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La bataille des identités

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Photo : C’est un fait que nous avons comme société un examen de conscience à faire quant à la représentation de toutes les citoyennes et de tous les citoyens du Québec dans nos œuvres culturelles et de manière plus générale dans la société. - Daniel Nadeau
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 1 août 2018

Il n'y a pas si longtemps, en 2017, le Canada fêtait son 150e anniversaire. Il est de coutume en ce pays de célébrer la diversité et l'unité de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens autour de valeurs communes. Des valeurs qui célèbrent les droits des individuels, la propriété, le respect des nations, des religions et bien sûr les droits de tous celles et ceux qui sont différents et qui veulent vivre cette différence. Une communauté postnationale comme l'a un jour déclaré le premier ministre Justin Trudeau.

Ce Canada que l'on aime célébrer sous le regard bienveillant de Dieu comme le rappelle notre constitution rapatriée contre la volonté de l'Assemblée nationale du Québec n'a toujours pas reconnu dans les faits la nation québécoise. Certes, comme dans le cas des Premières nations, on a reconnu par des symboles le caractère distinct du Québec, mais sans plus.

Parfois, dans les faits divers, on retrouve de véritables révélateurs de ce que nous sommes et le véritable état de situation vécu dans ce pays. Les controverses autour des spectacles de Robert Lepage sur l'esclavage, SLĀV et sur les Premières nations, Kanata, sont de mon avis de véritables révélateurs de la qualité de nos relations avec le Canada comme Québécois. Il me faut une fois de plus revenir sur ces questions. Pleins feux sur l'ignorance et une forme de mépris envers la nation québécoise et ses habitants.

Robert Lepage

Une chose est certaine. Le dialogue entre le créateur Lepage et la société québécoise contemporaine s'est traduit par un espace de non-dialogue. Les débats sur ces sujets ne font que creuser l'indignation des uns et des autres et font la démonstration d'une absence d'écoute et d'un culte du succès d'une élite créative nourrie à même les taxes et les impôts des citoyennes et des citoyens du Québec.

C'est un fait que nous avons comme société un examen de conscience à faire quant à la représentation de toutes les citoyennes et de tous les citoyens du Québec dans nos œuvres culturelles et de manière plus générale dans la société. Chercher à améliorer le sort de celles et de ceux qui sont absents de nos scènes et de nos écrans, pourtant bien présents dans nos vies, est une tâche incontournable pour l'avenir du Québec. Sans nier l'immense talent du créateur Robert Lepage, nous pouvons constater qu'il a manqué l'occasion par le choix de ses thèmes de création d'être une solution plutôt qu'un problème à ces questions liées aux identités multiples au sein de la société québécoise. Cela ne méritait pas la censure des spectacles ni les cris d'indignation de certains. Cela n'a que fait la démonstration de la nécessité d'un dialogue sur des sujets difficiles au Québec.

Le Canada

On se plaît à présenter le Canada comme une terre de toutes les libertés. Mais est-ce vrai? Bien sûr, Le Canada protège les droits et les libertés de toutes et tous par la fameuse Charte canadienne des droits et libertés. Un document envié par bien des populations ailleurs dans le monde. Liberté d'expression, liberté de religion, droits linguistiques, droits à l'égalité pour toutes et pour tous. Que de belles intentions pour un pays qui maintient un véritable régime d'apartheid pour les membres des Premières nations, qui refuse toujours de reconnaître les droits de la nation québécoise francophone et qui carbure à l'énergie sale de l'Ouest canadien.

Le Canada c'est aussi une mosaïque culturelle avec sa célébration du multiculturalisme. Le Canada est fort d'une population très hétérogène, composée d'Aborigènes, de descendants de Français, d'Anglais et enrichie d'immigrants provenant de tous les pays du monde. Ce multiculturalisme est valorisé au Canada et a formé, au fil des ans, la population canadienne actuelle. On retrouve cette mosaïque dans tout le pays, résistante à l'épreuve du temps grâce au respect mutuel entre les cultures et les traditions. En fait, elle participe grandement à la force du Canada et à son attrait.

Cela ne semble pas si vrai ces temps-ci. Plus que jamais, les tensions sont grandissantes entre les membres des Premières nations et les Canadiennes et les Canadiens. Les droits des Québécois francophones de ce pays sont foulés au pied comme le démontre la décision du nouveau gouvernement ontarien de Doug Ford d'abolir le ministère de la Francophonie et les droits du Québec ne sont pas toujours pas inscrits dans la constitution canadienne rapatriée en 1982 sans l'approbation et la signature du Québec.

L'histoire un outil?

J'ai écrit dans ma chronique de la semaine dernière ici que je vous reparlerai de l'article de Joan Sangster, alors présidente de la Société historique du Canada. J'y reviens aujourd'hui. (Joan Sangster, « Confronter notre passé colonial : une réévaluation des alliances politiques au Canada à travers le XXe siècle » dans Revue de la Société historique du Canada, Canada 150 ans, Toronto, Nouvelle série, volume 28, no 1, p. 45-93.)

Une lecture attentive de cet article démontre bien que derrière les intentions généreuses de l'auteure à l'endroit des Premières nations et de sa volonté de répudier le passé colonial blanc canadien, le Québec est encore absent de la réalité décrite par l'historienne. Nous sommes encore en présence des deux solitudes historiographiques qui ont toujours existé au Canada.

À cette différence près que de nos jours, les nouveaux représentants du discours historiographique québécois ne sont plus aussi massivement porteurs de la distinction québécoise. Cela s'explique que le concept de nation tout comme ceux de patriarcat et de capitalisme sont au ban de la réflexion historienne. On n'en finit plus d'en dénoncer les effets pervers même si la source est lointaine de notre époque. À cet égard, l'histoire est bel et bien un outil tout comme la production culturelle et les débats politiques. Un outil pour gagner l'adhésion de l'opinion publique.

Gagner la bataille de l'opinion publique

Jadis, j'avais pour projet de faire une thèse de doctorat en histoire sur la question de l'opinion publique et un événement marquant de l'histoire canadienne soit l'échec de l'Accord du lac Meech. Divers événements m'ont amené à abandonner ce projet dans sa forme initiale même si je travaille à un manuscrit sur la question que j'entends publier au cours des prochaines années.

Qu'il suffise de dire qu'à ce moment j'ai eu l'occasion de ferrailler avec les concepts des cultural studies et de lire l'un de ses créateurs, le Britannique Stuart Hall. Ces thèses ont beaucoup d'écho dans le monde des sciences humaines et sociales au Québec. Néanmoins, s'il est vrai que le capitalisme, la famille, le libéralisme, la nation et le patriarcat ont causé beaucoup d'injustices et d'inégalités dans l'histoire, ce n'est pas vrai que ce fut partout pareil et selon un même moule. C'est ce que nous apprend l'histoire.

Aujourd'hui, le Québec et le Canada se retrouvent à la croisée des chemins. Il y a eu collision inévitable entre le multiculturalisme, la culture de la Charte des droits et la reconnaissance des droits nationaux des Québécoises et des Québécois, des Acadiennes et des Acadiens et des membres des Premières nations. Le Canada doit se redéfinir comme une terre de libertés, d'égalité et de reconnaissance des droits nationaux et individuels. Il faut que nous puissions enfanter des intellectuels organiques, selon le mot célèbre du penseur marxiste italien Antonio Gramschi, qui seront les porteurs d'un nouveau dialogue. Sans ce dialogue inévitable, nous nous dirigeons vers une bataille des identités...


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