Au dernier jour de
mars, le maire de Sherbrooke, Bernard Sévigny conviait le milieu économique
sherbrookois à une grande messe de remue-méninges pour faire naître chez nous
un écosystème entrepreneurial qui sera le fondement de notre croissance économique
future. Plaidant pour la mise en œuvre d'une véritable culture entrepreneuriale issue des
forces vives de notre milieu, le maire Sévigny cherche donc à poser des gestes pour
faire la différence.
Il est difficile
d'être contre la tarte aux pommes de grand-mère. Pourtant, l'idée de la tenue
d'un sommet sur l'entrepreneuriat apparaît comme une drôle
d'idée et un vote de non confiance envers la stratégie de
développement économique mise
en place depuis le dernier sommet économique de 2007. Il avait alors été décidé collectivement
de nous donner un nouvel outil de développement économique pour faire de Sherbrooke un pôle d'innovation
majeur reconnu tant chez nous qu'à l'échelle internationale. On connaît la suite de
l'histoire. Ce fut la naissance de Sherbrooke Innopole et la mise en œuvre
d'une stratégie de développement économique basée sur cinq filières-clés.
Où en sommes-nous au juste en 2015 avec notre volonté de créer une
nouvelle économie à valeur ajoutée chez nous?
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À la suite du sommet
de 2007, conformément à la volonté des forces vives de notre milieu économique, la
structure de développement économique de la ville de Sherbrooke Innovation et
développement
économique
(IDES) a été remplacée par une nouvelle; Sherbrooke Innopole. Un
nouveau conseil d'administration présidé par Me Louis Lagassé, et réunissant les forces vives du milieu des
affaires, a été mis en place et Sherbrooke s'est dotée d'une nouvelle
stratégie de développement économique.
Cette stratégie de développement
économique
a été proposée par le spécialiste en développement économique international, ex-fondateur de
Laval Technopole, Pierre Bélanger. Le plan de match proposé par ce dernier
aux Sherbrookois tenait en quatre points essentiels à ses yeux :
✓ Une vision de développement stratégique basée sur cinq filières-clés;
✓ La création d'un environnement économique catalyseur de croissance;
✓ La création d'un terreau propice et fertile à l'innovation et à l'entrepreneuriat;
✓ La mise en œuvre d'une politique de « branding »
énergique pour Sherbrooke et ses entrepreneurs.
Au départ de Pierre
Bélanger, après près de cinq ans, tous nous convenions que Sherbrooke était sur le bon
chemin pour réaliser son objectif de devenir une référence incontournable en matière d'innovation
et d'entrepreneuriat. Pourquoi aujourd'hui vouloir dramatiser le lancement d'un
nouveau chantier, qui est déjà en cours de toute manière, pour faire de l'entrepreneuriat
le phare de notre avenir? Pourquoi abandonner la stratégie mise en place?
Détournement de mission
Il n'a pas fallu de nombreuses années pour que
nous posions des actions peu structurantes eu égard à nos objectifs. On ne devient pas
Boulder, Colorado ou Silicon Valley en manquant de ténacité
et en perdant foi en une
stratégie mise en place avec tant de soin par tout un milieu économique. Il
en a fallu des heures et des heures de discussion pour que les intervenants économiques
s'entendent sur un plan de match afin de se donner des outils communs de développement et
pour expliquer à ceux qui paient les taxes que le chemin est long afin
d'atteindre les résultats escomptés. Pourtant, à peine quelques années plus tard,
on voit bien que la stratégie des filières-clés a
été mise au rancart même si
officiellement on continue de la promouvoir avec nos mots.
On constate aussi que
les critiques mal fondées par certains quant à l'abandon du secteur manufacturier par
notre organisme de développement économique ont eu leur impact. Aujourd'hui,
la situation est que sur cinq filières-clés, il reste bien sûr celle du secteur
manufacturier qui peut compter sur trois personnes, la filière des sciences de
la vie a toujours Josée Blanchard, la filière des technologies propres compte une
professionnelle qui était l'adjointe de la directrice Chloé Legris, les
filières des nano-technologies et des TICS n'a plus personne à sa tête depuis
le départ de Gordon Harling. Si la stratégie des filières-clés est toujours à l'honneur, on
constate qu'il y a de moins en moins de gens pour les animer.
