Même si le parlement du Canada a reconnu, sous le
gouvernement conservateur de Stephen Harper, la nation québécoise, il semble
que ce concept fasse encore des vagues au Canada anglais, du moins sous les claviers
de nombreux éditorialistes et commentateurs des grands quotidiens torontois. Tout
ce bruit parce que le gouvernement nationaliste de François Legault a décidé
dans le cadre du dépôt de son projet de loi sur la langue française d'utiliser
une obscure clause, la clause 45 de la constitution canadienne, lui
permettant d'écrire dans la constitution canadienne que le Québec est une
nation et que sa langue est le français. On va même jusqu'à accuser le premier
ministre Justin Trudeau de ne pas être à la hauteur de l'héritage de son père
en matière de ferveur canadienne. Ces commentateurs et éditorialistes si
empressés de reconnaître le colonialisme de l'État canadien vis-à-vis les
peuples des Premières Nations peinent à pousser leur raisonnement jusqu'au bout
lorsqu'il est question de la nation québécoise. Réflexions libres sur un pays
balkanisé et incapable de reconnaître que le Canada est formé de plusieurs
nations et qu'il y a un intérêt à reconnaître les droits collectifs de la
nation québécoise.
Le déclin
du français ?
Tout
cela débute avec un triste constat. La langue française est en péril au Québec.
Malgré les bienfaits de la loi 101, cette langue n'en finit plus de
reculer dans les terres montréalaises et le transfert linguistique des nouveaux
arrivants atteint à peine plus de 50 % vers la langue française alors
qu'au Canada cela se chiffre à plus de 90 % en faveur de la langue
anglaise. De nombreux démographes ont sonné l'alarme comme Charles Castonguay
qui a même écrit un livre sur la question publié l'année dernière un livre fort
instructif intitulé Le Français en chute libre. La nouvelle
dynamique des langues au Québec.
Dans ce livre édité par le Mouvement Québec français,
Castonguay constate que le français est en péril au Québec : « La nouvelle
dynamique des langues au Québec ne correspond en rien à ce que Camille Laurin,
le père de la Charte de la langue française, avait à l'esprit. Or, depuis
l'échec du deuxième référendum sur l'indépendance en 1995, la promotion et
l'utilisation du français dans la vie publique n'ont été une priorité pour
aucun gouvernement québécois. D'où l'anglicisation renaissante de la majorité
francophone elle-même. En définitive, le caractère français de la société
québécoise n'est plus assuré. » (Charles Castonguay, Le Français en chute
libre. La nouvelle dynamique des langues au Québec, Montréal, Mouvement Québec
français, 2020, p. 38.)
Je sais, certains penseront que ce sont des lubies de
nationalistes que ces inquiétudes pour l'avenir de la langue française et que
tout va à merveille. Cela est inexact. Il n'y a pas que les nationalistes
québécois qui posent ce constat. Tous les spécialistes-démographes, toutes les
études pointent dans la même direction. Les chiffres sont accablants. Même le
gouvernement de Justin Trudeau croit important d'agir pour protéger la langue
française. C'est heureusement ce qu'a choisi de faire le gouvernement Legault
et son ministre responsable de la langue française, Simon Jolin-Barrette.
La loi 96 : un projet de
Loi équilibré...
Après de nombreux mois d'attente, le gouvernement Legault a
finalement déposé son projet de loi sur la langue française. L'attente en
valait la peine, car le projet de loi déposé est sérieux, solide et équilibré
et il vient s'attaquer à la problématique inquiétante du déclin relatif de la
langue française au Québec tout particulièrement à Montréal. Dans la conférence
de presse tenue le 13 mai dernier, en compagnie du premier ministre
François Legault, le ministre de la Justice et responsable de la langue
française, Simon
Jolin-Barrette a déclaré ceci : « Après plus d'un an de
travail, de consultations, de réflexions, nous y sommes. C'est avec beaucoup de
fierté et un grand honneur que nous avons déposé ce matin le projet de réforme
de la Charte de la langue française afin d'assurer la pérennité et la
protection de notre langue. De nombreux ouvrages, études et reportages ont
permis d'éclairer notre regard collectif sur l'état du français au Québec. Le
portrait qui en ressort est inquiétant et sans équivoque. La langue française
recule, et ce, dans plusieurs sphères névralgiques de notre société. Les
tendances sont lourdes. Le Québec et la langue française sont indissociables...
