprendre
le sens de cette déclaration au-delà des visées politiciennes et j'ai finalement
trouvé l'angle. La question que m'inspire cette déclaration de monsieur Harper
est la suivante : pourquoi Stephen Harper n'aime-t-il pas le Québec? Essai
de psychopop politique...
Jung
et le concept de projection en psychologie...
Les enseignements de Carl
Gustav Jung en matière de psychologie humaine ont prêté attention à ce qu'il a
développé comme étant de la projection en psychologie. Qu'est-ce que la
projection? Selon Marie-Louise von Franz, la projection est « un état de
fait psychologique qui peut s'observer partout dans la vie quotidienne des
hommes, à savoir que nos idées concernant autrui et diverses solutions sont
très souvent erronées, sujettes à de faux jugements qu'il convient de corriger
ensuite à la faveur d'une vision plus juste des choses » (Marie-Louise
von Franz, Reflets de l'âme.
Projections et recueillement selon la psychologie de C. G. Jung, Paris,
Entrelacs, 1992, 284 p.)
Jung définit la projection comme « une
transposition inconsciente, non intentionnelle, non perçue, sur un objet extérieur.
On y voit quelque chose qui n'y est pas ou n'y est que très peu » (ibid.) C'est
comme un crochet sur une patère où on y accroche notre préjugé de l'autre.
Les sophismes de Stephen Harper
Lorsque Stephen Harper déclare que
son parti est beaucoup plus enraciné au Québec qu'il n'y paraît et qu'il
prétend que c'est seulement un petit groupe, les gauchistes et les employés de
Radio-Canada, qui n'aiment pas son parti et ses politiques, il nous dit en fait
que les élites intellectuelles et médiatiques québécoises sont non représentatives
du vrai peuple qui lui, aime son parti et ses politiques. C'est là un
raisonnement faux ayant l'apparence d'un raisonnement logique qui a pour but de
tromper (sophisme). En fait que dit Stephen Harper :
Mon parti défend les valeurs du Québec;
Le Québec est sous le joug d'une élite intellectuelle
et médiatique;
L'élite n'aime pas mon parti;
Le peuple délivré du joug des gauchistes et des
journalistes de Radio-Canada votera pour lui et son parti et le Québec sera
enfin réconcilié avec ses valeurs profondes.
Il fallait y penser. Il y a deux ou
trois choses qui clochent cependant dans ce raisonnement.
Comment le bon peuple, au jugement
éclairé, puisqu'il adhère selon Stephen Harper aux valeurs conservatrices,
peut-il vivre sous le joug d'une élite intellectuelle et médiatique de « pelleteux »
de nuages et qu'il accepte cela sans rien y faire? Comment expliquer aussi, si
monsieur Harper dit vrai, que lorsque le bon peuple va déposer son vote dans la
boîte de scrutin, il ne vote pas pour Stephen Harper et les pour représentants
de son parti? Y aurait-il aiguille sous roche? Les élections seraient-elles
conduites sous l'effet de la tyrannie de ces élites qui hypnotisent le bon
peuple pour qu'ils votent pour le Bloc, les libéraux ou le NPD?
Le mépris exprimé par monsieur
Harper pour les gauchistes et les intellectuels est assez anodin. Non seulement
il l'exprime avec des mots, mais plus important encore il le démontre dans ses
actions. Son mépris des règles parlementaires et des institutions canadiennes (la
Cour Suprême du Canada, le Directeur général des élections et même le Directeur
parlementaire du budget) est bien documenté. Son mépris pour Radio-Canada
aussi. Alors est-ce vraiment les gauchistes et les intellectuels qui n'aiment
pas monsieur Harper? N'est-ce pas plutôt lui qui n'aime pas le Québec?
Le Québec et les politiques conservatrices
Monsieur Harper a raison. Sa
popularité au Québec est très basse. Elle frise le niveau des pâquerettes. Cela
s'explique :
Monsieur Harper se fait le champion
de l'économie. Sa politique est simple. Tout au pétrole des sables bitumineux
de l'Alberta. La croissance de l'Alberta est bonne pour le Canada. Cela même si
cette politique a conduit le dollar canadien à des sommets inégalés et que cela
a considérablement nui aux économies manufacturières de l'Ontario et du Québec
qui ont vu l'exportation de leurs produits connaître des baisses draconiennes.
Les Québécois savent compter et ils n'aiment pas cela.
Monsieur Harper se fait le champion
de la rigueur budgétaire. Au nom de celle-ci, il a coupé brutalement les fonds
à l'aide internationale, à la culture et à de nombreux groupes non
gouvernementaux. La tradition missionnaire des Québécois d'origine catholique
s'accommode mal de cela. Les compressions ont aussi touché les chômeurs, les
recensements de Statistiques Canada et plusieurs organismes de surveillance
notamment dans le domaine des aliments et de la sécurité ferroviaire avec des
conséquences comme la tragédie de Lac-Mégantic. Les Québécois n'aiment pas ces
politiques.
Monsieur Harper s'est fait le
champion de la loi et l'ordre et le protecteur des victimes. Nous sommes tous
d'accord pour pourchasser les meurtriers, mais l'idée de les mettre en prison
pour toujours sans espoir de réhabilitation n'est peut-être pas la meilleure
des politiques même s'il peut apparaître impopulaire à première vue de
s'opposer à ce projet de loi. Même chose pour le combat contre les terroristes
qui menacent nos libertés. Les Québécois comme les Canadiens sont d'accord pour
combattre le terrorisme, mais pas au prix de leurs propres libertés. Pire
encore, les projets de loi sur les criminels dangereux et le projet de loi C-51
(je reviendrai sur ce projet dans une chronique ultérieure) permettront au
premier ministre ou aux membres de son cabinet de pourchasser les défenseurs
des droits des Amérindiens et des écologistes en les assimilant à des terroristes
et en les mettant en prison si par exemple, ils s'opposent à Keystone. Le
cabinet décidera, avec les membres survivants des familles concernées, à la
place de la Commission des libérations conditionnelles si l'on peut libérer un
détenu accusé de crimes graves après 35 ans. Croyez-vous possible qu'un élu
puisse libérer quelqu'un sous les conseils des membres d'une famille touchés
par un crime répugnant de l'un de ses proches? C'est le retour de la peine de
mort sans le dire.
Que dire aussi des politiques
va-t-en-guerre de monsieur Harper, de son opposition aux groupes
environnementaux, de l'opposition de son parti au droit des femmes à disposer
librement de leur corps en se faisant avorter, de la criminalisation des
consommateurs de drogue douce, de la prostitution et du retour de la Reine et
de ses symboles dans nos vies? Cela ne rencontre pas les valeurs québécoises.
Les élites intellectuelles et
médiatiques du Québec sont en phase avec les valeurs profondes du Québec. C'est
cela la réalité, monsieur Harper...
Le Québec, orphelin d'un premier ministre
La déclaration de monsieur Harper
sur Radio-Canada et les gauchistes québécois fait plutôt la démonstration que
monsieur Harper ne tient pas compte des aspirations profondes d'une majorité de
Québécois dans l'élaboration de ses politiques. Il fait de la projection jungienne
lorsqu'il dit que les élites médiatiques du Québec ne l'aiment pas. En fait, si
l'on se fie aux politiques et aux propos du premier ministre du Canada, c'est
Stephen Harper qui n'aime pas le Québec...