Les plus jeunes ne connaissent probablement pas ou peu
Gilbert Bécaud. Monsieur 100 000 Volts, comme il se faisait appeler, avait une
façon unique d'interpréter les paroles de ses chansons. Une façon bien à lui de
mettre une émotion souvent mordante sur des mots qui, subitement, empruntaient
un relief particulier.
Parmi ses interprétations marquantes, je retiens la chanson
L'indifférence. Un bijou en soi. Un appel à l'action marquée. Et une
interprétation dans laquelle il mord littéralement dans les consonnes et les
syllabes. Mais pas à la façon de Brel, qui avait tendance à sur rouler ses r.
Si vous ne connaissez pas la pièce de Bécaud, allez
l'écouter, elle vaut le détour :
https://music.youtube.com/search?q=l%27indiff%C3%A9rence+gilbert+b%C3%A9caud
Bécaud est décédé. Heureusement, il n'est pas mort dans
l'indifférence.
Sa chanson résonne plus fort que jamais dans ma tête et dans
nos sociétés contemporaines.
Un extrait :
Un homme marche. Un
homme marche, tombe et crève dans la rue. Eh ! Bien, personne
ne l'a vu, indifférence...
La vérité transpire de cette phrase à tel point que c'en est
troublant.
Le rythme intense de nos vies, la pression de performance,
l'anxiété qui s'installe, voilà autant d'éléments qui font qu'on regarde
ailleurs quand un problème survient. Qu'on ne s'occupe pas trop des choses
publiques et citoyennes. Ce n'est pas un blâme, c'est un triste constat.
Et voilà qu'une sorte de clown maléfique débarque à la
Maison-Blanche et chamboule complètement notre quotidien. Avant, c'était là-bas.
Aux z'états! Mais là, c'est la base de notre société, l'économie, qui est
attaquée.
L'économie est une science. Un système. Quand on modifie les
paramètres mêmes du système, au nom de l'idéologie narcissique d'un homme qui
se prend pour un empereur, voilà que tout est ébranlé. Tout. Et partout.
Entre 2016 et 2020, on s'est retranchés dans une sorte
d'indifférence en voyant le bonhomme orange tenter de régler la pandémie en
proposant des injections de Lestoil dans les veines... On se disait « Bof, c'est
une sorte de clown inoffensif... » et on a respiré d'aise quand il a perdu en
2020.
Le problème est revenu quatre ans plus tard, plus violent et
préparé que jamais, appuyé par une majorité d'Américains qui me semblent
parfois animés par une sorte de détresse les poussant à croire aux promesses
miraculeuses d'un homme qui n'a peur de rien...
Miraculeusement vides, les promesses, évidemment. Mais ça,
on le constate après coup.
L'indifférence, elle
te tue à petits coups, l'indifférence. Tu es l'agneau, elle est le loup,
l'indifférence. Un peu de haine, un peu d'amour, mais quelque chose...
L'étau qui se
resserre
L'économie se nourrit de prévisibilité et de faits
économiques vérifiables.
C'est exactement ce qui n'existe plus. Tout est improvisé et
basé sur des données largement inventées.
On a toujours, à mon point de vue, bien trop adulé les
réussites économiques. Trump est entouré de gens dont la réussite est citée en
exemple. Pourtant.
On a longtemps prétendu que si l'économie tourne bien, tout
va bien.
C'est plus faux que jamais. La réussite étant maintenant
mesurée par la seule capacité des actionnaires à accumuler plus et plus de
profits, voilà que la répartition de la richesse est démesurément injuste. La
richesse de l'un vient à tuer l'autre.
Maintenant, il nous faut naviguer en pleine guerre
commerciale mondiale.
Déjà que le tissu social s'effritait, les besoins ne vont
que s'accumuler.
Le bulletin de
nouvelles
Pourtant, samedi, le bulletin de nouvelles à la télé me
rassurait pas mal : partout dans le monde, des dizaines, voire des centaines de
milliers de personnes s'étaient donné rendez-vous juste là, dans la rue. Des
manifestations anti-Trump.
Autant de gens qui ont secoué leur indifférence. Une
indifférence qui se glisse vicieusement en nous et qui se fait oublier au point
qu'on ne la redoute plus, mais qui, subitement, se fait secouer par des gens
qui décident de dire haut et fort que ça ne va plus !
Je voudrais la voir crucifiée, l'indifférence. Qu'elle
serait belle, écartelée, l'indifférence, chante encore Bécaud. Et il faut
l'entendre mordre dans le mot écartelée...
L'indifférence qui se fait bousculer, c'est un bon message :
une graine d'espoir se trouve dans l'action.
Au fil des ans, l'indifférence, installée de façon crasse, a
fini par inviter son amie, l'anxiété qui s'occupe de nous paralyser un peu
plus. L'action est salvatrice. Pas la violence, évidemment. Mais la réunion des
voix qui parlent ensemble et refusent de se prosterner au nom d'une
indifférence qui aurait gagné.
Un pensons-y bien...
Clin d'œil de la
semaine
Quand un clown décide de devenir roi, le royaume ne gagne
pas. Il devient un cirque...