Vous savez que j'aime lire. J'ai eu plus d'une occasion de partager avec vous le fruit de mes lectures et des réflexions que cela pouvait susciter chez moi. Lire c'est en quelque sorte un voyage qui nous permet de remettre en question nos croyances et nos convictions en les confrontant à celles de d'autres. C'est aussi une façon d'explorer de nouveaux mondes et de nouveaux objets. Lire c'est une fenêtre ouverte sur le monde.
Cela dit, lire est une chose, mais la façon dont nous lisons, l'attitude d'ouverture ou de fermeture que nous adoptons devant l'inconnu, l'audace de lire ce que nous ne connaissons pas et notre volonté d'apprivoiser la nouveauté font de nous des lecteurs actifs ou passifs. Dans le monde actuel, nous pouvons prendre acte que l'activité de lire est de moins en moins partagée. Le taux d'analphabétisme fonctionnel chez les adultes québécois est effarant. J'ai déjà eu l'occasion de vous en parler dans une chronique précédente. Réflexion autour de la lecture.
L'art du roman
Parmi les horizons possibles de l'acte de lire, il y a les mondes possibles qui nous sont offerts par l'art du roman. Dans une chronique écrite le 6 août 2014, je vous parlais de cet art en vous citant Jean-Paul Sartre : « L'écrivain a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l'homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l'objet mis à nu leur entière responsabilité. La fonction de l'écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse se dire innocent. » (Situations II ─ tiré du texte d'opinion d'Éric Cornellier « Au cœur de l'été, la guerre... 1914-2014 », Le Devoir, samedi 2 août 2014 p. B4).
Ce qui fait la force d'un romancier c'est sa capacité à aller au fond des choses par le biais des points de vue de ses personnages. C'est pourquoi comme l'écrit Éric Cornellier : « l'art du roman, le vrai, ne relève pas d'une technique du divertissement. Il relève plutôt d'un approfondissement de notre compréhension de l'existence dans ses multiples déclinaisons possibles. » (Le Devoir, samedi 2 août 2014 p. B4). En fait, la force de la littérature c'est qu'elle nous raconte des histoires de vie. Des vies possibles d'autrui ou encore des tranches de nos propres vies.
Des histoires possibles
De nombreux horizons peuvent s'ouvrir à nous grâce au roman. Par exemple, l'univers du jeu compulsif et de la restauration ont été au cœur du roman de Stéphane Larue intitulé Le plongeur et publié en 2017. Un roman qui vaut bien des campagnes de sensibilisation de Loto-Québec sur les dangers du jeu et de ses conséquences délétères sur la vie de quelqu'un. Le monde des obsessions est quant à lui visité de façon originale par François-Henri Désérable dans son roman Un certain M. Piekielny publié l'an dernier chez Gallimard. Prenant prétexte de la vie complexe du romancier Romain Gary, l'auteur nous invite à une enquête pour découvrir la véracité ou non de l'existence d'un certain Piekielny, ressortissant juif qui aura été un personnage important dans la vie de Romain Gary. Cela nous plonge dans les horreurs du sort réservé aux juifs en Europe à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale menée par d'Adolf Hitler et les nazis. Le même sujet est traité par Olivier Guez dans son roman La disparition de Josef Mengele publié en 2017 chez Grasset où l'on peut voir le destin d'un nazi aux premières loges de la Shoah se cacher et fuir la justice en Argentine.
Sur une note plus légère, on peut aussi lire le roman de Nathan Hill intitulé : Les fantômes du vieux pays publié chez Gallimard en 2017. L'auteur nous invite dans un texte bien souvent humoristique à découvrir la quête d'un professeur d'université à la recherche de sa mère indigne dans un monde de trahisons et qui fait une large place à l'actualité politique récente américaine ou « Trumpisme » et où les médias sensationnalistes sont mis à l'honneur.
Je pourrais aussi vous parler du roman de Marc Dugain Ils vont tuer Robert Kennedy ou de celui de Daniel Mendelsohn Une odyssée. Un père, un fils, une épopée. Le premier nous raconte une enquête d'un professeur d'université canadienne qui lie l'assassinat de ses deux parents à ceux de John F. Kennedy et Robert Kennedy ou encore le second qui nous fait découvrir l'œuvre d'Homère, l'Iliade et l'Odyssée par la vie de son père et de sa famille. Tous ces romans récents permettent d'en apprendre plus sur nous et sur notre monde tout en se faisant complice de l'imagination d'un auteur.
Se raconter grâce à la littérature...
La littérature nourrit parce qu'elle nous raconte des histoires de vies... En fait, elle raconte l'histoire de nos vies. Notre vie est donc une histoire à raconter et à partager. C'est pourquoi il est important de lire et de s'adonner à la littérature afin de pouvoir se faire raconter notre vie en histoires... Pensez-y lorsque vous ouvrirez votre prochain roman et demandez-vous de quelle vie parle ce récit. Il est à parier que vous y retrouverez la vôtre...
La vie est cependant encore plus riche que la littérature. Le point de vue des uns et des autres sur ce que nous vivons collectivement est encore plus romancé qu'un roman. Nos histoires de vie personnelle fondent notre compréhension au monde et notre rapport aux autres. Plus une personne est soumise à des histoires de vies, plus elle sera susceptible d'adopter des points de vue nuancés ou de faire preuve d'une plus grande ouverture aux histoires des vies autres que de la sienne. La littérature et le roman nous racontent des histoires qui aident à une meilleure compréhension du monde et comme le disait si bien Sartre : de façon à ce que personne ne puisse se dire ignorant du monde dans lequel nous vivons...
Tout ça pour dire que la littérature est plus vraie que nature et qu'elle offre un potentiel à celle ou celui qui s'y prête à mieux comprendre et à mieux réfléchir le monde dans lequel nous vivons. La littérature est donc une voie privilégiée de l'acte de lire. Elle ne prend vie que dans le rapport du lecteur avec l'imagination d'un auteur et c'est par cette relation que se noue notre compréhension du monde. Histoire et récits sont donc des moyens de façonner le monde...