Dans la foulée des attentats de Paris du 13 novembre dernier et de l'étude par notre Assemblée nationale du projet de loi 59 contre les propos haineux, l'ineffable chef de la deuxième opposition, François Legault, a formulé une proposition simple pour combattre la radicalisation de l'Islam chez nous : fermer les mosquées. Il fallait y penser...
Que nous dit François Legault? Il invite le gouvernement libéral de Philippe Couillard de prendre part à la « lutte contre l'intégrisme religieux » en invitant « ... le chef du gouvernement d'amender le projet de loi antidiscours haineux afin d'octroyer le pouvoir au Tribunal des droits de la personne de dissoudre les corporations religieuses où sont tenus des discours intégristes ou radicaux comme des prêches contre la démocratie ou contre l'égalité entre les hommes ou les femmes. »
Deux difficultés pointent à l'horizon : la définition de ce qu'est un discours contre la démocratie et la nature de ce que comprend l'égalité entre les hommes et les femmes. Plongées dans la peur de l'Autre et dans les recoins de nos errances idéologiques.
Le projet de loi 59
Ce projet s'intitule : « Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes. »
À l'origine, ce projet de loi vise à lutter contre la radicalisation des jeunes et à prévenir la violence dans notre société. La ministre de la Justice, Me Stéphanie Vallée, explique lors de son dépôt le 10 juin dernier : « Par ces propositions, nous voulons renforcer nos interventions et nous doter de nouveaux moyens pour assurer la protection des personnes et pour sanctionner la diffusion de propos haineux ou incitant à la violence dans l'espace public. Avec ces interventions, nous réaffirmons ainsi notre volonté de faire du Québec une société égalitaire, respectueuse, non violente et exempte d'intimidation. »
Beau programme en perspective et intentions louables. Mais voilà, ce projet de loi pose plus de problèmes qu'il n'en résout. De nombreux commentateurs de la scène politique et certains experts ont dénoncé de larges pans de ce projet de loi, dont la journaliste Lysanne Gagnon dans La Presse : « La ministre de la Justice vient de dévoiler les amendements qu'elle entend apporter au projet de loi 59, un projet qui, sous prétexte de lutter contre la "radicalisation", nous prépare un régime de terreur intellectuelle avec ses dispositions concernant les discours haineux. On a peine à croire qu'après une commission parlementaire houleuse et des critiques tous azimuts, le gouvernement n'ait non seulement pas encore mesuré la portée liberticide de ce projet, mais qu'il ose soumettre à la population des amendements aussi risibles. ».
Ce projet de loi mal foutu est non seulement un cadeau sur un plateau d'argent aux Adil Charkaoui de la terre, mais aussi un terreau propice à la mise en place d'une police de la pensée comme dans le roman 1984 de Georges Orwell. C'est dans cette mouvance liberticide et contraire à notre culture et à nos valeurs que s'inscrivent les propositions de François Legault concernant les mosquées. Il faut combattre ces idées qui donnent l'impression d'une fausse sécurité comme l'on doit combattre le cancer avant que cela ne s'infiltre dans toutes nos cellules.
La peur du musulman
Il faut savoir faire la différence entre nos peurs et la réalité. Dans les faits, il y a moins de 250 000 musulmans au Québec et la très grande majorité vit à Montréal. Ils comptent pour 3 % de la population du Québec. Nous pouvons dormir sur nos deux oreilles. Nous ne sommes pas envahis ni conquis par la nation musulmane. Qui plus est, parmi ces gens, peu sont adeptes de la version radicale de l'Islam professée par une petite minorité d'activistes. Il est clair que nous sommes inquiets à juste titre de l'arrivée de ces « radicaux à la Charkaoui » qui veulent changer notre monde tel que nous le connaissons. Devant ces gens qui veulent détruire nos modes de vie et qui nous haïssent, nous ne pouvons rester sur notre quant-à-soi. Convenons-en ensemble.
Néanmoins, ce n'est pas par l'exclusion des autres, ni par des condamnations ex cathedra que nous parviendrons à créer chez nous un meilleur vivre ensemble. C'est Boucar Diouf qui le dit : « Le vivre ensemble est un concept aussi creux que cette mondialisation des cultures, à laquelle l'on essaye de nous faire croire... Dans une société plurielle qui a de la vision, c'est la symbiose culturelle qui devrait être le but à atteindre. Je vois une forêt interculturelle où, malgré des racines bien différentes, les fruits, les branches et les fleurs se mélangent, se touchent, s'embrassent et s'enlacent de façon inextricable dans les hauteurs. »
Bref, ce n'est pas en nourrissant la peur de l'Autre que nous parviendrons à la paix, ni en nous fermant les yeux sur les actions et les mots intolérables. Je crois cependant que les dispositions actuelles du Code criminel canadien ainsi que les politiques d'accommodements raisonnables fort bien étayées par la Commission Bouchard-Taylor sont suffisantes pour assurer la paix de nos âmes et de nos esprits. Ce qu'il faut surtout c'est comprendre que le terrorisme n'a pas pour source la radicalisation de l'Islam, mais plutôt que c'est à « l'Islamisation de la radicalité » que nous assistons de nos jours. En d'autres mots, l'Islam et le Coran ne sont qu'un prétexte à la violence par des gens qui instrumentalisent la religion musulmane pour assouvir leurs pulsions de violence, comme ces jeunes mis en scène dans le film de Stanley Kubrick, Orange mécanique.
Legault est dans le champ
C'est pourquoi je juge la proposition du chef de la CAQ, François Legault, non seulement inappropriée, mais aussi dangereuse pour nos libertés. Si l'on se rend aux arguments de Legault et que l'on ferme les lieux religieux où l'on prêche contre la démocratie et l'égalité des hommes et des femmes, que fait-on avec l'Église catholique et avec le cardinal Ouellet, le presque pape qui faisait il n'y a pas si longtemps la fierté de tout le Québec alors qu'il était papabile. N'est-ce pas le cardinal Ouellet qui a dû s'excuser pour des propos remettant en cause l'égalité entre les hommes et les femmes? Dans ce cas, monsieur Legault, devrait-on fermer les églises catholiques au Québec parce qu'un individu, tout autant évêque soit-il, a professé des mots qui vont à l'encontre de nos valeurs québécoises d'égalité entre les hommes et les femmes? L'exemple est probant puisque cet homme est presque devenu pape.
Il est vrai que l'Église catholique fait partie de notre patrimoine et que cela devrait être suffisant pour l'exempter. Qu'en pensez-vous, monsieur Legault?
Chose certaine, une société libérale qui fait la promotion des droits et des libertés individuelles n'enfante pas des projets de loi liberticides pour répondre à un problème du moment. Il faut combattre le terrorisme, j'en suis. Il faut aussi combattre la détestation de l'Autre et surtout chercher à vivre ensemble dans le respect des uns et des autres dans le cadre d'une société de droits et de libertés. La dernière chose à faire pour créer un faux sentiment de sécurité utile aux discours politicien c'est de fermer les mosquées...