La semaine dernière, j'ai vu les débats, en anglais et en
français, des candidats au leadership du Parti libéral du Canada. Dire que cela
m'a passionné serait trahir la réalité. Ces débats ont été ennuyeux et ternes.
On ne peut pas inventer un somnifère plus puissant. Il est vrai que dans les
circonstances actuelles, les libéraux fédéraux ne peuvent se permettre de
donner trop d'armes à leur adversaire Pierre Poilievre. Ce qui n'empêche pas
que les propos tenus par les candidates et les candidats en présence, Christya
Freeland, Karina Gould, Frank Baylis et Mark Carney, étaient en nette rupture
avec le narratif libéral des dix dernières années. Cela est surréaliste
d'entendre un Mark Carney affirmer qu'il faut rétablir l'équilibre budgétaire ou
Chrystia Freeland dénoncer la taxe sur le carbone. En fait, les libéraux, à
l'exception notable de Karina Gould, ont tous renié la parole libérale avant
que le coq n'ait chanté trois fois comme l'apôtre Pierre. Un spectacle désolant
pour bien des Canadiens, mais surtout pour Justin Trudeau à qui toutes ces
personnes doivent leur carrière politique. Le point sur la course au leadership
du Parti libéral du Canada.
Le bilan de Justin Trudeau
On a beau pérorer sur les faiblesses du leadership de Justin
Trudeau, mais nul ne peut effacer son excellent bilan comme premier ministre du
Canada. Trudeau a dirigé le pays à travers une série de défis, tant nationaux
qu'internationaux. Son mandat a été caractérisé par des promesses audacieuses,
notamment en matière de changement climatique, de réconciliation avec les
peuples autochtones, de rupture avec l'Évangile des économistes libéraux sur la
déification de l'équilibre budgétaire pour un État et par un vigoureux
programme économique pour aider la classe moyenne et combattre la pauvreté des
enfants canadiens. Justin Trudeau s'est aussi fait le champion de la
réconciliation avec les peuples autochtones. Sa gestion de la grave crise de la
pandémie liée à la COVID-19 a aussi été digne de mention.
Son bilan en matière de politique étrangère est aussi à
mentionner. Il a travaillé à renforcer les relations du Canada avec ses alliés
tout en réaffirmant le rôle du pays en matière des droits de la personne et de
la lutte à la pauvreté. Trudeau a aussi pris des positions énergiques à l'égard
de l'atteinte contre les droits de la personne en Chine et d'autres régimes
autoritaires. Il a su aussi composer avec les États-Unis et leur président pour
le moins incohérent en renégociant le traité de libre-échange, l'ACEUM. Pas
suffisamment, puisque le pays est encore plongé dans le même psychodrame avec
son voisin au sud de la frontière.
On doit aussi noter que le gouvernement de Justin Trudeau a
trop tardé à actualiser les dépenses militaires et à défendre la zone arctique
avec la fermeté qu'exigeaient les circonstances. Enfin, il faut souligner que
ces tergiversations à prendre des décisions ont souvent donné l'impression d'un
leadership faible, notamment dans le dossier de Jody Wilson-Raybould qu'il a
trop tardé à exclure de son cabinet.
En fait, si l'on en fait un tableau honnête, le bilan de
Justin Trudeau est complexe et nuancé. Son passage comme premier ministre a été
marqué par des avancées significatives en matière de politiques économiques,
environnementales et de réconciliation avec les peuples autochtones. Ses
politiques en matière de changements climatiques ont été ponctuées d'achat de
pipeline et de reculs électoraux sur la taxe carbone dans les provinces
maritimes, tout en souffrant de résultats discutables quant aux cibles
projetées. Sur la question du Québec, Justin Trudeau aura été fidèle aux
politiques centralisatrices des libéraux et à l'héritage de son père, Pierre
Elliott Trudeau. Bref, un bilan sujet à des critiques de droite et de gauche,
mais qui mérite beaucoup mieux que le reniement de tous les bons coups de son
gouvernement par ses héritiers présomptifs.
Si tu veux avoir un ami, ne fais pas de politique,
achète-toi plutôt un chien...
Le discours des différents candidats au leadership du Parti
libéral du Canada n'est rien de moins que l'effacement de l'héritage de Justin
Trudeau. Il y a quelque chose d'indécent à voir Chrystia Freeland dénoncer ses
propres budgets. Mark Carney ça peut aller, il n'était pas membre du
gouvernement. Simple conseiller honorifique, on ne peut lui reprocher telle ou
telle politique du gouvernement Trudeau. Karina Gould fait exception dans cette
course, car elle demeure fidèle aux grands principes et aux orientations
fondamentales du gouvernement auquel elle appartient. C'est à une véritable
opération de brainwashing à laquelle nous sommes conviés, nous observateurs de
la scène politique canadienne. Ce qui est le plus déplorable n'est pas
seulement de voir les libéraux renier leurs origines, c'est de voir que cela
semble bien fonctionner auprès de l'électorat. Les sondages l'indiquent, les
libéraux sont en nette remontée dans la faveur populaire. C'est dire
l'impopularité qu'avait atteinte Justin Trudeau. Ironie de l'histoire, même
avec Justin Trudeau comme chef, les libéraux feraient mieux aujourd'hui
qu'avant sa démission ! Ce que les libéraux devraient cependant se rappeler,
c'est que les gens préfèrent souvent l'original à la copie. Ce qui me fait
croire que le sursaut de popularité actuel des libéraux ne survivra pas à la
prochaine campagne électorale qui sera pour très bientôt. Quant à Justin
Trudeau, qui se comporte très dignement dans la dernière étape de son mandat,
il sera d'accord avec l'idée que si l'on veut un ami, on ne fait pas de
politique, on s'achète un chien.
L'avenir du gouvernement libéral
Ceux qui me connaissent savent que je ne suis
pas conservateur. Je suis loin d'être un admirateur de Pierre Poilievre. Il
reste cependant que les actuels candidats pour remplacer Justin Trudeau ne
m'inspirent guère. Si j'avais à voter aujourd'hui, je voterais pour Karina
Gould, mais ce vote ne serait pas stratégique. Pour se donner une chance de
remporter l'élection, les gens vont voter très majoritairement pour Mark
Carney. Le réveil risque d'être brutal puisque parmi les nombreuses qualités
que possède monsieur Carney, celle d'être un politicien habile ne fait pas
partie de son portefeuille de caractéristiques. Carney c'est une sorte
d'illusion électorale qui d'après moi, ne résistera pas au test du réel d'une
campagne électorale chaudement disputée. Il est vrai que le syndrome Trump
pourrait donner un avantage à Carney et aux libéraux qui se laisseront
impressionner par le curriculum vitae de l'ancien gouverneur de la Banque du
Canada et de la Banque d'Angleterre. Quoi qu'il puisse en être, je crois que
les libéraux font une grave erreur en redevenant un parti politique de centre
droit, centralisateur et imperméable aux revendications nationales du peuple québécois.
L'avenir a ce vilain défaut qu'il dure longtemps...