On est quelqu'un, dans cette société, si on a un travail.
Dans un contexte où le travail est synonyme de performance
et où la performance est la base sociale, voilà qu'il est largement préférable
d'avoir une étiquette de travail solide si on ne veut pas continuellement se
justifier.
Vous n'êtes pas convaincus de la véracité de mon
affirmation? Faites l'exercice. Imaginez-vous que vous avez fait le choix de
laisser votre boulot pour rester à la maison après la naissance de vos
héritiers. Que vous soyez la maman ou le papa, les questions fuseront. Les
jugements de valeur gratuits aussi. Si vous êtes le papa, ce sera probablement
pire.
Mon parcours professionnel a été ponctué de chance. J'aime
croire que c'est la chance que l'on provoque au fil des actions qu'on pose.
Jusqu'en 2008, mon parcours était ascendant. De travailleur
cumulant jusqu'à cinq emplois à temps partiel dans une année jusqu'à la
direction générale d'un hebdomadaire, la courbe était montante.
Je m'en suis aperçu en 2008, quand mon poste a été aboli. La
performance exigée à l'entreprise qui m'embauchait a forcé la restructuration
et hop!, j'étais parti.
C'est au moment de me
retrouver à la maison que j'ai senti l'importance d'un emploi dans une vie.
Plus précisément, c'est au moment que j'avais à croiser des gens que je ne
connaissais pas que ça frappait dans le dash. Pour la première fois dans toute ma vie adulte, je devais me
présenter comme « François Fouquet, ... ». Point, finalement.
Le problème survient juste après la virgule. Je n'étais plus
François Fouquet de telle entreprise. J'étais juste François Fouquet. Le
malaise survenait plus cruellement après la virgule, alors que mon silence
était remplacé par une question inévitable : « Vous faites quoi dans
la vie? »
La qualité de la vie est liée au poste que vous occupez. Peu
importe lequel. Vous n'avez pas de poste? Pas si grave. Il existe des phrases
pour vous sortir du pétrin : « Je suis en réorientations de
carrière »; « Je me paie une sabbatique à la fin de laquelle
j'évaluerai mes options ».
Ces phrases ne sont pas magiques, tout cela étant. Vous
verrez le petit mouvement de recul de l'interlocuteur. Vous vous apercevrez que
la conversation bifurque vite vers quelqu'un d'autre dont l'étiquette du
travail vaut plus et mieux.
En entrevue, vous verrez aussi que les gens tiennent beaucoup
à savoir à quoi réfère ce vide dans l'évolution de la courbe du travail dans
votre parcours professionnel. Ça doit cacher quelque chose. Un burn-out, une fraude, l'atteinte de
votre limite de performance? Vous aurez le fardeau de la démonstration de vos
qualités et de vos capacités. Vous partez en arrière et devez ramer plus fort,
espérant être convaincant.
L'étiquette qu'on porte devient une carte d'entrée dans un
système qui se durcit. C'est quand l'étiquette finit par cacher l'humain
derrière que je m'inquiète le plus.
Clin d'œil de la semaine
Comme sur une marchandise, enlever une étiquette laisse
souvent un résidu collant et malveillant sur l'humain qui la porte.