Vivons-nous dans un monde sans âmes? Il ne se passe pas une journée sans que de graves nouvelles nous parviennent. Celles-ci arrivent à peine à susciter des réactions et surtout des actions tant individuelles que collectives.
Je veux bien que le succès ou les insuccès des Canadiens de Montréal nous préoccupent. J'en suis. Néanmoins, il y a bien d'autres choses dans la vie. Explorons cela ensemble si vous le voulez bien?
La fin des chaires sur l'identité québécoise et la disparition du projet de cours d'histoire au Cégep...
C'est presque passé inaperçu, le nouveau ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, a annoncé quelques jours après sa nomination que son gouvernement annulait les décisions du gouvernement Marois de créer de nouvelles chaires sur l'identité québécoise et le projet d'ajout d'un cours d'histoire nationale au niveau collégial. Une décision lourde de sens. Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement fait preuve de bêtise à l'endroit des sciences humaines. C'est connu, les chercheurs en sciences humaines sont des rêveurs si ce n'est de dangereux citoyens qui incitent le bon peuple à ne pas suivre aveuglément les voies impénétrables de la science et de la rationalité libérale.
Dans la même veine, le chroniqueur du journal Les Affaires, Jean-Paul Gagné, proposait pour sa part que l'on cesse de former à l'Université des philosophes et des historiens au profit d'ingénieurs et de techniciens. Comme si l'on pouvait laisser la direction de la société québécoise aux seuls ingénieurs et médecins dans le cadre d'une pensée scientifique et rationnelle? Comme si la science et la technique étaient neutres et objectives et ne s'inscrivaient pas elles aussi dans le grand concert des intérêts divergents qui s'affrontent quotidiennement? Croyez-le ou non, nous avons plus que jamais besoin de philosophie et de sciences humaines...
L'utilité de la philosophie...
Peu de gens s'en préoccupent au quotidien, mais la philosophie est au cœur de la vie en société. Des questions simples comme : qu'est-ce que la vie bonne? Qu'est-ce qui est juste et raisonnable? Quel est le rôle de la science et des idées? Ces questions sont au cœur de l'actualité sous des formes beaucoup plus triviales. Doit-on ou non doter la ville de Lac-Mégantic d'une voie de contournement ferroviaire? Est-il juste et raisonnable de faire payer aux employés syndiqués des villes du Québec ou encore à la population le déficit des fonds de retraite? Est-il opportun ou pas d'exploiter le potentiel gazier et pétrolier du Québec? Comment parvenir à juguler le poids de notre dette collective et mieux répartir l'effort fiscal de tous pour assurer la pérennité du Québec et de sa population?
Ces questions sont fondamentales dans notre vie collective en ce moment et elles trouveraient de meilleures réponses de nous tous si elles s'appuyaient sur une réflexion nourrie des enseignements de la philosophie et de l'histoire.
Se nourrir d'idées et de passé...
Deux exemples suffiront à illustrer mon propos.
Sur la question de la répartition de la dette et de l'effort fiscal, il est évident que le gouvernement de Philippe Couillard voudra revoir de larges pans de notre État. Ce sera au cœur de l'action de ce nouveau gouvernement. Heureusement, je dirais.
Sur ce sujet particulier, si le gouvernement nouvellement élu s'abreuvait d'histoire et de philosophie, il serait capable de comprendre d'une part sur la base des travaux historiques de Thomas Pikkety, dont j'ai traité il y a deux semaines, que les inégalités de revenus sont au cœur de l'iniquité fiscale. Il serait aussi à même de comprendre que les règles fiscales actuelles découragent le travail et l'innovation au profit du capital financier. Mieux encore, avec l'aide de la réflexion philosophique, ce gouvernement pourrait mieux comprendre les ressorts de l'opinion publique et pourrait trouver des solutions novatrices pour engager le dialogue avec les citoyennes et les citoyens sur des bases nouvelles afin de trouver de véritables solutions à ces problèmes réels.
Quant à la question de l'exploitation des ressources gazières et pétrolières du Québec, l'histoire et la philosophie aideraient ce gouvernement à mieux saisir les enjeux éthiques de ce développement anticipé. Est-il juste et raisonnable d'agir aujourd'hui dans le sens de nos intérêts en sacrifiant l'avenir de celles et ceux qui ne sont pas encore nés? Est-il éthique d'AGIR ainsi? Se peut-il que la croyance au progrès infini qui est une idée héritée de Kant et de la modernité ne soit justement qu'une croyance? Peut-il y avoir d'autres façons d'envisager la vie bonne pour nous tous?
L'actualité de la philosophie et de l'histoire...
Je m'arrête ici. Je pourrais continuer longtemps avec de nombreux autres exemples sur le même thème soit celui de l'actualité de la philosophie et de l'histoire dans notre vie de tous les jours. Je pourrais parler d'identité, de laïcité, de justice, de langue et de bien d'autres sujets. J'aurais aussi pu vous parler de l'importance de la littérature et du cinéma qui nous racontent des histoires.
Plusieurs se réjouissent du prix remporté à Cannes par le jeune cinéaste de talent, Xavier Dolan. Nous avons raison d'en être fiers. Le succès d'un Xavier Dolan deviendra vraiment intéressant lorsque nous comprendrons que ce qui compte le plus c'est ne pas le sentiment de fierté que nous éprouvons vis-à-vis son prix, mais le supplément d'âmes qu'ajoute dans nos vies son œuvre puissante. Nous avons plus que jamais besoin de philosophie, d'histoire et de littérature pour ne pas devenir un monde sans âmes...