Ce dernier weekend, je lisais un intéressant reportage dans le journal Le Devoir sur la chasse aux sorcières au Moyen-âge. Sans entrer dans le vif du sujet, les historiens spécialisés sur la question associent l'apparition du phénomène de chasse aux sorcières au recul de l'État de droit remplacé par un état d'exception juridique pour faire face à un nouvel ennemi construit. L'historienne Martine Ostorero affirme : « l'exception est acceptée. Elle devient peu à peu la règle. On construit une figure du mal qui conduit à l'exception, puis qui devient permanente. »
Le plus intéressant de son propos est contenu dans l'idée suivante : « Étudier les crimes imaginaires de la sorcellerie et la place qu'occupent les procès qui les concernent dans l'histoire peut nous aider à repenser le poids des tribunaux dans notre actualité » (loc. cit.). Je ne pouvais trouver meilleur prétexte pour vous entretenir cette semaine dans cette chronique de la crise de légitimité qui mine l'UPAC en ce moment au Québec.
L'UPAC n'est-il pas un nouveau corps de police, présenté comme une mesure d'exception devant un ennemi intérieur puissant (la corruption et la collusion) qui vient miner la démocratie québécoise? La Commission d'enquête Charbonneau, l'UPAC, n'ont-ils pas contribué à faire reculer la présomption d'innocence et les règles usuelles de droit au nom de notre volonté de vaincre notre ennemi numéro un du moment? Après plus de cinq ans, il est temps de faire le bilan de l'action de ce corps de police et de l'état du discours public sur la collusion et la corruption de la politique québécoise. Descente dans les enfers de nos démons intérieurs.
Le cirque de la police
D'après vous, que penserait un extra-terrestre débarquant à l'impromptu au Québec et qui prendrait connaissance de l'actualité récente liée à la politique et aux enquêtes de police? Il trouverait d'abord que nous avons une grande propension à l'autoprospection. Il conclurait selon toute vraisemblance que la province de Québec est de loin la province la plus corrompue au Canada. Mais est-ce vrai?
Il serait aussi perplexe devant les liens familiaux et amicaux incestueux dans les corps de police majeurs du Québec et parmi les membres de l'Assemblée nationale qui les coordonnent. Le directeur de l'UPAC, Robert Lafrenière, ancien sous-ministre sous un gouvernement libéral, beau-père du directeur général de la Sûreté du Québec, Martin Prudhomme. Ce même Martin Prudhomme aujourd'hui chef du Service de police de la Ville de Montréal pour y remettre de l'ordre. L'une des hautes gradées de la SQ est Dominique Lafrenière, conjointe de Martin Prudhomme et fille de Robert Lafrenière. Pour ajouter à la confusion libérale, les députés Robert Poëti et Guy Ouellet sont des anciens policiers de la SQ et jouent aujourd'hui un rôle important dans toute cette affaire. Guy Ouellet est l'ennemi juré de Robert Lafrenière, mais un intime de Martin Prudhomme. Une chatte y perdrait ses petits.
Tout ce beau monde semble se mener une lutte de pouvoir sans merci où on n'hésite pas à sacrifier l'intégrité des enquêtes de l'UPAC, par des fuites aux médias, sur la possible corruption d'élus et de membres du Parti libéral du Québec. Un véritable cirque qui déshonore le Québec, ses citoyennes et ses citoyens.
La déchéance de l'UPAC
Dans notre univers judéo-chrétien, il y a une vieille maxime qui colle magnifiquement à la situation que vit actuellement l'UPAC devant l'opinion publique : « qui a vécu par l'épée périra par l'épée ». C'est un peu ce que vit aujourd'hui l'UPAC et cela est bien triste, car cet important outil collectif que le Québec s'est donné pour lutter contre les « coquins », écrirait le fondateur du Devoir Henri-Bourassa, semble aujourd'hui totalement incapable d'accomplir son mandat. Qui plus est, le lien de confiance de l'UPAC est rompu avec la population. Au cœur de cet échec, on retrouve son dirigeant Robert Lafrenière et la propension de son organisation à jouer dans la société du spectacle.
Ce n'est pas la première fois que j'écris un billet ou une chronique qui s'inquiète de l'habitude de l'UPAC de jouer dans la grande pièce contemporaine de la « spectacularisation des médias » plutôt que de se concentrer sur son travail d'enquête et de traduire les « méchants » devant les tribunaux avec des preuves qui tiennent la route. Trop souvent, pour des raisons qui demeurent obscures, ce nouveau corps de police a voulu marquer l'imagination, la nôtre, et procéder avec beaucoup d'effets ostentatoires à des arrestations. Ce qui fut manifestement le cas dans l'arrestation de madame Nathalie Normandeau.
Imaginez, ces arrestations ont eu lieu le jour de la tenue d'un discours de budget. Belle façon de tirer le tapis sous le pied du gouvernement libéral de Philippe Couillard. De nombreux autres exemples pourraient être mis en preuve ici. Je crois que tous ont compris le sens de mon propos.
L'UPAC, à la croisée des chemins
Aujourd'hui, pouvons-nous être étonnés de voir que ce corps de police et son principal dirigeant soient dans une incroyable bouillie où l'insatisfaction de ses troupes, la faiblesse des preuves contre de pseudo-accusés, l'échec des poursuites contre des « figures iconiques upaciennes » comme celle de monsieur Tony Accurso et l'abus de confiance avec la population soient à l'ordre du jour et viennent saper tous nos efforts de lutte contre la collusion et la corruption des dix dernières années.
Il faut un grand ménage dans nos institutions à commencer par le remplacement de monsieur Lafrenière par un civil au passé irréprochable. Il faut aussi une nouvelle Loi qui fait de l'UPAC un corps de police à part entière et où son principal dirigeant, son commissaire, sera nommé par un vote des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale du Québec. Il faut enfin que la police fasse son travail dans l'ombre. Elle doit enquêter à l'abri de nos regards, ramasser les preuves et traduire les gens devant les tribunaux s'ils ont contrevenu à nos lois. Il est vraiment important que l'UPAC quitte le monde du spectacle et de la justice des réseaux sociaux pour réintégrer son lieu naturel : celui de la vraie justice où la présomption d'innocence a un sens jusqu'à ce que l'on soit trouvé ou réputé coupable.
Il est temps pour monsieur Coiteux d'agir... Il est plus que temps que l'on retrouve notre État de droit et que l'on cesse cette chasse aux sorcières...