car notre langue perd du terrain, la nation québécoise perd de sa force. La
langue française est notre seule langue officielle et commune. C'est en
français que nous échangeons, que nous travaillons, que nous apprenons et que
nous nous affirmons. La langue française nous unit. Notre projet de loi s'inscrit
dans la continuité d'une lutte que nous menons depuis plusieurs siècles. Le
Québec existe parce que ceux et celles qui étaient là avant nous ont su
construire une nation francophone en Amérique. Nous leur devons d'agir avec
fierté et d'assurer l'avenir de notre langue afin que les générations qui nous
succèdent puissent à leur tour contribuer en français à l'avancement de ce
Québec que nous aimons. Au déclin tranquille, nous proposons l'espoir d'un
renouveau, d'une relance linguistique. »
Pour sa part, le premier
ministre Legault a tenu à rappeler que : « Et,
quand je pense aussi à toutes les générations qui se sont succédé à travers les
années pour protéger le français dans une mer d'anglophones, dans une Amérique
du Nord massivement anglophone, bien, je me sens aussi une responsabilité,
parce que le français sera toujours vulnérable à cause de la situation du
Québec en Amérique du Nord. Et, dans ce sens-là, chaque génération qui passe a
la responsabilité de notre langue. Puis là, c'est à notre tour. C'est notre
génération qui doit porter ce flambeau avec fierté. Et Simon a déposé aujourd'hui
le projet de loi no 96, un projet de loi solide, un projet de
loi nécessaire et un projet de loi raisonnable. Et cette loi no 96,
quand elle va être adoptée, ça va être le geste le plus fort qui aura été posé
depuis le dépôt de la loi 101 en 1977. Donc, 44 ans plus tard, un
gouvernement nationaliste prend le relais du gouvernement Lévesque pour
présenter une nouvelle loi 101. Puis je le dis en toute modestie. Vous
savez mon admiration pour René Lévesque. Et ce qu'on doit se dire, c'est que la
loi 101 a été un rempart, a été un levier extraordinaire pour protéger le
Québec depuis 44 ans. Mais, quand on regarde les chiffres, quand on
regarde les projections, c'est évident qu'on doit en faire plus, puis il y a
une urgence d'agir. »
Chose certaine, ce projet de Loi est équilibré,
respectueux de la communauté anglophone et il cherche à faire confiance à la
population du Québec. Il y a oui urgence d'agir, mais pas besoin d'utiliser la
coercition pour atteindre nos objectifs, il faut aussi séduire par notre
langue.
Les réactions
Bien sûr, l'équilibre que l'on retrouve dans les
mesures proposées par le gouvernement Legault fait en sorte que les plus
nationalistes trouvent que le projet de loi ne va pas assez loin alors que les
anglophones jugent que cela va trop loin. On n'en sortira jamais, dans une
chronique la semaine dernière, le journaliste Christian Rioux
rappelait une citation d'Étienne Parent qui est d'actualité aujourd'hui :
« L'assimilation, sous le nouvel état
de choses, disait-il, se fera graduellement et sans secousse et sera d'autant
plus prompte qu'on la laissera à son cours naturel et que les Canadiens
français y seront conduits par leur propre intérêt, sans que leur amour-propre
en soit trop blessé. »
Malgré les propos rassurants tenus par le ministre
Jolin-Barrette à l'endroit de la communauté anglophone : « Aux
Québécois d'expression anglaise, je le réitère, le gouvernement du Québec agira
dans le respect le plus complet des institutions de la communauté
anglo-québécoise. Les mesures visant à renforcer le statut du français comme
langue commune se feront à l'avantage de toutes les Québécoises et de tous les
Québécois, sans exception. » Certains ont exprimé leurs mécontentements.
Ainsi, la déclaration du président de la
Townshipper's Association, Gérald Cutting qui a réagi en disant : « Quand j'ai pris
connaissance des objectifs du projet de loi, j'ai senti que je venais de recevoir
un coup de poing dans l'estomac. J'en ai perdu le souffle. » Dans une entrevue
accordée à un quotidien local, monsieur Cutting s'inquiétait aussi de la mesure
concernant les collèges anglophones.
À voir les
réactions comme celle-ci et celles des quotidiens de Toronto, on peut constater
que nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Le combat pour affirmer le droit à
l'existence de la Nation québécoise et notre volonté de vivre en français en
Amérique du Nord au sein ou non du Canada sera toujours une tâche à remettre
sur le métier. Ce sera toujours difficile de vivre comme une nation dans un pays
en déséquilibre...