Sherbrooke Innopole
se voulait aussi une plate-forme de relations avec d'autres pays et d'autres économies
innovantes sur la planète. On se rappellera que le coût des voyages de Sherbrooke
Innopole faisait jaser. Aujourd'hui, plus de doute possible sur la frivolité de dépenses de
Sherbrooke pour se promouvoir à l'étranger si l'on en croit certains médias de notre région. Imaginez,
Sherbrooke a dépensé la somme de 63 000 $ en six ans pour entretenir des relations
avec la Ville de Montpellier. Scandale en la demeure. Une journée durant, le
maire de Sherbrooke a été obligé de justifier ces dépenses dans les
médias.
Ce ne sont là que
quelques exemples qui font la démonstration que Sherbrooke s'éloigne de son plan
de match initial même si ce plan avait été appelé par tout un milieu. Si cela n'est pas un
manque de ténacité, je ne sais ce que cela peut-être.
La politique un
mauvais outil de développement économique
Dans un tel contexte,
la proposition d'une grande messe sur l'entrepreneuriat par le maire Sévigny ne
surprend guère. Outre le fait que cela ne fera que politiser le processus
d'entreprendre. Ce qui est fondamentalement contre-productif. Pour s'en
convaincre, il s'agit de voir comment nos relations économiques avec Montpellier ont été instrumentalisées par les adversaires politiques du maire Sévigny. Cette idée
d'un sommet de l'entrepreneuriat vient aussi faire contre-emploi
puisque Sherbrooke Innopole a déjà la mission de promouvoir une culture
d'entrepreneuriat et d'innovation. Au prix que cela nous coûte collectivement,
on devrait s'attendre à ce que cet organisme s'acquitte de sa mission. Plus
encore, le maire Sévigny est membre du C. A. de Sherbrooke Innopole,
il n'avait qu'à demander à cet organisme de prévoir
l'organisation d'un tel événement dans le cadre de ses activités annuelles.
Cela aurait évité de politiser le processus et aurait permis
d'augmenter les chances de succès d'une telle initiative.
Mauvaise cible
En clair, j'ai la
conviction intime que le maire Sévigny fait fausse route avec cette idée de sommet sur
l'entrepreneuriat. C'est du mimétisme avec l'événement Je vois Montréal. Un geste inconséquent avec ce que nous sommes et ce que nous
voulons devenir. Bien sûr, il faut valoriser et mousser l'entrepreneuriat et l'innovation. C'est d'ailleurs le travail quotidien de Sherbrooke
Innopole. Néanmoins, dramatiser ce thème et le politiser ne rendra pas service ni à nos
entrepreneurs ni à nos outils
de développement économique.
Le maire Sévigny aurait été plus avisé de convoquer
un sommet des forces vives de notre milieu pour mettre en demeure nos
gouvernements supérieurs, tant fédéral que provincial, de mettre fin à leurs
compressions draconiennes dans nos universités, nos
collèges et nos commissions
scolaires et nos centres de recherche. Il devrait aussi défendre les
organismes de développement régional que nous nous sommes donnés et surtout
refuser que Sherbrooke soit une ville comme les autres au Québec en dehors
de la métropole et de la capitale. Sherbrooke est l'un des trois pôles majeurs de
développement
économique
et en plus nous sommes un pôle d'innovation majeur non seulement au Québec, mais à l'échelle internationale. Cela n'empêche que notre silence complice relativement à des
décisions arbitraires d'Ottawa et de Québec et notre obsession de la rigueur budgétaire nous font dévier de notre
objectif de faire de Sherbrooke quelque chose de grand. Le sommet de Bernard Sévigny est à ce
titre une « fausse » bonne idée...