Le
témoignage de Jean-Martin Aussant aux funérailles de monsieur Jacques Parizeau
a fait mouche. Il a surtout relancé les spéculations quant à son retour aux
affaires en parlant de la fin des exils.
On
ne pouvait pas ne pas lier cette déclaration à son propre exil en Grande-Bretagne
et à son absence de la scène politique québécoise. D'autant que cela coïncide
avec le retour d'un autre exilé, Gilles Duceppe, qui dans un événement théâtral
redevient chef du Bloc québécois. Mise en scène souverainiste de l'éternel
retour?
L'exil
comme métaphore
Dans
notre histoire l'une des figures les plus marquantes de l'exilé fut sans nul
doute celle d'Alexis Labranche tiré de l'imaginaire de Claude-Henri Grignon
dans son roman Un homme et son péché.
Alexis, le bel amoureux transi de Donalda, a de tout temps été présenté comme
un homme droit et éternel adversaire du « méchant » Séraphin Poudrier
l'avare. Le souvenir d'Alexis est celui que nous en laisse le comédien Guy
Provost dans ses prestations d'Alexis dans le téléroman Les belles histoires des pays d'en haut. L'histoire d'Alexis c'est
un retour d'exil réussi.
Une
autre image forte de l'exil est celle de ces milliers de Canadiens français qui
se sont exilés du Québec au nord-est des États-Unis pour aller travailler dans
les usines de textile afin de contrer la rareté des terres et le manque de
dynamisme économique de la province de Québec au 19e siècle. Cet
exil eut un dénouement beaucoup moins heureux que celui d'Alexis Labranche puisqu'il
s'est conclu par l'assimilation des nôtres au « melting pot » américain
et on peut se rappeler les conditions de vie de ces exilés dans le film Les tisserands du pouvoir de Claude
Fournier.
Il
y aussi l'exil des patriotes et celle des felquistes qui sont aussi partie de
notre histoire et de notre mémoire. Les uns et les autres, à degrés divers et
dans des circonstances différentes, sont finalement revenus au bercail.
Le nouveau
chapitre de l'histoire souverainiste
L'exil
est donc une constante de notre imaginaire et il n'est pas anodin que Jean-Martin
Aussant ait utilisé cette métaphore pour annoncer son retour à la politique
québécoise. Pas plus que l'image recherchée par Mario Beaulieu qui sacrifie ses
ambitions à la grande cause juste de l'indépendance nationale du Québec.
Nous
avons droit à une belle mise en scène souverainiste où l'on veut construire un
nouveau rapport de force politique en s'appuyant sur l'élection de Pierre-Karl
Péladeau à la tête du PQ, la disparition du leader mythique de l'indépendance
Jacques Parizeau et du retour du fils prodigue de Grande-Bretagne, Jean-Martin
Aussant. Il s'est ajouté à ce scénario le sacrifice de la brebis égarée Mario
Beaulieu au profit du retour de Gilles Duceppe, ce fils bien-aimé du Québec.
Ces
événements témoignent de la vitalité et de l'intelligence de celles et de ceux
qui ne veulent pas lâcher le morceau et souhaitent profiter d'un nouveau cycle
politique créé de toutes pièces pour raviver la flamme souverainiste parmi la
population québécoise. J'ai des doutes que ce nouveau chapitre donne les
résultats escomptés.
La nouvelle
donne
Ces
derniers jours, le sociologue souverainiste de l'UQAM, Jacques Beauchemin a
publié un nouvel essai dans lequel il étale toute sa désespérance devant la
passivité du peuple québécois relativement à la question de son indépendance. À
sa manière, Beauchemin se fait le continuateur du regretté Hubert Aquin et
évoque notre fatigue culturelle sur cette question.
Pourtant,
dans sa pensée, le sociologue Jacques Beauchemin pose le bon diagnostic pour
expliquer la timidité du peuple québécois envers cette question de l'éternel
recommencement du statut du Québec au sein du Canada.
Il
nous parle du thème cher à Jocelyn Létourneau de l'ambivalence des Québécois,
mais aussi de la montée de l'individualisme et de la difficulté pour la
population à s'identifier à la cause de l'indépendance en regard d'une vision
plus planétaire de notre monde vécu.
En
d'autres mots, le Québec du 21e siècle n'est pas celui du 20e
siècle. Les politiques réformistes du Parti libéral de Jean Lesage et celle de
René Lévesque sur la langue et la culture ont amélioré le sort des Québécois
francophones. Nous ne sommes plus sous la férule des Anglais et nous jouons
aujourd'hui un rôle majeur dans le domaine économique. Est-ce dire que nous
avons capitulé devant le Canada? Renoncer à ce que nous sommes pour la sécurité
financière?
Non.
Nous avons simplement confiance en nous et en nos moyens et nous trouvons
collectivement que le Canada n'est pas le goulag.
Le long
exil des Québécois
Ce
qui ne signifie pas que le Québec doive renoncer à changer les choses, à
améliorer le pays qu'est le Canada. Il faut que l'on réussisse à réformer la
constitution de ce pays qui n'est pas une véritable fédération. Le Canada pourrait
devenir avec un peu d'imagination et beaucoup de bonne volonté un modèle de
fédéralisme asymétrique multinational. Le fruit n'est pas mûr nous jusqu'à ne
plus avoir soif.
Pourtant,
la situation des populations amérindiennes, le dysfonctionnement du Sénat, les
nécessaires changements en matière de politique d'immigration, les politiques
en matière de santé et de communication sont quelques exemples de la nécessité
de reprendre les discussions constitutionnelles dans tout le pays. Il faudrait
surmonter les traumatismes d'hier pour prendre pleinement notre place dans le
21e siècle.
Les
retours d'exil annoncés ou accomplis de Jean-Martin Aussant et de Gilles
Duceppe, l'élection de Pierre-Karl Péladeau, le décès de Jacques Parizeau, le
retour en force de la polarisation politique sur la question nationale sont
annonciateurs d'une nouvelle saison politique au Québec et au Canada. Une
saison politique qui demandera à Philippe Couillard et au Parti libéral du
Québec d'avoir quelque chose à dire sur l'avenir du Québec au sein du Canada.
Le fardeau de la preuve n'est pas que du côté souverainiste. Il faut vraiment
que nous discutions dans un débat politique large, « entre nous », de l'avenir du Québec et de la fédération
canadienne. Il faudrait bien mettre fin un jour ou l'autre à l'exil du Québec
au sein du Canada qui perdure depuis 1982. C'est à cela que doit nous servir
aujourd'hui la figure de l'exilé...