Il y a neuf ans, je donnais une communication scientifique à Montpellier sur les hebdos de Sherbrooke à la fin du 19e siècle1 dans le cadre d'un colloque international sur les transferts culturels de la presse écrite et de l'identité nationale à l'Université Paul Valery.
Médias et identités
J'y témoignais de la vie de quatre hebdos sherbrookois, deux de langue anglaise et deux de langue française en faisant la preuve que ces médias participaient à la formation d'une identité régionale forte qui se distinguait à Sherbrooke par rapport à ailleurs au Québec. C'était de la faute à ces médias. C'est pourquoi nous devons faire preuve de vigilance et de détermination pour conserver chez nous des médias imprimés, électroniques et virtuels forts qui contribueront à façonner notre identité collective et à fortifier nos échanges démocratiques et notre vie collective. Nous devons être inquiets de l'avenir de nos médias.
Moins de médias estriens aujourd'hui...
Si l'on se reporte au début des années 1980 à Sherbrooke et en Estrie, le portrait des médias que l'on y retrouvait était fort différent tant en quantité, qu'en qualité. Que l'on se rassure, je ne dis pas ici que les médias du passé étaient meilleurs, mais que ceux-ci disposaient de plus de ressources et qu'ils faisaient plus d'informations locales et régionales globalement.
Peu à peu, on a vu plusieurs nouveaux phénomènes s'installer à demeure dans notre paysage médiatique. Il y a eu d'abord la réduction de la production d'émissions locales, la baisse des effectifs dans les salles de nouvelles des médias électroniques, la disparition de certains hebdos et même ces dernières années la fermeture de la salle de nouvelle du réseau de Télévision Quatre-Saisons et les compressions successives chez Radio-Canada qui ont été notamment marqué par la disparition de CBC anglais en région. Aujourd'hui, on nous annonce que les actionnaires de Gesca songent à supprimer la copie papier de notre seul quotidien régional de langue française La Tribune. Sans compter que le gouvernement de monsieur Harper poursuit le travail de sape de Radio-Canada entrepris par le gouvernement Trudeau dans les années 1970-1980. Il faut que cela cesse. Nous ne pouvons continuer à être ce que nous sommes comme villes et comme région sans des médias forts et présents dans nos vies.
Défendre la Société Radio-Canada...
Au-delà des emplois de qualité et des batailles syndicales en cause, la défense de Radio-Canada s'impose à nous, car nous devons pouvoir compter comme société sur un média public, accessible et gratuit pour toutes les citoyennes et tous les citoyens. Je ne veux pas redire ici ce que j'ai déjà écrit ailleurs, mais qu'il soit clair que si Radio-Canada n'existait pas il y a beaucoup de choses de notre monde qui serait différent. J'ai accepté, une fois encore, de joindre ma voix à de nombreux autres estriens et j'ai préparé un texte avec madame Sylvie Bergeron pour le compte de : Ici nous aimons Radio-Canada-Estrie. Le 11 juin prochain, nous aurons d'ailleurs un grand ralliement citoyen avec des artistes de chez nous au théâtre Granada à Sherbrooke pour sensibiliser à nouveau les gens d'ici à l'importance d'une société publique de radiodiffusion, de télédiffusion et de webdiffusion comme la Société Radio-Canada. Participez en grand nombre!
La disparition du papier?
Dans un proche horizon, nous devrons peut-être aussi donner beaucoup d'amour à notre quotidien régional dont les plans d'avenir des actionnaires principaux de Gesca prévoient la disparition du papier. Cela est inimaginable pour notre région. La Tribune est un outil fondamental pour tous les Estriens et nous devons de concert avec la direction du journal, et ses artisans trouver des solutions pour éviter le scénario catastrophe annoncé. Je conçois bien que La Presse + est un grand succès et que fort de celui-ci les dirigeants du Groupe Gesca envisagent de couper les coûts du papier, mais la disparition de l'imprimé est une fausse bonne idée. Je suis convaincu que pour les grands médias c'est un modèle hybride associant le papier et le web qui constitue la formule gagnante.
La Presse + ce n'est pas La Tribune
Mais bon, La Presse + a fait la preuve qu'après des millions et des millions de dollars d'investissement, on peut faire un excellent produit. J'en conviens. Néanmoins, on ne peut pas envisager dans un avenir à court terme la disparition de la version imprimée d'un journal comme La Tribune en laissant toute une population sans un quotidien régional imprimé pour qu'elle puisse se connaître et se reconnaître, débattre ensemble des enjeux locaux et régionaux. Plutôt que sa disparition, on devrait plutôt améliorer le contenu de La Tribune en lui donnant une vocation encore plus locale et régionale, en faisant une plus large place aux nouvelles de toute l'Estrie et en continuant l'excellent travail qui se fait déjà. Non, messieurs Desmarais annoncer la disparition des imprimés était une très mauvaise idée et une bourde. En tant qu'actionnaire de Power Corporation, je vous fais part de mon désaccord le plus profond sur cette façon cavalière de faire les choses. Vos employés et vos cadres méritent un meilleur traitement. Vous auriez avantage à être plus à leur écoute à l'avenir. Soyez ouverts à leurs solutions qui seront, je n'en doute même pas, plus imaginatives et plus porteuses d'avenir que vos courbes de réduction de coût du papier dans vos entreprises de presse.
L'avenir du web...
Bien sûr, il y a un grand avenir pour les médias sur le web. Il est à se construire et le quotidien La Tribune comme la Société Radio-Canada ont déjà pris le virage et ils le font bien. Néanmoins, autant il serait impensable de voir la radio et la télévision disparaître, autant l'imprimé doit demeurer dans nos vies. Cela n'empêche pas des initiatives comme celle de notre journal EstriePlus d'apparaître dans notre univers et de proposer des alternatives intéressantes aux gens d'ici en leur proposant des contenus originaux et inédits, comme cette chronique et celles que mes collègues vous proposent chaque semaine. Nous avons besoin de plus de médias dans nos vies pas moins. Il faut que nous refusions ces scénarios où on nous propose de disparaître comme collectivité. Il faut encourager la diversité des voix sur une pléiade de supports, tant privés que publics, dans une joyeuse complémentarité complice.
Nous devons refuser de disparaître...
Lectures recommandées :
Daniel Nadeau, « Identité nationale ou Identités nationales : L'opinion publique canadienne tronquée » dans Marie-Ève Therenty et Alain Vaillant, dir., Presse, nations et mondialisation au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2010, pp. 307-321.