Rarement, un titre de chronique tombe aussi pile avec l'actualité. Je fais ici allusion au titre de ma chronique de la semaine dernière : « Tout commence à Sherbrooke ».
Cette chronique faisait de la déclaration de Jean-François Lisée à l'endroit de PKP, le prétexte de mon propos. On se rappellera que Jean-François Lisée avait déclaré que PKP devait choisir : les affaires ou la politique au nom du principe de la démocratie de nos médias. Depuis lors, le débat fait rage : Pierre Karl Péladeau peut-il aspirer à diriger le Québec et le Parti québécois alors qu'il est propriétaire d'un empire médiatique qui contrôle 40 % du marché québécois?
La question est d'intérêt. Convenons cependant que les termes du débat actuel initié par la Coalition avenir Québec ne sont pas les bons. Clairement, l'Assemblée nationale du Québec ne peut et ne doit pas faire une loi qui vise à interdire à Pierre Karl Péladeau de faire de la politique à moins qu'il fasse le choix de renoncer à l'héritage que lui a légué son père. Reconnaissons que l'homme d'affaires Pierre Karl Péladeau a apporté une grande contribution à l'économie québécoise du 21e siècle. Il mérite plus de considération de nos parlementaires et de nos institutions démocratiques. Plongée dans la politique partisane...
L'affaire Yves Michaud
Pour ma part, je suis d'avis que l'Assemblée nationale du Québec ne doit jamais faire de lois qui visent des individus en particulier quel que soit les grands principes démocratiques qui puissent être évoqués. Il y a déjà l'affaire Yves Michaud qui nous couvre de honte, il ne faudrait pas récidiver avec le citoyen Pierre Karl Péladeau. L'affaire Péladeau soulève cependant un réel problème et nous devons lui apporter une solution pour la bonne santé et l'équilibre de notre vie démocratique.
Le problème : la concentration de la presse
Si j'ai bien compris la majorité des analystes et des commentateurs dans les derniers jours, les actions de Québecor détenues par Pierre Karl Péladeau et son entrée en politique font en sorte que Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, 24 heures et le Groupe TVA ont perdu leur indépendance et qu'ils sont obligés de faire systématiquement la promotion de Pierre Karl Péladeau et de la souveraineté. Non? Il est vrai que des analystes prudents ajoutent que ce n'est pas le contrôle effectif de Pierre Karl Péladeau qui pose problème, mais l'autocensure que pratiqueront les artisans de l'information du groupe Québécor. Il n'y a donc pas de problèmes réels, mais de grandes appréhensions pour un problème à venir. S'il n'y a pas réel conflit d'intérêts, il y aura alors apparence de conflit d'intérêts. Pierre Karl Péladeau doit vendre ses actions et dilapider son héritage ou quitter la politique. Le verdict est clair et sans appel.
Pourtant, la vente des actions de Québecor à une autre entreprise n'offrira en soi aucune garantie que la politique éditoriale actuelle qui est celle de la convergence et de la diversité des opinions restera inchangée. Au contraire, on pourrait se retrouver avec une ligne éditoriale guidée par la haute direction comme celle de Power Corporation envers le groupe Gesca.
On comprendra alors que le problème de la liberté rédactionnelle des salles de presse des médias québécois c'est la concentration de la propriété de la presse. Qui en parle?
La ligne éditoriale de Québécor : faire de l'argent
La vente de Québécor à un autre acteur pourrait conduire à l'abandon de la politique éditoriale actuelle qui est celle du populisme accrocheur et de la diversité des opinions. C'est une politique éditoriale qui a fait le pari du tout à l'argent. Cela ne serait pas un drame convenons-en! On pourrait faire autre chose. Il faut cependant admettre que ce n'est pas la présence de Pierre Karl Péladeau en politique qui justifie la ligne éditoriale de Québécor qui carbure à la convergence et au profit. C'est plutôt le succès de Québécor qui explique la présence de monsieur Péladeau en politique.
La vraie question qu'il faut poser est la suivante : quels sont les moyens législatifs que nous voulons nous donner pour interdire la concentration des médias ou encore pour garantir la totale indépendance des salles de rédaction dans nos médias? Ces questions sont d'un grand intérêt, mais elles ne justifient pas la motion adoptée la semaine dernière qui visait plus Pierre Karl Péladeau que les questions de l'indépendance des salles de rédaction ou de la concentration de la propriété des médias.
L'homme d'affaires et le citoyen Péladeau
Par ailleurs, il est aussi clair que l'homme politique Péladeau ne peut pas se servir de son poste pour promouvoir les projets de Québécor comme il semble l'avoir fait dans l'affaire de la vente des Studios Mel's, même déguisé sous le couvert de la défense des intérêts économiques supérieurs du Québec ou d'une région comme celle des Laurentides. Sur ce sujet, le code d'éthique des membres de l'Assemblée nationale déjà adopté semble convenir. La preuve en est que si les faits rapportés par les médias sont exacts, monsieur Péladeau pourra bien devoir en subir les conséquences et être blâmé pour son comportement dans ce dossier. Cela serait un avertissement sérieux à l'homme d'affaires devenu politicien qui semble avoir de la difficulté à s'adapter aux exigences éthiques de son nouveau métier.
Des solutions créatives pour Pierre Karl Péladeau
Si le citoyen Pierre Karl Péladeau veut poursuivre sa carrière politique, il est évident qu'il devra faire preuve de créativité afin de trouver des solutions originales et porteuses pour assurer les Québécois que son empire médiatique ne servira pas ses intérêts politiques au détriment des autres options, ni que sa carrière politique favorise son empire et les membres de sa famille. À cet égard, de nombreuses solutions peuvent être imaginées pour garantir la liberté et l'indépendance des salles de rédaction de tous les médias québécois et pour contrer la concentration de la propriété des médias. Par exemple, nos juristes pourraient trouver des avenues pour suspendre le droit de propriété au profit du droit de nos libertés démocratiques. Si nous arrivons là, Pierre Karl Péladeau à son corps défendant aura eu un rôle bénéfique pour la vitalité de notre vie démocratique. Ce qui serait une bonne façon de s'introduire auprès des Québécois pour poser sa candidature aux plus grandes fonctions.
Visa le noir, tua le blanc
Clairement, l'affaire Pierre Karl Péladeau constitue une occasion privilégiée pour la classe politique de s'interroger sur les fondements du rôle des médias dans notre vie démocratique. Les questions posées sur le pouvoir éventuel d'un individu sur notre vie politique sont utiles beaucoup plus largement que la seule question qui est devant nous. Le temps des interrogations devra faire place à celui des actions. Il faut cesser de faire de la politique partisane sur le dos du citoyen Pierre Karl Péladeau et choisir de réglementer la liberté de presse et enrayer la concentration des médias. Ce serait plus porteur que d'interdire à Pierre Karl Péladeau de faire de la politique pour des raisons partisanes. Il faudra cependant faire bien attention que la liberté de nos illusions ne se transforme en illusions de liberté...