La visite du président américain Joe Biden les 23 et 24 mars
dernier a été un succès diplomatique pour le Canada. L'attitude et les propos
tenus par le président Biden tranchaient avec ceux tenus il n'y a pas si longtemps
par son prédécesseur l'ineffable Donald J. Trump. Ce vieil homme président a
tout du visage du grand-père rassurant et la prévisibilité de ses actions est
un puissant ingrédient conduisant à une harmonisation des relations entre nos
deux pays. Cela dit, en dépit des déclarations apaisantes de Joe Biden, les
États-Unis et le Canada sont deux pays différents, ayant des histoires
particulières qui ont modelé ce qu'ils sont devenus. Une constante dans
l'histoire des États-Unis d'Amérique c'est le caractère violent de leur société
alors que le Canada se caractérise par son caractère pacifique, par sa mollesse
diront certains. Réflexion sur l'avenir des relations canado-américaines.
Un peu
d'histoire
Mon affirmation précédente sur le caractère violent de la
société américaine n'est pas fondée sur la lecture de l'actualité récente, mais
plutôt sur mes lectures sur l'histoire américaine des biographies de ses
présidents depuis Washington. Depuis le début de l'année, je me suis intéressé
à la lecture de toutes les biographies des présidents américains dans la
collection The American Presidents qui compte pour le moment 42 titres
soit de George Washington à Bill Clinton. Toutes les biographies sont écrites
dans des manuscrits d'environ 180 pages. Elles sont toutes dotées du même
plan. On y apprend les origines du président faisant l'objet de la biographie,
sa vie familiale, ses idées, son rôle politique, ses victoires et ses défaites
ainsi que les circonstances de son départ de la politique et de sa mort. Lire toutes
ces biographies, je n'ai pas terminé, je n'en suis qu'au 22e président
en ce moment Grover Cleveland. Tout au long de ces lectures qui sont de
l'histoire politique pure, on y voit les relations de ce pays avec les Indiens
(Premières Nations) les Afro-Américains et l'esclavage ainsi que la propension
de ce pays de toujours croitre par ses frontières à l'Ouest. On y retrouve des
perles et des faits oubliés. En ce qui concerne le Canada, il ne faut pas
oublier la guerre nous opposant aux États-Unis en 1812 ni les turpitudes de nos
relations troubles durant les rébellions de 1837-1838. Le Canada a longtemps
été vu par les Américains comme un territoire à conquérir. À preuve, la
déclaration du président du comité des Affaires extérieures, élu du Massachusetts,
qui réclamait dans le cadre de négociations avec la Grande-Bretagne sur le
traité de l'Alabama que l'on cède le Canada en guise de compensation pour les
interventions britanniques à la faveur du Sud dans la guerre civile.
(Biographie Ulysse S Grant, 18th Président 1869-1877)
Cela dit, le Canada a su, au long de leur longue histoire
commune développer des relations d'amitié et de collaboration avec son puissant
voisin, mais jamais il ne faut oublier que leurs histoires sont passablement
différentes notamment en ce qui concerne nos liens avec le colonialisme,
l'esclavage, les armes et la violence.
Une
frontière fluide et mouvante
Il est difficile d'imaginer à notre époque que les
frontières sont un concept relativement récent. Pendant longtemps, les frontières
entre les deux pays étaient poreuses et les aller-retour entre les deux pays
étaient une composante essentielle des réalités. Ce n'est qu'en 1818 qu'une
convention britanno-américaine clarifie le fait que la frontière ouest entre le
Canada et les États-Unis est une ligne partant de l'extrême nord-ouest du lac
des Bois et s'étendant jusqu'au 49e parallèle, qu'elle longe
vers l'ouest jusqu'aux montagnes Rocheuses. Ce n'est qu'en 1842, à la suite de
la signature du traité Webster-Ashburton que la frontière entre le Maine et le
Nouveau-Brunswick a été tracée. Quant à l'Alaska, territoire acheté par les
États-Unis à la Russie en 1867, la dispute au sujet de sa frontière avec le
Canada n'a été réglée qu'en 1903. Encore aujourd'hui, il existe des désaccords
entre les deux pays sur le tracé des frontières communes notamment l'île de
Machias dans le golfe du Maine, l'entrée Dixon (détroit sur la côte du Pacifique),
le détroit de Juan de Fuca dans la région de Vancouver et la mer de
Beaufort entre l'Alaska et le Yukon. Ces querelles et ces pourparlers entre les
deux pays indiquent bien que ce sont des pays différents, bien que des pays
amis et des partenaires.
