J'écrivais le 4 mai dernier au sujet du mandat du
conseil municipal de la mairesse Évelyne Beaudin que : « le problème avec
l'approche et les politiques défendues par le nouveau conseil de ville que
dirige madame Beaudin, si l'on peut qualifier cela de problème, c'est que de
nombreuses personnes n'ont pas saisis en apposant leur vote à côté de son nom
que madame Beaudin désirait une rupture avec le monde tel que nous le
connaissons ». À la suite des assises annuelles de l'Union des municipalités du
Québec (UMQ), nous devons constater que la mairesse de Sherbrooke n'est pas
seule. Ils sont nombreux les maires et mairesses de villes et de municipalités
à vouloir rompre avec le passé d'étalement urbain, de développement économique
résidentiel tous azimuts au détriment des espaces boisés et des milieux humides
et d'une course au développement à tout prix.
Et c'est bien tant mieux ! L'urgence climatique, la pénurie
de la main-d'œuvre et la crise du logement pour ne nommer que ces problèmes les
plus criants exigent des politiques nouvelles. C'est un peu cela que nous
propose la nouvelle génération d'élus issue des scrutins municipaux de l'année
dernière. Le point sur les enjeux du monde municipal à l'ère de transformations
structurelles profondes du Québec.
Être de bonne foi
Si l'on veut vivre paisiblement ces changements annoncés, il
faut d'abord et avant tout faire preuve de bonne foi. Il ne sert à rien,
surtout pas à la qualité du débat public, de se lancer des invectives et de
ridiculiser la position de celles et ceux qui veulent du changement. Il faut
éviter, comme l'a fait le ministre des Transports, François, d'assimiler le
concept de densification urbaine à une mode. Pire encore, le comportement de
l'ineffable ministre de la cybersécurité et du numérique, Éric Caire, qui s'est
attaqué aux positions du maire de Québec, Bruno Marchand en l'accusant de pourrir
la vie des automobilistes.
Le premier ministre Legault peut bien se préparer une
carrière d'humoriste en se livrant à de l'humour lors du congrès de l'UMQ, le
fait est que l'époque actuelle exige de nos élus de tous les paliers des
solutions innovantes et pérennes à nos milieux de vie urbains. Cela passera
inévitablement par des changements à nos modes de vie. Il serait important que
ce fait soit reconnu plus tôt que tard et que tous celles et ceux qui ont un
mandat des citoyens et des citoyennes que nous sommes s'évertuent à l'expliquer
et à le faire comprendre. La planète Terre n'a que faire de nos petites
intrigues politiques, ce qu'il faut ce n'est rien de moins que de prêter main
forte pour sauver l'espèce humaine. Le temps n'est plus à la rigolade, mais à
l'action.
Le diable est dans les détails
Par ailleurs, agir dans l'urgence ne dispense pas de vivre
cela en démocratie et dans le cadre d'un dialogue civique relevé. Les solutions
magiques à courte vue ne sont pas les plus porteuses pour l'avenir. Discutons
des revendications précises proposées par le monde municipal pour contrer
l'étalement urbain et pour contrer la double crise climatique et de logement
dans les villes. L'une d'elles est le droit de préemption que le premier
ministre Legault a promis de donner aux villes d'ici la fin juin de cette
année. Ce droit de préemption donne en quelque sorte le premier choix à une
ville pour se porter acquéreur d'un terrain jugé d'intérêt stratégique. Cela
constituerait un outil supplémentaire dans le coffre d'outils des villes. Cela
n'est cependant pas magique. L'exemple de l'ancien bunker des Hells Angels à
Lennoxville est un exemple probant.
Dans ce dossier, le DPCP a bel et bien offert à la Ville de
Sherbrooke une sorte de droit de préemption lui permettant de se porter
acquéreur du terrain au prix de sa valeur marchande. La Ville de Sherbrooke a
décliné l'offre demandant plutôt au DPCP de donner le terrain à un OSBL.
Pourtant, ce terrain est un enjeu stratégique de la mairesse actuelle et de sa
formation politique qui souhaitent en faire un boisé public. D'ailleurs, devant
l'impasse de la non-acquisition de ce terrain par Sherbrooke, le conseil
municipal de Sherbrooke s'est servi de son pouvoir réglementaire pour interdire
tout développement futur de ce site en le zonant zone de conservation. Une
drôle de façon de faire. Il aurait mieux valu que la Ville de Sherbrooke en
fasse l'acquisition plutôt que de se servir de ses pouvoirs pour en empêcher le
développement. Avec cet exemple, le droit de préemption ne semble pas une
solution.
