Exceptionnellement, il y aura deux chroniques cette semaine. La suite de ce texte vendredi.
En 1938, George Bernanos, célèbre écrivain français catholique et nationaliste, lançait un pavé dans la mare au lendemain des accords de Munich et déclarait que son pays, la France, méritait d'être sauvé. Il affirme que certains ont fait en sorte que le pays ne se reconnaît plus et qu'il faut le reconnaitre. Il fallait surtout nous disait Bernanos « refaire une conscience à ce peuple humilié pour que ce peuple puisse à nouveau retrouver l'estime de soi. » (1) Il y a là un parallèle à faire avec le Québec contemporain qui n'en finit plus de se questionner sur son identité, divisé entre sa générosité envers les autres et son désir de durer. Le débat qu'amorce le ministre Bernard Drainville avec la charte de la laïcité nous plonge dans le débat de notre identité. Saurons-nous y survivre dignement?
Qui sommes-nous?
Avant d'aborder l'épineuse et complexe question de la présence ou non des signes religieux dans l'espace public et dans nos institutions, il convient d'abord de nous interroger sur qui nous sommes? Quelles sont les valeurs qui caractérisent la société québécoise? En quoi celles-ci sont-elles différentes, similaires ou assimilables aux valeurs des autres habitants du continent nord-américain? Des habitants de l'Europe? Des habitants du reste du monde? Ce sont là des questions complexes auxquelles les raccourcis idéologiques habituels des discours politiciens ne peuvent répondre avec satisfaction pour l'intelligence des gens et des choses.Chose certaine, il faut se délester de cette idée que le Québec est une terre exceptionnelle peuplée d'habitants aux vertus uniques.
Quatre chroniques dans une...
Dans le présent texte, qui est une première partie de quatre sur l'identité québécoise et les accommodements raisonnables, je me livrerai d'abord à l'exercice d'identifier les valeurs propres de la communauté québécoise. Cela vise, en fin de compte, à essayer de qualifier dans un exercice socio-ethnologique ce qui fonde, en bout de course, le caractère distinct du Québec en Amérique du Nord et en Occident. Le second texte qui sera publié vendredi de cette semaine visera à poursuivre cet exercice de définition. Dans un troisième texte,qui paraîtra mercredi prochain, nous chercherons à définir l'Autre dans la relation avec le Nous Québécois. Le quatrième et dernier texte, sera publié le vendredi 6 septembre, traitera de la laïcité et des accommodements raisonnables ainsi que du projet du gouvernement de Pauline Marois.
Les paradigmes de notre vie collective
Avant de pouvoir définir les valeurs communes qui animent les citoyennes et citoyens du Québec, il faut d'abord prendre en compte les tendances lourdes qui malaxent notre vie collective et qui influencent le cours de nos vies. Quelles sont ces tendances lourdes qui façonnent le Québec contemporain? J'ai identifié sept tendances majeures.
Le changement accéléré
Nous vivons présentement un changement accéléré, une transformation radicale de nos modes de produire et de consommer sous l'impulsion des nouvelles technologies de l'information. Ce que j'appelle le paradigme du changement accéléré. La semaine dernière, nous apprenions que les compagnies d'assurance installaient des dispositifs sur les autos de leurs assurés, sur une base volontaire, qui mesure les accélérations et les freinages brusques afin de déterminer leurs primes. Une version automobile du Big Brother de Georges Orwell dans le roman 1984. Lors de de l'une de mes premières expériences professionnelles, alors que j'étais à l'emploi d'un ministre du Gouvernement du Québec, il n'y a avait pas de téléphonie cellulaire, pas de téléphones intelligents. Pas d'ordinateurs portables ou fixes déployés à grande échelle. La dactylographie des textes se faisait avec des machines à écrire standards. Les plus chanceux pouvaient compter sur une dactylo possédant un petit écran minuscule avec une mémoire de dix à cinquante mots. Recommencer un texte exigeait beaucoup de diplomatie avec la personne qui devait refaire son travail. Près de trente ans plus tard, nous vivons dans un monde fort différent. Le monde dans lequel nous vivons connait des transformations rapides qui ne sont pas sans conséquence sur nous tous.
L'attachement à notre culture française et catholique
L'attachement profond des Québécoises et des Québécois à leur culture et langue française ainsi qu'à leur patrimoine catholique qui a permis la création d'institutions originales sur le territoire du Québec est, ce que j'appelle le paradigme de la chemise à carreaux tricotée serrée. Depuis le début de l'occupation du territoire par les ancêtres des Québécois d'aujourd'hui, l'idée de la survivance de la race et de sa pérennité a toujours fait l'objet de préoccupations importantes des élites du peuple canadien-français. C'est le vecteur de l'insécurité proverbiale des Québécois de souche qui se traduit par la sacralisation du modèle québécois. Toujours on craint pour la survie de la communauté francophone catholique d'origine. Cette attitude est largement partagée par la majorité des Québécois francophones de souche parlant français et d'origine catholique. C'est la base du nationalisme ethnocentrique et trop souvent revanchard. C'est, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le fondement du discours des fédéralistes autonomistes québécois francophones. Ceux que l'on appelle les nationalistes au sein des familles politiques fédéralistes, mais qui refusent de rompre le lien affectif qu'ils ont avec le Canada. C'est également l'assise des « nationalistes mous » qui sont une majorité d'électeurs québécois.
Le Canada sur mesure
Les Québécois sont ambivalents quant à leur avenir comme peuple en Amérique du Nord. Ils sont parmi les rares exceptions dans tous les pays du monde ceux qui se sont dit Non à deux reprises dans la quête d'un nouveau statut politique pour le Québec au Canada. La relation du Québec avec le Canada en est une d'ambivalence. Elle s'est souvent traduite par une relation « amour-haine » avec le Canada qui s'est particulièrement révélée lors d'événements comme l'affaire des écoles séparées du Manitoba de l'époque de Wilfrid Laurier; le procès de Louis Riel; la conscription de 1917 et les émeutes violentes à Québec; la conscription de Mackenzie King en 1942; la crise d'octobre de 1970; l'échec de la charte de Victoria de Trudeau; les référendums de 1980, 1992 et 1995 sur l'avenir du Québec et à moindre degré dans l'élection de 1998 et 2003. À la lecture de tous ces événements, on conçoit bien que les Québécois souhaitent un Canada sur mesure. On veut le beurre et l'argent du beurre...
À suivre...
1. Georges Bernanos, « Nous autres Français » dans Essais et écrits de combat, tome 1, Paris, Bibliothèque La Pléiade, 1971, p.619-772.
Tweet de la semaine
« la littérature ne répond pas aux questions de ses lecteurs, elle les suscite. » - Bernard Pivot, Les tweets sont des chats, Paris, Albin, Michel, 2013, p.41.
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