L'élection du propriétaire de Québécor Média à la tête du
Parti québécois sera l'objet de débats sous fond de démagogie au cours des
prochaines semaines.
La question lancinante et pénible qui sera posée au chef du
PQ et lancée en pâture à l'opinion publique est fort sérieuse : est-il
opportun qu'un grand propriétaire d'un groupe de presse puisse devenir premier
ministre du Québec? Ne fausserons-nous pas tout le processus démocratique en
permettant à un individu de peser de tout son poids de propriétaire pour faire
avancer sa ou ses causes? Pierre Karl Péladeau serait-il la version québécoise
de l'homme politique italien Berlusconi? Des questions légitimes, mais qui
seraient plus crédibles si celles-ci avaient été posées au moment du grand
mouvement de concentration de la presse débuté au milieu des années 1980.
Québécor et
son emprise sur la culture
Québécor est un vaste empire. Ce groupe contrôle d'abord de
vastes infrastructures de communication moderne comme le câble, la télévision
numérique et la téléphonie cellulaire. Manifestement, Québécor est puissant
dans la « tuyauterie » des communications modernes. Il n'est pas seul,
Rodgers et Bell sont aussi de puissants joueurs. Québécor est également
puissant dans la diffusion de la culture sous toutes ses formes.
Que l'on pense aux livres avec ses différents groupes
d'édition dont les maisons VLB, Éditions de l'homme, Ville-Marie littérature et
Québec-Amérique. Si je prends cette dernière maison d'édition, des ténors
fédéralistes notoires y ont publié des essais et des réquisitoires pour un
nouveau fédéralisme. Québécor est aussi propriétaire de revues comme Elle, 7 jours, La Semaine, Hockey News, Coup de Pouce, TV Hebdo, Fleurs Plantes et Jardins et de
nombreuses autres.
Tout récemment, Québécor s'est départi de ses intérêts dans
le monde des librairies en vendant le groupe Archambault à Renaud Bray. Ce qui
a fait ruer dans les brancards. On s'inquiète du monopole ainsi créé par Renaud
Bray et surtout de la personnalité puissante que cela avantage Blaise Renaud.
Pourtant, Québécor a vendu le groupe Archambault à une entreprise québécoise
pure laine. N'empêche que certaines voix s'élèvent pour demander un examen de
cette transaction en commission parlementaire. Imaginez si Québécor avait vendu
le groupe Archambault à Barnes & Noble...
Ce que je veux dire c'est que le poids économique de
Québécor dans notre vie culturelle est énorme. Le fait que nous sommes une
société unique en Amérique du Nord ajoute de la complexité à l'équation du cas
Péladeau.
Les
apparences sont trompeuses...
Bien sûr les apparences sont incriminantes pour Pierre Karl
Péladeau et Québécor. Il y a bien sûr le cas le plus patent des quotidiens, Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et les réseaux de
télévision comme TVA et LCN. Cela est plus préoccupant, avouons-le. Néanmoins,
ce sont des milieux syndiqués et où les patrons de presse ont le devoir éthique
de fournir une information honnête et équilibrée à ses publics et à ses téléspectateurs.
Est-ce suffisant comme garantie? Peut-être pas.
Il est clair cependant que si le Québec veut donner des
balises règlementaires aux différents médias qui nous informent, il faudra que
ces mesures s'appliquent à tous les médias et pas simplement à ceux appartenant
à PKP.
