Ça s'est
passé l'autre jour.
J'empruntais
un nouveau trajet pour revenir du bureau en voiture. Mon trajet habituel s'est
vu bousculé par des travaux routiers majeurs qui dureront plusieurs mois.
Ce
soir-là, j'en étais à mon troisième essai en quelques jours. Je cherche
essentiellement deux choses : le trajet le plus efficace et l'heure idéale
pour circuler.
Pause.
Je relis
les premières phrases de cette chronique et j'ai soudainement l'impression que
je joue une partie très importante de l'ensemble de ma vie par ces essais de
trajets!
Je
poursuis.
Arrivé à
une intersection, je découvre qu'il faudra l'équivalent de « trois
lumières » avant de traverser celle-ci. J'entends par « trois
lumières » le temps que ça prendra avant que ce soit mon tour.
Et là,
je me mets à regarder autour. Et à me regarder aller au passage!
Les
voitures s'agglutinent à l'intersection. Il y a bien plus de voitures qu'à
l'habitude, il faut bien le dire. Et ce qui doit arriver arrive : la file
est suffisamment longue pour franchir une autre intersection en amont. Mon
voisin de voie, à gauche, s'avance et colle la voiture d'en avant. Il obstrue
complètement l'intersection. Mais il s'en fout. Il fixe la voiture droit
devant. Il fait comme si rien d'autre n'existait autour. Il a franchement l'air
de se dire : « déjà qu'ils m'ont volé mon parcours, là, je vais pas
continuer à faire des concessions! Que la Ville fasse les choses
autrement, c'est pas mon trouble!»
Je me
dis que c'est ridicule.
D'autant
plus qu'en se plaçant où il est, il bloque aussi la traverse piétonnière,
forçant une dame avec une poussette, à se faufiler entre les pare-chocs des
voitures arrêtées.
J'imagine
que le monsieur se dit: « Ah! Ben eux autres, qu'y viennent pas gosser en
plus! La rue, c'est pour les chars! »
C'est là
que je me suis imaginé, moqueur, que le conducteur de la voiture qui bloque le
coin de rue et entrave la voie à d'autres qui pourraient passer tout droit est
peut-être un conciliateur professionnel chargé de dénouer des impasses! Ce
serait ironique. Ou un chirurgien qui s'en va débloquer une artère...
Ou
encore, c'est un coach de vie, ces bibittes populaires, qui va inviter ses
protégés à choisir leurs combats dans la vie!
Une fois
mon sourire en coin effacé, je me suis dit qu'au fond, c'est notre comportement
en société qui s'exprime dans une situation aussi banale qu'un arrêt un peu
prolongé à une intersection.
On aime
bien croire qu'on adhère à des valeurs (qu'on ne peut pas toujours nommer, cela
dit!), mais à la première contrainte, le « je » refait surface.
On agit
aussi comme si notre voiture, symbole de la liberté individuelle ultime, était
en fait un vaisseau qui doit circuler avec autant de liberté que son
conducteur. Les autres? Bien, qu'ils prennent leur liberté où ils peuvent! Tout
le monde est libre, non?
Ce
soir-là, je me suis dit que si on n'arrive pas à contenir notre propre système
nerveux à une simple intersection, qu'on ne pense qu'à notre trajet personnel,
qu'on se fout qu'il soit difficile à des piétons de traverser, bien, il n'y a
pas grand espoir qu'on arrive à un équilibre social global.
Ah! Oui,
et pour la petite histoire, ça m'a pris, effectivement, « trois
lumières » avant de passer l'intersection. Et j'ai vérifié précisément le
temps que j'ai gaspillé dans ma précieuse vie (!) : 3 minutes 24 secondes.
3
minutes 24 secondes.
Bien
assez long pour créer un traumatisme !
Clin
d'œil de la semaine
Au fond,
le bonheur, c'est une route ouverte sur laquelle on ne croise personne qui
vient provoquer une entrave. Pas compliqué, il me semble!