On affirme souvent à raison qu'il est difficile pour un
enfant de se débarrasser d'un patronyme célèbre pour se faire un nom. Parfois,
cela a des avantages comme ce fut le cas pour Justin Trudeau à l'égard de son
père Pierre Elliott Trudeau. Il ne faut pas s'y méprendre, Trudeau père est un
personnage gigantesque de l'histoire politique du Québec et du Canada.
Son
passage en politique a profondément transformé le Canada. C'est lui qui a fait
du Canada une société chartiste et qui a enserré le Québec et ses aspirations
dans les tenailles du multiculturalisme. Adepte d'un fédéralisme centralisateur
et paternaliste, l'héritage de Pierre Elliott Trudeau est aussi marqué par sa
lutte sans merci à tout accommodement voulant reconnaître la nation québécoise.
C'est au nom de cette vision d'un Canada centralisé que Pierre Elliott Trudeau
s'est dressé contre l'accord du lac Meech et qu'il contribua à faire échouer.
Justin Trudeau nous avait promis une autre vision. Il voulait, disait-il,
changer la politique et ramener le pays dans des voies ensoleillées.
Aujourd'hui, au lendemain d'un discours du trône décevant, faisons le point sur
le bilan de Justin Trudeau comme premier ministre.
Justin Trudeau et les promesses
brisées
Ce qui caractérise la gouvernance de Justin Trudeau c'est
d'abord et avant tout les promesses brisées. La plus importante de toutes,
encore fraîche à nos mémoires, c'est celle concernant le changement du mode de
scrutin, promesse prise solennellement le soir de son discours de victoire
comme premier ministre. Ce fut la première promesse rompue d'une longue liste.
Il en est de même de son vaste projet de réconciliation avec les Premières Nations
qui se fait toujours attendre. Il avait aussi promis que son gouvernement
changerait la façon de faire de la politique en n'utilisant pas tous les vieux
trucs partisans que permettaient les règles parlementaires. Sa décision récente
de proroger le parlement pour éviter que perdurent les débats sur WE Charity
témoigne éloquemment que cette promesse aussi a été rompue. Justin Trudeau a
souvent les bons mots, mais rarement cela est suivi par une action conséquente.
Comme on dit chez nous, les bottines ne suivent pas les babines...
Justin Trudeau et le manque de leadership
Justin Trudeau a aussi fait la démonstration depuis qu'il
est premier ministre de son manque de leadership. Pensons par exemple à la
longue saga de SNC-Lavalin et de l'affaire Jody Wilson-Raybould où il a été
incapable de faire preuve de leadership. Ses longs moments d'indécision et son
incapacité à faire respecter son autorité de chef ont contribué à miner son
gouvernement et à terme à sceller l'avenir du siège social de SNC-Lavalin au
Québec.
Ce manque de leadership a aussi été apparent dans le conflit
qui a opposé une poignée de résistants autochtones de l'ouest devant son
indécision dans la question de la construction d'un pipeline. Son indécision
chronique s'est même traduite par une paralysie des voies ferroviaires venant
ainsi miner l'économie canadienne juste avant la pandémie.
On ne peut lui reprocher son manque de leadership en matière
de politique étrangère avec notamment la Chine et les États-Unis parce que le
président de notre puissant voisin américain est un cas en soi. Un être incontrôlable
et imprévisible. On peut aussi lui être reconnaissant de ne pas emboîter le pas
au chef du parti conservateur, Erin O'Toole, qui donne dans le racisme primaire
envers la Chine. Néanmoins, l'indécision chronique qui caractérise la gestion
de Justin Trudeau se fait sentir dans la question de Huawei, des otages
canadiens et du dossier de la 5G.
Dans l'actuelle crise de la pandémie, on saura bien plus
tard comment l'indécision de Trudeau concernant la question de la fermeture des
frontières canadiennes aux voyageurs étrangers aura eu un impact sur la
transmission de ce virus en terre canadienne. Bien sûr, le concept de pandémie
mondiale le dit bien, nous aurions été touchés tôt ou tard. Dans ce cas, il
aurait peut-être valu que cela soit plus tard que tôt.
Trudeau et quelques bons coups
Il ne faut pas être de mauvaise foi et reconnaître au
gouvernement Trudeau un certain nombre de bons coups. Tout n'est pas gris au
royaume des licornes. À cet égard, la négociation de la nouvelle entente de
libéralisation des échanges avec le Mexique et les États-Unis étant donné les
circonstances a été un succès. L'action énergique du gouvernement Trudeau pour
soutenir les Canadiennes et les Canadiens en temps de pandémie doit aussi
figurer parmi ses bons coups. Faire un pied de nez à ces vieux discours
réclamant l'austérité budgétaire au nom du déficit zéro était fort à propos
bien qu'il faille quand même garder les yeux sur la balle. Les déficits ne
peuvent être laissés sans contrôle. Ils doivent surtout avoir un ancrage dans
la réalité si l'on veut assurer une certaine prévisibilité de l'état des
finances publiques canadiennes.
L'un des meilleurs coups du gouvernement Trudeau c'est son
appui indéfectible aux familles canadiennes et à la lutte contre la pauvreté
des enfants au Canada. Dans toute l'histoire canadienne, jamais un gouvernement
n'aura autant fait pour faire reculer la pauvreté chez les enfants.
Trudeau, le Québec et l'unité
canadienne
Le plus grand défi de tous gouvernements canadiens c'est de
gouverner un pays divisé par ses régions et de gouverner pour le bien commun
sans qu'une partie ou une autre du pays se sente aliénée. C'est manifestement
le défi dans le dossier de la lutte aux changements climatiques où les
provinces de l'ouest tributaires des énergies fossiles pour se développer ne
peuvent se sentir des parties prenantes à ce combat essentiel et nécessaire
pour sauver la vie des humains sur cette planète. Manifestement, le résultat
des dernières élections fédérales et les sondages que l'on peut consulter
depuis montrent que nous sommes loin d'un possible consensus sur cette
question.
Une autre question centrale est la place du Québec dans le
Canada. Depuis son arraisonnement dans sa marche vers l'autonomie par le
rapatriement unilatéral de la constitution et l'échec de Meech et du référendum
de 1995, le Québec est sans voix quant à la reconnaissance de son identité par
l'État fédéral. Justin Trudeau qui disait vouloir changer la politique avait
beau jeu de réécrire l'histoire faite par son père et de trouver des voies
ensoleillées pour une reconnaissance pleine et entière des droits nationaux des
Québécoises et des Québécois. L'occasion était belle puisqu'il pouvait à la
fois mener un chantier pour reconnaître les Premières Nations, les Acadiens et
le Québec. Non seulement il n'a rien fait en ce sens, mais au contraire il
décide d'enfourcher le cheval de son père Pierre Elliott Trudeau d'un Canada
centralisé et postnational. Le dernier discours du trône livré par son mauvais
choix à titre de gouverneure générale, Julie Payette, fait état d'une litanie
de vœux pieux allant tous dans le sens d'une centralisation accrue du pouvoir
fédéral au détriment du pouvoir des provinces. Ce qui est un combat politique
pour les autres provinces devient un combat identitaire pour le Québec. Justin
Trudeau montre ses gros bras pour une fois et semble vouloir faire preuve de
leadership, mais au détriment des provinces. Il est bel et bien le fils de son
père...