Regarderez-vous le Bye
Bye dans quatre jours ? Que vous le regardiez ou non, vous en
entendrez parler abondamment.
Quelques jours après sa diffusion et rediffusion,
les médias et les réseaux sociaux regorgeront de critiques et de commentaires
sur ce que l'on aura aimé ou pas du Bye Bye 2023. On
s'avisera sûrement de critiquer les comédiens, le choix des sujets, la réussite
ou non de certaines imitations. Pas de doute que la faillite de notre système
de santé, le troisième lien, les déboires des gouvernements Legault et Trudeau,
la subvention aux Kings de Los Angeles pour un séjour à Québec, l'élection dans
Jean Talon, la grève dans le secteur public, le décès de Carl Tremblay, ainsi
que des références aux procès de Trump aux États-Unis ont des chances d'occuper
une place de choix dans cette revue de fin d'année. C'est toujours amusant
quand on regarde une émission du Bye Bye de confronter la
lecture de l'actualité qui en est faite avec la nôtre. Bien sûr, il y a aussi
la façon dont cela sera abordé. Chose certaine, critiquer le Bye Bye,
c'est la routine du jour de l'an. Business as usual. Mais si l'on se
demandait, plutôt que de jouer au critique spécialisé du Bye Bye de
cette année, d'où vient cette tradition de se réunir en famille pour voir les
faits marquants de l'année.
Le Bye Bye de
Radio-Canada
Certains diraient à juste titre
de la revue de fin d'année, le Bye Bye, qu'il est une tradition
bien ancrée perpétuée par la Société Radio-Canada depuis 1968.
Voici l'historique que l'on peut
retrouver sur Wikipédia :
« L'émission a été présentée
toutes les années de 1968 à 1998. Toutefois, en raison de la démission des
membres de l'équipe du Bye Bye 1997, le spécial n'a pas été
présenté cette année-là. Cependant, une rétrospective des meilleurs Bye
Bye avait été diffusée. En 1998, Daniel Lemire prend en charge toute
la structure du Bye Bye. Ce fut le dernier spécial
jusqu'à ce que Radio-Canada engage Véronique Cloutier pour une nouvelle formule
en 2003. L'année 2004 ayant été difficile pour Cloutier, Radio-Canada a
décidé de ne pas renouveler l'expérience.
À la demande populaire et
constatant qu'il n'y avait plus de domination télévisuelle la veille du Jour de
l'an, Radio-Canada engage le groupe Rock et Belles Oreilles (RBO) pour
concevoir une nouvelle mouture du Bye Bye, celui de 2006, afin de
souligner les 25 années d'existence du groupe. C'est aussi RBO qui a conçu
le Bye Bye 2007. Toutefois, en 2008, Radio-Canada s'est
tournée à nouveau vers Véronique Cloutier pour animer et produire cette revue
télévisée de fin d'année.
Avant de recevoir
l'appellation Bye Bye, le concept a été présenté sous un autre nom,
soit Salut '57 !, diffusé le 31 décembre 1956, le
31 décembre 1957 et puis pendant trois autres années, de 1959 à 1961 c'est
l'émission Au p'tit café qui se charge de la revue de l'année
qui se termine. D'autres comme Zéro de conduite, Ça va éclater !
et, Les Couche-tard furent aussi utilisés pour les spéciaux de fin
d'année présentés par les télédiffuseurs.
La comédienne et humoriste
Dominique Michel a participé à pas moins de dix-sept Bye Bye dans
toute sa carrière, incluant le spécial de 1997, 30 fois Bye
Bye. Ce fut ainsi son dernier Bye Bye. »
Cela conforte sûrement celles et
ceux qui ont répondu que le Bye Bye est une tradition purement
télévisuelle implantée par la Société Radio-Canada. Mais ce n'est pas toute la
vérité. S'il est vrai que la formule des Bye Bye télévisuels
est issue de Radio-Canada et de la télévision, la tradition des revues
d'actualité est un pur produit du début du théâtre et du début de la scène à
Montréal au 19e siècle. Voyons cela de plus près.
Montréal, Québec
Canada, 1900
Les premières revues d'actualité
occupent une large place sur la scène culturelle montréalaise au début du 20e siècle.
La population se prend d'affection pour ces nouveaux produits culturels et on y
retrouve autant un public ouvrier qu'un public de classes bourgeoises. C'est
d'ailleurs à partir de ces revues d'actualité que se créera au Québec une
véritable tradition théâtrale.
