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Désobéir


Dans notre société, la notion de désobéissance civile a ce mérite de nous faire comprendre, et de faire comprendre aux États, que les choses peuvent changer, qu'elles le doivent.
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Photo : crédit images: causa mundi.org; logo Extinction Rébellion
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 16 octobre 2019

L'américain Henry David Thoreau a écrit en 1849 un essai sur la désobéissance civile à la suite de son refus de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique. Puis, ce concept a été mis à contribution dans la lutte de Gandhi contre le pouvoir colonial anglais et par Martin Luther King dans la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Sous l'auréole bienveillante de l'essai de Thoreau, l'idée de fond de la désobéissance civile tient au fait que, selon les mots de Thoreau, sans notre accord tacite, sans notre soumission, aucune machine étatique ne peut agir.

De là, on imagine sans difficulté que toute guerre, injustice, souffrance sociale ne pourrait avoir lieu si la masse que nous sommes s'organisait en une somme d'individus pensants, pour s'y opposer. Dans notre société, la notion de désobéissance civile a ce mérite de nous faire comprendre, et de faire comprendre aux États, que les choses peuvent changer, qu'elles le doivent. C'est la voie que semble emprunter le collectif Extinction Rébellion pour sauver la planète dans sa lutte aux changements climatiques et qui a bloqué le pont Jacques-Cartier à Montréal en pleine heure de pointe.

Cela a suscité de nombreux commentaires de la classe politique surtout dans le contexte où l'une des formations politiques, la 3e opposition officielle, Québec Solidaire a cautionné ce geste de désobéissance civile. Réflexions autour de l'enjeu des changements climatiques et des moyens mis à contribution par les groupes et mouvements sociaux de la société civile.

La désobéissance civile

Définissons la désobéissance civile à l'aide de l'encyclopédie Universalis : « On parle de "désobéissance civile" lorsque des citoyens, mus par des motivations éthiques, transgressent délibérément, de manière publique, concertée et non violente, une loi en vigueur, pour exercer une pression visant à faire abroger ou amander ladite loi par le législateur (désobéissance civile directe) ou à faire changer une décision politique prise par le pouvoir exécutif (désobéissance civile indirecte). La désobéissance est dite "civile", d'abord, parce qu'elle est le fait de "citoyens" : ce n'est pas une rupture de citoyenneté ni un acte insurrectionnel. Il s'agit d'une manifestation de "civisme" au sens fort : volonté d'œuvrer pour l'intérêt général, même au prix de risques personnels. Le fait que la désobéissance civile soit nécessairement publique, et recherche même la médiatisation la plus forte (ce qui la distingue nettement de l'infraction criminelle), s'inscrit dans ce même registre du civisme : l'acte vise à éveiller la conscience des autres citoyens, à susciter un débat. »

Même si l'on peut trouver juste et acceptable d'utiliser la désobéissance civile dans certaines circonstances exceptionnelles comme l'oppression coloniale anglaise contre le peuple indien ou le mépris de la justice envers les personnes racisées afro-américaines dans la lutte pour les droits civiques, il reste que la désobéissance civile qui est mise en œuvre pour s'opposer à un gouvernement légitimement élu et représentatif dans le cadre d'un suffrage universel est une tout autre affaire. Peu de nous contesteront qu'il est légitime de s'opposer à un gouvernement non démocratique par la désobéissance civile, puisqu'il ne s'agit pas d'un État de droit. Mais la légitimité de la désobéissance civile dans un régime démocratique est un point très controversé : si les lois sont votées par une majorité élue sans fraude et sans intimidation, si les politiques sont définies par un gouvernement émanant d'un suffrage universel, peut-on admettre que des citoyens - même avec des motivations éthiques très respectables - organisent des actions illégales en vue d'obtenir la modification des lois et des politiques qu'ils réprouvent ? Peut-on aussi imaginer qu'une formation politique présente à l'Assemblée nationale dont ses représentants sont législateurs cautionne la désobéissance civile ?