Je ne pourrais mieux traduire ma confiance au système
d'équilibre qu'en citant le chroniqueur du Journal
de Montréal, anciennement de La
Presse, Michel Girard :
« Durant ma trentaine d'années à La Presse, que ce soit à titre de journaliste ou de chroniqueur financier,
je n'ai jamais subi la moindre pression de la part des propriétaires de
l'influent quotidien de la rue Saint-Jacques, soit la famille Desmarais. Ni d'ailleurs
de la part des hauts dirigeants de La
Presse et de mes anciens patrons. J'ai toujours effectué mon boulot selon
ma conscience. Que La Presse
appartienne à la famille Desmarais, laquelle est politiquement bien engagée du
côté fédéraliste, ne m'a jamais influencé dans mes écrits. Pourquoi,
aujourd'hui, deviendrais-je un pantin du Parti Québécois et de son chef? Parce
que Pierre Karl Péladeau demeure l'actionnaire de contrôle de Québecor? Voyons
donc! Que ce soit sous l'emprise des Desmarais ou sous l'empire des Péladeau,
je suis le même journaliste indépendant d'esprit. Mon intégrité n'a pas de
prix. Et il en est de même de mes collègues. » (Michel Girard, « L'honneur
de PKP », Le Journal de Montréal,
19 mai 2015)
La fiducie
sans droit de regard
Afin de favoriser l'éthique dans notre vie démocratique,
notre législature s'est donné des outils, dont un jurisconsulte et un code
d'éthique. Dans les règles prévues, il est proposé que dans un cas comme celui
de Pierre Karl Péladeau, une fois élu premier ministre, il doive mettre en
fiducie sans droit de regard ses intérêts financiers. IL faut noter qu'il a déjà
décidé de mettre ses intérêts dans Québécor dans une fiducie sans droit de
regard sans y être obligé par la Loi. Fait à noter.
Certains prétendent que ce n'est pas suffisant puisque PKP
veut interdire à son fiduciaire de vendre ses entreprises. Ce qui pour ces
gens, juridiquement parlant, n'est pas une vraie fiducie sans droit de regard.
Le choix qui s'offre alors à Pierre Karl Péladeau est simple : quitter la
politique ou vendre son entreprise. Ça ne m'apparaît pas comme juste et
équitable envers monsieur Péladeau.
Que dit l'article 45 du code de déontologie? Citons-le
au texte pour éviter d'écrire n'importe quoi :
« Un membre du conseil exécutif doit, dans les 60 jours
de sa nomination ou du fait lui conférant un tel intérêt, soit se départir de
ses intérêts dans ses entreprises dont les titres sont échangés à une bourse ou
pour lesquels il existe un autre marché organisé, soit le transporter dans une
fiducie sans droit de regard dont le fiduciaire est indépendant ou encore les
confier à un mandataire indépendant en vertu d'un mandat sans droit de regard.
Il doit en outre, à l'égard de ses intérêts, se conformer à toute autre mesure
ou condition requise par le commissaire à l'éthique et à la déontologie, le cas
échéant. »
Une chose est certaine. Malgré les apparences, il faut
présumer la bonne foi de Pierre Karl Péladeau. D'ailleurs, sa bonne foi
présumée sera, personne n'en doutera, garantie par une surveillance de tous les
instants de tout ce qui bouge, grenouille et scribouille en politique. On ne
doit pas créer des exigences au citoyen Péladeau qui l'obligera en fait à
quitter la politique. Sinon, on ouvrira une boîte de pandore.
Quel citoyen sera éligible à la vie politique et sur la base
de quels critères? Est-il acceptable qu'un médecin soit ministre de la Santé
alors que pendant son mandat il peut avantager sa profession avant d'y
retourner? L'ampleur n'est peut-être pas la même, mais les principes en cause
sont identiques.
Une
solution simple : le jugement des Québécois
La solution la plus porteuse pour moi est la constitution
d'une fiducie sans droit de regard, mais avec l'interdiction de vendre
l'entreprise sans un vote au deux tiers des membres de l'Assemblée nationale du
Québec. Cette solution innovatrice garantirait l'indépendance juridique de Pierre
Karl Péladeau avec son fiduciaire, mais obligerait ce dernier à se préparer à
comparaître devant l'Assemblée nationale si jamais il voulait vendre des
parties des actifs de Québécor.
Il faudrait que des juristes se penchent sur une telle
solution pour faire en sorte que les dossiers vraiment majeurs puissent faire
l'objet de débats. Par exemple, avec ce processus, la vente du Groupe
Archambault à Renaud Bray devrait faire l'objet de l'approbation des deux tiers
des membres de l'Assemblée nationale. N'est-ce pas ce que souhaiteraient
certains acteurs du monde des livres?
Quant à Pierre Karl Péladeau, il pourrait voir les intérêts
de son empire médiatisés par les intérêts des Québécoises et des Québécois, de
la nation québécoise représentée par son assemblée nationale. N'est-ce pas là
le choix fondamental de Pierre Karl Péladeau : faire confiance au jugement
de la nation québécoise pour parvenir à nous mener à la terre promise... De cette
manière, PKP ne sera jamais le Berlusconi du Québec!