Je suis présentement aux États-Unis. Comme chaque année, je vis
paisiblement sous le soleil de la Floride mon séjour annuel chez mon voisin du
sud. Cette année, c'est un peu différent. Lorsque je prends connaissance des
faits d'actualité diffusés chez nous au Québec, je ne peux que me rendre à
l'évidence qu'il existe un sentiment d'anxiété généralisé à propos de la
nouvelle présidence américaine. Il faut dire que le président en est
responsable. Il préside à une grande télé-réalité dans laquelle il donne aux
États-Unis d'Amérique le rôle de victime de ses méchants voisins, canadiens et
mexicains, et cela justifie à ses yeux toutes mesures de représailles afin de
rétablir l'honneur de l'Amérique. Le temps où l'Amérique était exploitée par
ses voisins est révolu. Cela explique ses propos agressifs et méprisants à
l'endroit du premier ministre du Canada et de tous ses alliés. En fait, le
président Trump a ouvert une distillerie de haine et d'anxiété qui vient hanter
l'imaginaire de ses voisins et qui morpionne
le climat de bonne entente qui a caractérisé les relations
canado-américaines depuis des décennies. De la menace des tarifs qui à ce jour
ne se concrétise pas, à la contestation de la frontière ou de la volonté de
faire du Canada le 51e État américain, le Grand Timonier de la
télé-réalité canado-américaine n'a de cesse de semer l'inquiétude et le chaos.
Faut-il vraiment craindre notre voisin américain qui ne désire plus notre
amitié ?
Faire la
part des choses
Il faut d'abord donner à la vérité ses droits. Il est faux de
prétendre, comme semblent vouloir nous le faire croire nos médias québécois,
qu'il y a un changement dans les relations que nous pouvons entretenir avec les
Américains, du moins pour ce que j'en vois en Floride. Certes, il peut arriver
que nous puissions rencontrer un imbécile, je n'en ai pas personnellement
rencontré, qui croit que les Canadiens devraient retourner chez eux et quitter
le sol américain. Je sais que le réseau TVA a mis à l'écran un exemplaire de ce
type de comportement, mais il ne faut pas en déduire que c'est un comportement
que l'on retrouve quotidiennement chez nos voisins américains.
Il est vrai que huer l'hymne national américain lors d'événements
sportifs n'est pas la trouvaille du siècle. Les Américains étant de fervents
patriotes, ils ne peuvent apprécier ce type de comportement de notre part. Le
premier ministre sortant, Justin Trudeau, a justifié ce comportement sans
l'approuver par la colère légitime des Canadiens et des Québécois. Je veux
bien, mais force est d'admettre que cela ne nous permettra pas de faire changer
les politiques tarifaires américaines, ni d'amadouer le grand marionnettiste
Trump. Cela ne fait, à mon sens, que nourrir la bête de la haine et l'incompréhension
entre Canadiens et Américains. Mon auteur fétiche, Albert Camus, un grand
auteur qui a combattu toute sa vie la haine des hommes par ses écrits et qui
n'a jamais cédé à la tentation de prendre parti entre son Algérie natale et sa
France adoptive a écrit dans Le Mythe de Sisyphe en 1942 : « Je disais que
le monde est absurde et j'allais trop vite. Ce monde en lui-même n'est pas
raisonnable, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c'est
la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont
l'appel résonne au plus profond de l'homme. L'absurde dépend autant de l'homme
que du monde. Il est pour le moment le seul lien. Il les scelle l'un à l'autre
comme la haine seule peut river les êtres. » (Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe,
p. 38)
Ce qui l'a amené à dire que la victoire de l'homme sur l'absurde
serait d'adopter le mot d'ordre simple et convaincant : « Ni peur ni
haine. »
Pour y parvenir, il faut garder notre sang-froid et ne pas céder à la
tentation des raccourcis et surtout refuser de céder à la campagne de peur et
d'anxiété ambiante. Il faut surtout se méfier de la désinformation toxique.