Des
valeurs communes, pas tant que cela
Il fait bon d'entendre le président américain Joe Biden et
notre premier ministre Justin Trudeau faire état de nos valeurs communes pour la
liberté, la démocratie et le travail, mais ils passent sous silence de grandes
différences qui seraient impossibles de concilier si nous partagions le même
pays. À commencer par la relation des Américains avec les Afro-Américains. Les
États-Unis ont été bâtis sur le racisme et l'esclavagisme. Bien que des progrès
aient été notés et qu'ils sont notables dans les années 1960 ! Pour
combattre la discrimination envers la population afro-américaine, on ne peut
que voir des reculs en ces matières chez notre voisin du Sud depuis l'élection
de Barack Obama à la présidence américaine. Curieux paradoxe ! Qui plus est ce
racisme latent que l'on peut sentir lorsque l'on séjourne dans le sud des
États-Unis s'étend aussi aux latinos. Les discours de Trump sur les latinos qui
traversent la frontière américaine au sud en témoignent éloquemment.
Par ailleurs, le rapport au travail chez nos voisins du Sud
est fort différent de celui des Canadiens. Aux États-Unis, il n'est pas rare de
voir les gens travailler six ou sept jours sur sept, multiplier les divers
boulots pour nourrir leurs familles et subvenir à leurs besoins. Aux États-Unis,
pas de filet social, ou si peu, les riches peuvent se payer tous les services
dont ils ont besoin, mais pas les plus pauvres. Tout coûte cher aux États-Unis,
l'université, le collège, la santé, les garderies et tutti quanti.
Indiscutablement, notre rapport à des valeurs comme l'entraide, l'impôt sur le
revenu, la mise en place de programmes sociaux et le rôle de l'État est fort
différent.
Une culture
envahissante
Quand on y pense, ce qui fait de nous, les Canadiens ou les
Québécois, des Américains c'est notre adhésion à la culture américaine de
consommation et notre engouement pour les produits culturels américains. À ce
jeu, les Québécois, à cause de leur langue et leur culture, sont moins
assimilables que les Canadiens qui ont la même langue commune. Le temps où les
Canadiens se définissaient comme des antiaméricains est révolu bien qu'encore
présent dans les milieux progressistes canadiens-anglais.
Néanmoins, le triomphe du numérique, l'ubérisation de
l'économie et l'emprise de la culture des GAFAM a pour effet d'américaniser le
monde à un train d'enfer et constitue une menace non seulement à nos économies,
mais aussi à nos modes de vie et à la culture distincte avec un grand C.
Les
États-Unis d'Amérique, des amis fiables ?
Dans ce contexte, si l'on peut se réjouir de pouvoir compter
sur la protection militaire de notre voisin du Sud et de participer pleinement
à l'une des économies les plus prospères du monde, nous ne devons pas perdre de
vue que nos intérêts bien que souvent convergents ne sont pas les mêmes. Comme
l'a déclaré le président Biden, le Canada pourra toujours compter sur la
bienveillance des États-Unis d'Amérique, mais il ne devra jamais oublier que
nous devons prendre en compte leurs intérêts. Les Américains ne sont pas des
amis inconditionnels, mais des partenaires. Ils nous aiment, nous les aimons,
tant mieux, mais n'oublions pas que nous sommes une souris dans un lit
d'éléphant...