Fred Pellerin propose de multiples torsions des sens et des
mots, sourire en coin. Lors d'une de ses prestations, il disait quelque
chose comme : « elle s'est dit, plus jamais! » Il
ajoutait : « dans mon village, ça, jamais, ça dure 20 minutes... »
Le cadre et la forme portent à rire. Dans un cadre
différent, des fois, c'est moins drôle.
Le gouvernement de Jean Charest, à l'époque, avait adopté
une loi interdisant les déficits budgétaires annuels. Solennellement, il
affirmait que, grâce à cette loi, plus jamais nous ne vivrions plus de déficit
au Québec.
Ça a duré 20 minutes.
J'exagère. Un peu plus quand même. Quelques années, en fait.
Le temps d'inventer d'autres mots ou expressions qui viennent enrober de sucre
une pilule pourtant amère. Du genre : comptabilité créative. Celle qui
vient déguiser un déficit en dépense reportée ou je ne sais trop quelle autre
magouille ou vue de l'esprit.
Les mots qui anesthésient
C'est à peu près à la même époque que la notion de
développement durable est née. Je veux dire que l'expression développement
durable a été intégrée aux grands projets. Je me souviens même d'une
déclaration d'un ministre (j'oublie lequel), qui affirmait qu'il fallait bien
comprendre que dans l'ordre, c'est le mot développement, puis durable. Qu'il ne
fallait pas oublier cela! Ah, et que son gouvernement allait agir de façon
responsable!
Responsable. J'y reviens plus tard.
La traduction de développement durable est peut-être
erronée, déjà, à la case départ. En anglais, on parle de « sustainable
development ». Je me dis qu'on aurait dû dire « développement
soutenable ». C'est plus engageant, il me semble.
Rappelez-vous que le même gouvernement collait le même mot
durable à l'extraction des gaz de schiste! Est-ce qu'il est
« soutenable » pour l'environnement de développer de tels gaz?
Peut-être pas tant! On dirait que l'étiquette durable arrive à coller sur tout,
si tant est qu'on ait de bonnes équipes de communication.
Les mêmes équipes de communication qui ont appliqué le mot
responsable à tout ce qui bouge parce que, c'est documenté (!), le mot fait du
bien au citoyen qui a le goût de dire qu'il agit de façon responsable, mais
sans changer quoi que ce soit de son quotidien duveteux.
Faites le test : un simple bout de papier et un crayon
sont nécessaires. Sur le bout de papier, faites trois colonnes. La première
avec le nom du projet dont le politicien parle. La deuxième colonne, écrivez
simplement le mot "responsable" et, dans la troisième écrivez les
mots « décisions courageuses et difficiles ».
Écoutez ensuite l'entrevue du politicien et notez simplement
le nombre de fois qu'il utilise les mots de la deuxième et troisième colonne. Assurez-vous
de voir le point de presse au complet. C'est frappant!
Ensuite, si vous conservez et comparez les bouts de papier,
vous allez réaliser que moins le projet est solide, plus les mots ou
expressions « responsables » et « décisions difficiles et
courageuses » sont utilisés.
La communication, au sens public du terme, est devenue une
science. Une science aidée par les algorithmes et les sondages qui viennent
mesurer la sensibilité des citoyens par rapport à certains termes qui
rassurent, qui procurent un sentiment de réconfort et qui font qu'on peut dire
qu'on agit de façon responsable en répétant toujours les gestes qui ont
affaibli notre environnement, par exemple.
Je me disais tout ça cette semaine lors de l'annonce
officielle de la loi qui viendra interdire les véhicules uniquement à essence
en 2035. Mes lectures des deux ou trois dernières années démontrent que la
majorité des constructeurs de voitures ont déjà annoncé que leur flotte sera
électrique ou hybride avant 2030. Le projet annonce-t-il vraiment une
révolution? Pas tant. Mais il est annoncé comme tel.
Notre époque est marquée par l'arrivée de deux outils
majeurs à propos des mots : la polisseuse et la rectifieuse.
Tous ces mots qui ont été polis pour que, par exemple, une
personne aveugle soit maintenant non-voyante, et la rectifieuse qui vient
crochir le sens premier des mots pour en favoriser l'ingestion.
« Encore des mots, toujours des mots », chantait
Dalida, qui cherchait désespérément l'engagement sentimental derrière la pluie
de compliments du mec qui la courtisait...
Clin d'œil de la semaine
« M. Gérard entre ce matin dans un processus
d'induction entrepreneurial intensif. »
Dit autrement, il est en
entraînement chez son nouvel employeur.