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Une souris dans un lit d’éléphant…

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 5 avril 2023

La visite du président américain Joe Biden les 23 et 24 mars dernier a été un succès diplomatique pour le Canada. L'attitude et les propos tenus par le président Biden tranchaient avec ceux tenus il n'y a pas si longtemps par son prédécesseur l'ineffable Donald J. Trump. Ce vieil homme président a tout du visage du grand-père rassurant et la prévisibilité de ses actions est un puissant ingrédient conduisant à une harmonisation des relations entre nos deux pays. Cela dit, en dépit des déclarations apaisantes de Joe Biden, les États-Unis et le Canada sont deux pays différents, ayant des histoires particulières qui ont modelé ce qu'ils sont devenus. Une constante dans l'histoire des États-Unis d'Amérique c'est le caractère violent de leur société alors que le Canada se caractérise par son caractère pacifique, par sa mollesse diront certains. Réflexion sur l'avenir des relations canado-américaines.

Un peu d'histoire

Mon affirmation précédente sur le caractère violent de la société américaine n'est pas fondée sur la lecture de l'actualité récente, mais plutôt sur mes lectures sur l'histoire américaine des biographies de ses présidents depuis Washington. Depuis le début de l'année, je me suis intéressé à la lecture de toutes les biographies des présidents américains dans la collection The American Presidents qui compte pour le moment 42 titres soit de George Washington à Bill Clinton. Toutes les biographies sont écrites dans des manuscrits d'environ 180 pages. Elles sont toutes dotées du même plan. On y apprend les origines du président faisant l'objet de la biographie, sa vie familiale, ses idées, son rôle politique, ses victoires et ses défaites ainsi que les circonstances de son départ de la politique et de sa mort. Lire toutes ces biographies, je n'ai pas terminé, je n'en suis qu'au 22e président en ce moment Grover Cleveland. Tout au long de ces lectures qui sont de l'histoire politique pure, on y voit les relations de ce pays avec les Indiens (Premières Nations) les Afro-Américains et l'esclavage ainsi que la propension de ce pays de toujours croitre par ses frontières à l'Ouest. On y retrouve des perles et des faits oubliés. En ce qui concerne le Canada, il ne faut pas oublier la guerre nous opposant aux États-Unis en 1812 ni les turpitudes de nos relations troubles durant les rébellions de 1837-1838. Le Canada a longtemps été vu par les Américains comme un territoire à conquérir. À preuve, la déclaration du président du comité des Affaires extérieures, élu du Massachusetts, qui réclamait dans le cadre de négociations avec la Grande-Bretagne sur le traité de l'Alabama que l'on cède le Canada en guise de compensation pour les interventions britanniques à la faveur du Sud dans la guerre civile. (Biographie Ulysse S Grant, 18th Président 1869-1877)

Cela dit, le Canada a su, au long de leur longue histoire commune développer des relations d'amitié et de collaboration avec son puissant voisin, mais jamais il ne faut oublier que leurs histoires sont passablement différentes notamment en ce qui concerne nos liens avec le colonialisme, l'esclavage, les armes et la violence.

Une frontière fluide et mouvante

Il est difficile d'imaginer à notre époque que les frontières sont un concept relativement récent. Pendant longtemps, les frontières entre les deux pays étaient poreuses et les aller-retour entre les deux pays étaient une composante essentielle des réalités. Ce n'est qu'en 1818 qu'une convention britanno-américaine clarifie le fait que la frontière ouest entre le Canada et les États-Unis est une ligne partant de l'extrême nord-ouest du lac des Bois et s'étendant jusqu'au 49e parallèle, qu'elle longe vers l'ouest jusqu'aux montagnes Rocheuses. Ce n'est qu'en 1842, à la suite de la signature du traité Webster-Ashburton que la frontière entre le Maine et le Nouveau-Brunswick a été tracée. Quant à l'Alaska, territoire acheté par les États-Unis à la Russie en 1867, la dispute au sujet de sa frontière avec le Canada n'a été réglée qu'en 1903. Encore aujourd'hui, il existe des désaccords entre les deux pays sur le tracé des frontières communes notamment l'île de Machias dans le golfe du Maine, l'entrée Dixon (détroit sur la côte du Pacifique), le détroit de Juan de Fuca dans la région de Vancouver et la mer de Beaufort entre l'Alaska et le Yukon. Ces querelles et ces pourparlers entre les deux pays indiquent bien que ce sont des pays différents, bien que des pays amis et des partenaires.

Des valeurs communes, pas tant que cela

Il fait bon d'entendre le président américain Joe Biden et notre premier ministre Justin Trudeau faire état de nos valeurs communes pour la liberté, la démocratie et le travail, mais ils passent sous silence de grandes différences qui seraient impossibles de concilier si nous partagions le même pays. À commencer par la relation des Américains avec les Afro-Américains. Les États-Unis ont été bâtis sur le racisme et l'esclavagisme. Bien que des progrès aient été notés et qu'ils sont notables dans les années 1960 ! Pour combattre la discrimination envers la population afro-américaine, on ne peut que voir des reculs en ces matières chez notre voisin du Sud depuis l'élection de Barack Obama à la présidence américaine. Curieux paradoxe ! Qui plus est ce racisme latent que l'on peut sentir lorsque l'on séjourne dans le sud des États-Unis s'étend aussi aux latinos. Les discours de Trump sur les latinos qui traversent la frontière américaine au sud en témoignent éloquemment.

Par ailleurs, le rapport au travail chez nos voisins du Sud est fort différent de celui des Canadiens. Aux États-Unis, il n'est pas rare de voir les gens travailler six ou sept jours sur sept, multiplier les divers boulots pour nourrir leurs familles et subvenir à leurs besoins. Aux États-Unis, pas de filet social, ou si peu, les riches peuvent se payer tous les services dont ils ont besoin, mais pas les plus pauvres. Tout coûte cher aux États-Unis, l'université, le collège, la santé, les garderies et tutti quanti. Indiscutablement, notre rapport à des valeurs comme l'entraide, l'impôt sur le revenu, la mise en place de programmes sociaux et le rôle de l'État est fort différent.

Une culture envahissante

Quand on y pense, ce qui fait de nous, les Canadiens ou les Québécois, des Américains c'est notre adhésion à la culture américaine de consommation et notre engouement pour les produits culturels américains. À ce jeu, les Québécois, à cause de leur langue et leur culture, sont moins assimilables que les Canadiens qui ont la même langue commune. Le temps où les Canadiens se définissaient comme des antiaméricains est révolu bien qu'encore présent dans les milieux progressistes canadiens-anglais.

Néanmoins, le triomphe du numérique, l'ubérisation de l'économie et l'emprise de la culture des GAFAM a pour effet d'américaniser le monde à un train d'enfer et constitue une menace non seulement à nos économies, mais aussi à nos modes de vie et à la culture distincte avec un grand C.

Les États-Unis d'Amérique, des amis fiables ?

Dans ce contexte, si l'on peut se réjouir de pouvoir compter sur la protection militaire de notre voisin du Sud et de participer pleinement à l'une des économies les plus prospères du monde, nous ne devons pas perdre de vue que nos intérêts bien que souvent convergents ne sont pas les mêmes. Comme l'a déclaré le président Biden, le Canada pourra toujours compter sur la bienveillance des États-Unis d'Amérique, mais il ne devra jamais oublier que nous devons prendre en compte leurs intérêts. Les Américains ne sont pas des amis inconditionnels, mais des partenaires. Ils nous aiment, nous les aimons, tant mieux, mais n'oublions pas que nous sommes une souris dans un lit d'éléphant...


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