S'il y a un thème à la mode de nos jours, c'est bien celui des élites. Le peuple contre les élites serait à la source de nos débats démocratiques d'aujourd'hui. Le 1 % contre le 99 %. La montée des populistes. Autant de thèmes qui viennent alimenter le fait tout simple que les élites sont mises au pilori. On ne respecte plus l'autorité que confèrent les institutions, l'argent ou le pouvoir politique. Plusieurs s'interrogent, mais dans quel monde vivons-nous ?
C'est dans un tel contexte que nous devons juger de la crise qui secoue actuellement le gouvernement libéral de Justin Trudeau dans la foulée de l'affaire SNC-Lavalin. Partie de bras de fer entre le cabinet du premier ministre Trudeau et sa ministre de la Justice et procureure en chef de l'époque, Judy Wilson-Raybould, sur la question simple : doit-on ou non accorder à SNC-Lavalin le privilège de faire appel à un accord de réparation et éviter un procès criminel qui pourrait lui faire perdre toute possibilité de faire affaire au Canada pendant dix ans ? Devons-nous prendre en compte que cette entreprise qui a posé des gestes criminels puisse s'en sortir au nom de la préservation des emplois et de son siège social au Québec ?
La question de savoir si le bureau du premier ministre ou le premier ministre lui-même ont fait preuve d'influence indue sur la ministre Wilson-Raybould est importante pour les juristes et la classe politique, mais elle n'apporte pas beaucoup de pain et de beurre sur la table de la classe moyenne qui est lourdement taxée au Canada. Ce qu'il faut mettre en lumière dans ce débat, et cela tout particulièrement au Québec, c'est que nous avons été trahis par celles et ceux que nous avons fait nos héros. Réflexion sur notre élite économique.
La génération des gens d'affaires Parizeau
Depuis le début des années 1960, le Québec a pris le chemin de la modernisation accélérée de sa société. Poussée par un sentiment de retard et d'infériorité économique, la classe politique de l'époque a voulu doter l'État du Québec de moyens pour faire émerger chez nous une élite capable de propulser le Québec partout sur la planète. Ce fut la glorieuse époque de la Révolution tranquille où le Québec s'est laïcisé, où il s'est doté d'outils d'intervention de l'État, d'instruments comme la Caisse de dépôt et placement du Québec et de sociétés d'État pour permettre au Québec de devenir une force économique. Nous avons doté le Québec d'un système d'éducation performant, d'un système de santé et de programmes sociaux avancés pour soutenir les plus déshérités. Bref, la modernisation du Québec avait pour objectif d'en faire une société achevée. Sur le plan politique, cela s'est traduit par la montée d'un fort mouvement souverainiste. Dès son élection en 1976, le gouvernement du parti québécois de René Lévesque avec son général Jacques Parizeau a voulu développer chez nous une bourgeoisie québécoise ou si vous préférez une élite économique servant à faire rayonner la force économique du Québec. Cela n'a pas si mal réussi. Ce qui a cloché, c'est le comportement de ses acteurs.
Québec inc.
Les historiens Brian Young et John Dickinson en témoignent, depuis les années 1970, il s'est développé au Québec une bourgeoisie d'affaires purement québécoise et francophone sous l'impulsion de notre État, de nos taxes et de nos impôts : « Le changement de statut de Montréal ainsi que la politique gouvernementale de promotion du français sur les lieux de travail permirent l'émergence d'une bourgeoisie d'affaire francophone dynamique. Paul Desmarais et Pierre Péladeau en sont des exemples. Toujours fortement représentés dans les petites entreprises, les francophones ont atteint un rang éminent dans de grandes compagnies, telles que la banque (Banque Nationale), l'ingénierie (SNC-Lavalin), le transport (Bombardier) et l'industrie de transformation alimentaire (Culinar). » (Brève histoire économique du Québec, Septentrion, p. 341.)
Outre ces entreprises, il s'en est ajouté ces dernières décennies prenant appui sur le monde de l'économie numérique et la transformation d'entreprises comme Vidéotron par exemple par le fils de Pierre Péladeau.
Par les outils de l'État québécois, et notamment avec la Caisse de dépôt et placement du Québec, nous avons soutenu de toutes nos énergies ces entreprises qui constituent notre cœur économique même dans un monde de plus en plus mondialisé. Les Couche-Tard, les Cirque du Soleil en sont de parfaits exemples. Or, les gens que nous avons soutenus n'ont pas toujours été à la hauteur des efforts que nous leur avons collectivement consentis.
L'appât du gain
Nous aurions pu nous attendre de la part de cette élite économique à au moins un peu de reconnaissance. Mieux encore à un sursaut de nationalisme bien placé à l'endroit de cette petite société que nous sommes en Amérique du Nord. Plutôt que de la reconnaissance ou de l'empathie de ces nouveaux riches, nous avons plutôt assisté au triste spectacle de l'appât effréné du gain. Les Bombardier de ce monde n'hésitent pas à se donner de généreux bonis avec l'aide financière que nous leur avons accordée grâce à notre État. On se plaint de ne pas obtenir de contrats, mais on supprime des emplois chez nous pour payer moins cher ailleurs.
Pire encore, de trop nombreux, je sais que ce n'est pas généralisé bien sûr, membres de cette élite se sont adonnés à de la collusion et à la corruption de nos institutions pour s'enrichir. Cela est désolant. C'est difficile à imaginer et à admettre. C'est comme si un membre de la famille s'adonnait au crime sous nos yeux alors que nous étions nombreux à croire que c'était le plus méritant et un travailleur acharné. Cela me dégoûte.
Le crime de SNC-Lavalin
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre tout le mal que nous vivons devant l'affaire SNC-Lavalin. Non seulement cela est-il devenu une crise politique majeure sur la scène fédérale, mais cela permet le persiflage tendancieux du Canada anglais au sujet du Québec corrompu. L'enfant gâté de la famille. Le premier ministre Trudeau et son gouvernement sont condamnés à intervenir à la faveur de SNC-Lavalin pour sauver des emplois, une expertise précieuse et un siège social d'une entreprise dont les dirigeants ne méritent pas notre aide. Les dirigeants de SNC-Lavalin s'ils se regardent dans un miroir doivent savoir toute la honte qu'ils nous inspirent. Ce sont des traîtres. Eux et leurs congénères de même acabit se sont rendus coupables de haute trahison. La corruption et la collusion nous racontent en fait la trahison de nos élites économiques...