C'est dans ce contexte qu'il faut s'intéresser à une autre
demande des villes qu'est le pouvoir d'expropriation. Par ce pouvoir, on touche
à l'essentiel soit le prix à payer pour faire l'acquisition de terrains
convoités. Est-ce qu'une telle mesure permettrait à une ville d'acquérir des
terrains stratégiques ? Quel sera le prix jugé juste dans un tel cas ? Est-ce
le prix de l'évaluation municipale ? Le prix de la valeur marchande ou
souhaite-t-on des expropriations sans compensation ? Que veulent les villes
avec ce pouvoir ? Je présume que les villes ne pensent pas à des expropriations
sans compensations. Après tout, nous vivons dans un monde de propriété privée.
En ce sens, même si les villes peuvent se porter acquéreuses de terrains par un
droit de préemption ou par l'expropriation, il faut quand même les payer ces
terrains et les villes n'ont pas beaucoup de moyens financiers. Comment
pense-t-on financer ces achats éventuels ?
C'est là que l'on peut observer la cohérence des
revendications du monde municipal. Celles-ci revendiquent un nouveau pacte
fiscal avec le gouvernement du Québec afin de diversifier leurs sources de
revenus et de ne plus être des accros au développement immobilier. Ce dernier
qui génère l'essentiel des revenus de l'assiette fiscale des municipalités et des
villes. À Sherbrooke, nous pouvons aussi compter sur les revenus d'Hydro-Sherbrooke.
Jusqu'à présent, les
maires des villes ont été avares de commentaires sur le comment et le quoi. Quels
nouveaux revenus sont envisagés : de nouvelles taxes, une part des taxes
perçues par le gouvernement du Québec ? Cela aussi devrait faire l'objet d'un
débat plus large que des pourparlers entre deux ordres de gouvernement, car à
la fin c'est nous qui allons payer la facture. Ce dont il est question c'est de
notre argent après tout. Cela doit faire partie des discussions de la prochaine
campagne électorale québécoise.
Ouvert aux solutions
Nous devons demeurer ouverts à toutes les solutions. Nous ne
sommes qu'au début de cette discussion dans laquelle nous devons trouver de
nouvelles voies pour construire nos milieux de vie dans un monde en profonde
mutation. Par exemple, la densification des milieux urbains est sans conteste
une solution d'avenir, mais ce sont souvent les citoyennes et les citoyens qui
s'opposent à la densification de leurs milieux. Je me rappelle à Sherbrooke le
projet au Champ de mars bloqué par les citoyennes et les citoyens, celui de
l'agrandissement de la Résidence Murray réalisé de haute lutte grâce à la
ténacité de son propriétaire. Plus récemment, le conseil municipal s'est opposé
au projet fortement densifié du promoteur Robert Côté sur la rue Pacifique. Par
ailleurs, le conseil de ville actuel a manifesté son agacement à des projets
d'investissements privés au centre-ville s'inquiétant de l'embourgeoisement.
Pire encore, l'administration municipale fait obstacle contre la loi à des
projets de développement de projets de logement dans le quartier nord de la
ville. Les convictions et les orientations du présent conseil municipal
semblent être variables selon les projets, densification ou pas.
C'est pourquoi nous devons être attentifs aux changements
demandés par les villes aux règles actuelles, car derrière les beaux principes
auxquels nous adhérons majoritairement il se cache parfois des agendas pour
lesquels il n'y a pas de débats. Par exemple, les villes sont-elles favorables
à la densification du territoire si les projets sont issus de promoteurs privés ?
Privilégie-t-on plutôt certains modes de propriété collective comme les
coopératives ou les OSBL par exemple ? Ces villes sont-elles favorables au
développement économique ou visent-elles la croissance zéro ? Quel avenir pour
les villes du Québec ? C'est là, la question la plus importante. Nous devons
bâtir un avenir à nos villes. La seule certitude que nous devions avoir c'est
que nous devons changer, nos modes de vie aussi. Ce que nous ne savons pas
encore c'est le comment. Nous aurons l'occasion de discuter de cela
collectivement lors de la prochaine campagne électorale québécoise. N'en
faisons pas l'économie si nous voulons réinventer le Québec par nos villes...