La
désinformation
Un exemple parmi tant d'autres de désinformation m'est donné par le
site Facebook habituellement bon enfant. La page Les snowbirds Québec, sur laquelle quelqu'un a fabriqué une photo avec
l'aide de l'intelligence artificielle où l'on peut voir des autos avec des
plaques d'immatriculation québécoises quitter l'État de la Floride sous les
regards d'une foule en liesse, on imagine des Américains heureux de nous voir
quitter leur pays. Un examen sommaire de la photo permet de voir que c'est une
photo truquée où les panneaux de signalisation routière sont en langues arabes.
Bref, comme dirait l'autre fake news.
Cette désinformation est un outil privilégié pour attiser la haine et nourrir
l'anxiété. Il faut garder la tête froide. Oui, il est vrai que le président
actuel des États-Unis a un comportement imprévisible. Il est aussi indéniable
qu'il manie de la poudre d'explosif qui pourrait exploser et mettre fin à un
ordre mondial installé par les États-Unis d'Amérique après la Seconde Guerre
mondiale.
La réélection de Donald Trump en novembre 2024 à la présidence des
États-Unis marque un tournant majeur dans les relations internationales et la
dynamique de l'ordre mondial. Le phénomène « trumpisme » redéfinit non
seulement la politique intérieure américaine, mais également a des
répercussions profondes sur le système international et sur nous, le Canada. Ce
nouvel ordre mondial que veut instaurer Trump est caractérisé par un populisme
ascendant, un nationalisme exacerbé et une remise en question des alliances
traditionnelles. Cela oblige le monde occidental libre à repenser les relations
internationales contemporaines.
Penser un
monde nouveau
Pour les Chinois et les Japonais, le mot crise est constitué de deux
idéogrammes Wei (danger) et Ji (opportunité). Ce qui signifie paradoxalement
que dans chaque crise il y a une opportunité. La présente crise entre le Canada
et les États-Unis ne fait pas exception. Alors que nous entrons dans une
nouvelle ère, il est crucial pour les nations du monde de réévaluer leurs
priorités et leurs alliances et de collaborer collectivement devant le défi que
pose la trahison de notre ex-allié américain. Le nouvel ordre international qui
en découlera sera déterminé non seulement par les puissances traditionnelles
comme les États-Unis, mais également par de nouveaux acteurs émergents comme le
Canada qui pourrait profiter de l'occasion pour jouer un rôle plus central sur
la scène internationale en laissant son rôle du petit chien-chien obéissant des
États-Unis et en nouant des relations avec des pays qui auraient été
impensables avant cette crise provoquée et générée par le président Trump. La
Chine, à titre d'exemple, pourrait devenir un allié plus fréquentable dans un
tel contexte. Il faut repenser nos relations avec les pays du BRIC (un groupe
de dix pays qui réunit le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine, l'Afrique du
Sud, l'Iran, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Indonésie et l'Éthiopie). Il
faut penser ce monde en compagnie et en collaboration avec nos alliés
européens. Nous ne pouvons pas faire cavalier seul en cette matière. Nous
n'avons ni la force ni les moyens. Quand j'entends nos va-t-en-guerre canadiens
qui suggèrent de couper le pétrole et l'électricité aux États-Unis, je trouve
que je vis dans un monde surréaliste. Si nos actions deviennent à ce point
agressives envers nos voisins en les attaquant dans leur vie quotidienne,
croyez-vous qu'ils deviendront sympathiques à l'injustice que nous vivons
causée par leur président nouvellement élu ? Pensez-vous que Trump ne saisira
pas l'occasion pour justifier une action militaire contre le Canada ?
Ce n'est pas facile de trouver le bon équilibre de nos actions et de
nos réactions à ce président qui multiplie les provocations inutiles. J'en
conviens, mais personne ne me convaincra que les Américains que je fréquente
sur les terrains de golf ou dans les parcs canins sont des ennemis à abattre. Je
suis cependant moins réservé qu'à l'habitude dans mes commentaires sur la
politique américaine. Je me suis acheté une casquette qui dit : le Canada
est déjà grand et il n'a pas besoin de redevenir grand encore. Casquette que je
porte fièrement en public pour provoquer la discussion au sujet du Canada avec
les Américains. Je continue à penser que la politique américaine n'est pas mes
affaires, mais je ne peux m'empêcher de dire que leur président bien-aimé se
promène les mains tachées de haine...