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Les mains tachées de haine…

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 12 mars 2025

Je suis présentement aux États-Unis. Comme chaque année, je vis paisiblement sous le soleil de la Floride mon séjour annuel chez mon voisin du sud. Cette année, c'est un peu différent. Lorsque je prends connaissance des faits d'actualité diffusés chez nous au Québec, je ne peux que me rendre à l'évidence qu'il existe un sentiment d'anxiété généralisé à propos de la nouvelle présidence américaine. Il faut dire que le président en est responsable. Il préside à une grande télé-réalité dans laquelle il donne aux États-Unis d'Amérique le rôle de victime de ses méchants voisins, canadiens et mexicains, et cela justifie à ses yeux toutes mesures de représailles afin de rétablir l'honneur de l'Amérique. Le temps où l'Amérique était exploitée par ses voisins est révolu. Cela explique ses propos agressifs et méprisants à l'endroit du premier ministre du Canada et de tous ses alliés. En fait, le président Trump a ouvert une distillerie de haine et d'anxiété qui vient hanter l'imaginaire de ses voisins et qui morpionne le climat de bonne entente qui a caractérisé les relations canado-américaines depuis des décennies. De la menace des tarifs qui à ce jour ne se concrétise pas, à la contestation de la frontière ou de la volonté de faire du Canada le 51e État américain, le Grand Timonier de la télé-réalité canado-américaine n'a de cesse de semer l'inquiétude et le chaos. Faut-il vraiment craindre notre voisin américain qui ne désire plus notre amitié ?

Faire la part des choses

Il faut d'abord donner à la vérité ses droits. Il est faux de prétendre, comme semblent vouloir nous le faire croire nos médias québécois, qu'il y a un changement dans les relations que nous pouvons entretenir avec les Américains, du moins pour ce que j'en vois en Floride. Certes, il peut arriver que nous puissions rencontrer un imbécile, je n'en ai pas personnellement rencontré, qui croit que les Canadiens devraient retourner chez eux et quitter le sol américain. Je sais que le réseau TVA a mis à l'écran un exemplaire de ce type de comportement, mais il ne faut pas en déduire que c'est un comportement que l'on retrouve quotidiennement chez nos voisins américains.

Il est vrai que huer l'hymne national américain lors d'événements sportifs n'est pas la trouvaille du siècle. Les Américains étant de fervents patriotes, ils ne peuvent apprécier ce type de comportement de notre part. Le premier ministre sortant, Justin Trudeau, a justifié ce comportement sans l'approuver par la colère légitime des Canadiens et des Québécois. Je veux bien, mais force est d'admettre que cela ne nous permettra pas de faire changer les politiques tarifaires américaines, ni d'amadouer le grand marionnettiste Trump. Cela ne fait, à mon sens, que nourrir la bête de la haine et l'incompréhension entre Canadiens et Américains. Mon auteur fétiche, Albert Camus, un grand auteur qui a combattu toute sa vie la haine des hommes par ses écrits et qui n'a jamais cédé à la tentation de prendre parti entre son Algérie natale et sa France adoptive a écrit dans Le Mythe de Sisyphe en 1942 : « Je disais que le monde est absurde et j'allais trop vite. Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. L'absurde dépend autant de l'homme que du monde. Il est pour le moment le seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme la haine seule peut river les êtres. » (Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, p. 38)

Ce qui l'a amené à dire que la victoire de l'homme sur l'absurde serait d'adopter le mot d'ordre simple et convaincant : « Ni peur ni haine. »

Pour y parvenir, il faut garder notre sang-froid et ne pas céder à la tentation des raccourcis et surtout refuser de céder à la campagne de peur et d'anxiété ambiante. Il faut surtout se méfier de la désinformation toxique.