Les revues d'actualité sont des
spectacles hétéroclites composés de plusieurs sketchs, chansons, saynètes et
monologues. De façon générale, ces revues traitent d'événements d'actualité de
la vie et sociale de l'époque et elles mettent en vedette des politiciens et
des personnalités connues. On y retrouve aussi des personnages insolites
inventés de toutes pièces comme le personnage Maison à louer, Scandale de
l'électricité. Règle générale, la trame narrative est assurée par une commère
ou un compère qui raconte au public présent une histoire en se servant de lieux
et de personnages.
La meilleure revue de cette
époque selon les auteurs est Le diable en ville d'Alexandre
Sylvio. La presse relate ce spectacle de la façon suivante : « Le diable
est revenu sur terre pour se rendre compte de ce qui s'y passe, étant donné du
grand nombre de mortels qu'il reçoit dans son domaine. Il fait le tour de la ville
et avec ses deux personnages qui l'accompagnent, on visite l'Hôtel Mont-Royal,
on rencontre l'heure normale, l'amateur de radio, une salle de théâtre, un
cinéma. Les situations sont cocasses et l'humour est au rendez-vous. » On
retrouve là l'essence même des Bye Bye d'aujourd'hui même si
le produit culturel a beaucoup évolué.
Des racines françaises
« Ces revues d'actualité ont des
racines proprement françaises. Elles ont été les principales attractions
culturelles à Montréal de 1900 à 1930 et ont accompagné la venue de la
modernité au Québec. On doit les premières revues d'actualité locale à des
Français établis à Montréal tels les frères Delville, Numa Blès et Lucien
Boyer. Par la suite, on retrouve une influence américaine par le biais des
spectacles de variétés et du burlesque. Alexandre Sylvio produit Y'en a
dedans en 1927. Ce spectacle aligne saynètes, dialogues, sketchs, parodies,
chansons en solo ou en duo, en plus d'un burlesque de la vie moderne intitulé
le progrès en l'an 50. » (Lacasse et coll., p. 103.)
Les revues d'actualité
connaîtront un immense succès et elles seront supplantées à la fin des
années 30 par la radio et le théâtre qui commence à prendre de
l'importance sur les scènes de Montréal. Ce n'est que vers la fin des
années 1950, plus précisément en 1957, que ces revues d'actualité
reprendront forme à la télévision avant de devenir la tradition des Bye
Bye que nous connaissons si bien aujourd'hui.
Le Bye
Bye 2023
Au moment où j'écris cette
chronique, je ne sais pas si le Bye Bye 2023 sera une
bonne cuvée. Je sais cependant qu'il fera selon toute vraisemblance une large
place à la Guerre en l'Ukraine, au conflit au Moyen-Orient, à l'élection
partielle dans Jean Talon et aux grèves. Reste à voir le traitement que l'on
fera des talents de chanteur de Bernard Drainville dans son hommage à la
mémoire de Carl Tremblay. Je crois aussi que les allocations de dépenses à la Ville
de Montréal seront à l'honneur ainsi que les coupes dans les médias notamment à
TVA et à Radio-Canada. De nombreuses options s'offrent aux scripteurs du Bye
Bye qui ont l'embarras du choix en ce qui le concerne. Chose certaine,
l'édition du Bye Bye 2023 fera l'objet de moult
commentaires de la part de tous les observateurs comme le sont toutes les
émissions de télévision qui ont encore le privilège d'avoir une cote d'écoute
de plus d'un million de téléspectatrices et de téléspectateurs. Ce que je sais
cependant c'est que ce Bye Bye 2023 est issu d'une
vieille tradition de revue d'actualité qui a dû faire face en leur temps à de
nombreuses critiques et même à la censure de l'Église catholique. Une Église
qui n'aimait pas beaucoup le théâtre léger et l'humour grinçant de pièces
comme Le diable en ville. Autres temps, autres mœurs me direz-vous.
Ce qu'il faut retenir c'est que
si la critique est parfois dure envers nos créateurs culturels, nous pouvons au
moins nous consoler du fait que nous n'avons plus la censure de l'Église, bien
que nous ayons maintenant celle d'une nouvelle gauche irascible. En ce début
d'année 2024, rappelons-nous combien la liberté d'expression est une
valeur chère pour nous tous...
SANTÉ, Bonheur et Prospérité pour
2024 !
Lectures recommandées : Germain Lacasse, Johanne Massé et Bethsabée
Poirier, Le diable en ville, Alexandre Sylvio et L'émergence
de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses universitaires
de Montréal, 2012, 306 p.
N. B. Le texte de cette chronique
a déjà été publié, mais cette version est remaniée.