Extinction Rébellion, un nouveau mouvement écologique au Québec

Répondre oui à une telle question n'est-ce pas une façon de cautionner la prise de pouvoir par la rue et l'éviction d'un gouvernement légitimement élu par une faction de la population ? Poser la question c'est y répondre. Il faut quand même rappeler qu'à l'échelle de la planète la contribution totale du Canada à tous les gaz à effet de serre produits annuellement est de 1,6 %. L'urgence d'agir n'est pas invalidée nécessairement par ce chiffre, mais il doit permettre de relativiser le discours de celles et de ceux qui prédisent la fin de notre monde dans les prochaines années.

Rappelons que le mouvement Extinction Rébellion est un mouvement écologique radical international qui a pris racine au Royaume-Uni en mai 2018. Depuis, ce mouvement essaime un peu partout dans le monde ainsi qu'au Québec et au Canada. C'est un mouvement qui a un rayonnement planétaire. Des membres québécois de ce mouvement ont depuis commencé à mener des actions au Québec. Le 13 juillet dernier, 25 militants associés à ce mouvement ont été arrêtés à Montréal, sans aucune résistance de leur part, après un sit-in qui a duré plus de cinq heures sur la rue Sherbrooke au centre-ville de Montréal. L'initiatrice du mouvement au Québec, Elza Kephart, a déclaré à un journaliste de la Presse+ que « de grands mouvements de désobéissance civile ont fait changer la société drastiquement. » Elle faisait notamment référence au mouvement pour les droits civils des Afro-Américains ainsi qu'aux suffragettes qui réclamaient le droit de vote des femmes. « On est rendu à un tel point où seulement un changement drastique de notre système peut sauver l'humanité de l'extinction. Ce n'est pas mon imagination, mais la science qui le dit ». La semaine dernière, ils ont bloqué un pont à Montréal et vendredi ils ont posé un geste symbolique à Québec. Il semble que le mouvement prend de l'ampleur. Les militants écologistes qui luttent contre le changement climatique veulent augmenter la pression sur les gouvernements qu'ils accusent d'inaction devant l'urgence climatique selon les conclusions des études régulièrement mises à jour par les scientifiques de la planète.

Leurs arguments se précisent puisque vendredi ils exigeaient du gouvernement Legault qu'il mette de côté le projet de GNL au Saguenay et qu'il abandonne le projet d'un troisième lien à Québec. Sans nier le droit de manifester ou de s'exprimer à qui que ce soit, il faut rappeler que le gouvernement actuel est légitimement élu et que les procédures normales sont en action pour examiner un projet comme celui de GNL au Saguenay qui devra passer le test d'un examen par le Bureau d'audiences publiques de l'environnement. Il n'en sera pas autrement du projet de troisième lien à Québec. Alors pourquoi ce chahut autour d'un enjeu majeur, mais qui ne nécessite pas que personne ne risque sa vie, tant les manifestants que les agents de l'ordre appelés sur les lieux ?

Québec solidaire et l'appel de la rue

Ce qui me trouble le plus dans toute cette question c'est l'appui tacite de Québec solidaire à ce mouvement qui, pour le moment, ne pose pas d'actes violents. Quand les militantes et les militants de Québec solidaire ont choisi d'emprunter la voie du Parlement, il devait être conscient qu'il abandonnait l'idée de prendre le pouvoir par la rue. C'est un vieux débat dans la gauche que cette idée de participer ou non à la démocratie bourgeoise pour changer la société. Jadis, ce débat faisait rage parmi les groupes d'extrême gauche. C'était d'ailleurs le principal reproche que faisait à une époque la mouvance trotskyste au Parti québécois. Plus de 50 ans plus tard, nous sommes ailleurs. Plus personne de nos jours, sauf quelques écologistes radicaux, ne veut débattre de l'idée de respecter ou non la démocratie. Si cela est vrai, ça devrait être entendu par Québec solidaire qui devrait s'assurer que ses représentants élus à l'Assemblée nationale du Québec défendent l'État de droit sinon qu'ils démissionnent et qu'ils prennent la rue pour s'emparer du pouvoir. On ne peut à la fois consentir et désobéir. Il faut faire le choix : consentir à participer à un processus démocratique ou désobéir. Il faut choisir l'un des deux. C'est le prix à payer pour légitimement désobéir...

source image livre: feedbooks; La désobéissance civile, Henry David Thoreau


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