La désinformation

Un exemple parmi tant d'autres de désinformation m'est donné par le site Facebook habituellement bon enfant. La page Les snowbirds Québec, sur laquelle quelqu'un a fabriqué une photo avec l'aide de l'intelligence artificielle où l'on peut voir des autos avec des plaques d'immatriculation québécoises quitter l'État de la Floride sous les regards d'une foule en liesse, on imagine des Américains heureux de nous voir quitter leur pays. Un examen sommaire de la photo permet de voir que c'est une photo truquée où les panneaux de signalisation routière sont en langues arabes. Bref, comme dirait l'autre fake news. Cette désinformation est un outil privilégié pour attiser la haine et nourrir l'anxiété. Il faut garder la tête froide. Oui, il est vrai que le président actuel des États-Unis a un comportement imprévisible. Il est aussi indéniable qu'il manie de la poudre d'explosif qui pourrait exploser et mettre fin à un ordre mondial installé par les États-Unis d'Amérique après la Seconde Guerre mondiale.

La réélection de Donald Trump en novembre 2024 à la présidence des États-Unis marque un tournant majeur dans les relations internationales et la dynamique de l'ordre mondial. Le phénomène « trumpisme » redéfinit non seulement la politique intérieure américaine, mais également a des répercussions profondes sur le système international et sur nous, le Canada. Ce nouvel ordre mondial que veut instaurer Trump est caractérisé par un populisme ascendant, un nationalisme exacerbé et une remise en question des alliances traditionnelles. Cela oblige le monde occidental libre à repenser les relations internationales contemporaines.

Penser un monde nouveau

Pour les Chinois et les Japonais, le mot crise est constitué de deux idéogrammes Wei (danger) et Ji (opportunité). Ce qui signifie paradoxalement que dans chaque crise il y a une opportunité. La présente crise entre le Canada et les États-Unis ne fait pas exception. Alors que nous entrons dans une nouvelle ère, il est crucial pour les nations du monde de réévaluer leurs priorités et leurs alliances et de collaborer collectivement devant le défi que pose la trahison de notre ex-allié américain. Le nouvel ordre international qui en découlera sera déterminé non seulement par les puissances traditionnelles comme les États-Unis, mais également par de nouveaux acteurs émergents comme le Canada qui pourrait profiter de l'occasion pour jouer un rôle plus central sur la scène internationale en laissant son rôle du petit chien-chien obéissant des États-Unis et en nouant des relations avec des pays qui auraient été impensables avant cette crise provoquée et générée par le président Trump. La Chine, à titre d'exemple, pourrait devenir un allié plus fréquentable dans un tel contexte. Il faut repenser nos relations avec les pays du BRIC (un groupe de dix pays qui réunit le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud, l'Iran, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Indonésie et l'Éthiopie). Il faut penser ce monde en compagnie et en collaboration avec nos alliés européens. Nous ne pouvons pas faire cavalier seul en cette matière. Nous n'avons ni la force ni les moyens. Quand j'entends nos va-t-en-guerre canadiens qui suggèrent de couper le pétrole et l'électricité aux États-Unis, je trouve que je vis dans un monde surréaliste. Si nos actions deviennent à ce point agressives envers nos voisins en les attaquant dans leur vie quotidienne, croyez-vous qu'ils deviendront sympathiques à l'injustice que nous vivons causée par leur président nouvellement élu ? Pensez-vous que Trump ne saisira pas l'occasion pour justifier une action militaire contre le Canada ?

Ce n'est pas facile de trouver le bon équilibre de nos actions et de nos réactions à ce président qui multiplie les provocations inutiles. J'en conviens, mais personne ne me convaincra que les Américains que je fréquente sur les terrains de golf ou dans les parcs canins sont des ennemis à abattre. Je suis cependant moins réservé qu'à l'habitude dans mes commentaires sur la politique américaine. Je me suis acheté une casquette qui dit : le Canada est déjà grand et il n'a pas besoin de redevenir grand encore. Casquette que je porte fièrement en public pour provoquer la discussion au sujet du Canada avec les Américains. Je continue à penser que la politique américaine n'est pas mes affaires, mais je ne peux m'empêcher de dire que leur président bien-aimé se promène les mains tachées de haine...


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