La période estivale est propice à rattraper des lectures que l'on avait négligées pendant les périodes les plus occupées. Lecteur boulimique, j'ai rattrapé mon retard en lisant deux livres qui concernent la vie politique américaine et notre vie privée. Croyez-le ou non, notre vie privée est menacée par la politique étrangère de notre puissant voisin américain. Enquête au cœur de la sale guerre américaine contre le terrorisme.
La sale guerre :
Les Éditions Lux nous a offert tout récemment la traduction du livre de Jeremy Scahill intitulé en français, Dirty wars, Le nouvel art de la guerre. Dans ce passionnant livre, Scahill nous livre une solide enquête qui prend la forme d'un thriller politicomilitaire qui traite des manœuvres clandestines du Joint Special Operations Command (JSOC) sous l'égide de la Maison-Blanche avec comme acteurs principaux Donald Rumsfeld et Dick Cheney.
En parcourant les 700 pages de cet opus à la mémoire des victimes d'une sale guerre, on peut voir des femmes et des hommes de religion musulmane qui doivent choisir de perdre un être cher s'ils refusent de s'enrôler dans le djihad ou de devenir l'ennemi d'une Amérique guerrière qui apparaît sous son jour le plus sanguinaire. Par ce récit, on comprend que le JSOC est une machine à tuer qui ne fait pas de quartier et que celle-ci est au service de la plus haute autorité politique américaine. On comprend mieux que le monde devient pour l'ex-président Bush et ses sbires un vaste champ de bataille où on est avec ou contre le gouvernement américain contre les terroristes.
Le projet sous-jacent pour ces néoconservateurs de l'administration Bush fils est « ... de consolider la mainmise américaine sur les ressources naturelles à l'échelle mondiale en confrontant directement les États qu'ils trouveront dans leur chemin. Ils souhaitent provoquer des changements de régime dans de nombreux pays, dont l'Irak, riche en pétrole » (p.23, Scahill, Dirty Wars, Lux). D'où la guerre contre l'Irak pour soi-disant détruire des armes de destruction massive. La vie de milliers de gens a été détruite et aucun respect pour la vie privée n'a freiné la quête de ces faucons de la guerre...
Les siffleurs d'alerte :
La quête de pouvoirs et la volonté de l'administration Bush fils de vaincre le terrorisme ne pouvaient se réaliser sans une cueillette gigantesque d'informations. Sans le courage du jeune Edward Snowden, un informaticien qui travaillait pour la National Security Agency (NSA) américaine, jamais nous n'aurions su l'étendue de la surveillance menée en secret par les États-Unis : écoute électronique, interception de courriels, espionnage d'entreprises et de gouvernements alliés. Depuis l'éclatement de l'affaire Snowden, nous savons maintenant que nous n'avons plus droit à la vie privée nulle part au monde.
Antoine Lefébure, créateur de la revue critique des médias électroniques Interférences et créateur des radios libres en France, nous livre chez Découverte un passionnant récit ce cette affaire qui a créé partout dans le monde un vaste mouvement d'indignation parmi les citoyennes et citoyens et nous amène à nous interroger sur le concept de sécurité nationale en marge du respect du droit à la vie privée. Lefébure relate dans son livre L'affaire Snowden publiée en février 2014, comment les États-Unis espionnent le monde, il relate de façon méthodique et pédagogique les dessous méconnus de cette incroyable histoire. Après la lecture de ce livre, on comprend mieux la motivation des principaux acteurs et les enjeux qui sont en cause. Une fois encore, on comprend la fragilité de la vie privée et des dangers que représente pour nous tout le web quant à la confidentialité de nos informations personnelles.
Facebook au pilori...
Si nous voulions plus de preuves quant à la fragilité de la préservation de notre vie privée, le réseau social Facebook nous en donne un témoignage éloquent lui qui a mené une enquête à l'insu de ses abonnés sur les conséquences des post publiés et la propagation des sentiments. Un document issu de l'académie nationale américaine des sciences indique que Facebook ainsi que des chercheurs des universités de Cornell et de Californie se sont associés pour manipuler les flux de 700 000 utilisateurs en 2012. Le but était d'étudier la propagation des sentiments sur les réseaux sociaux. Sans avoir obtenu le consentement éclairé des abonnés, cette pratique choque et pose des questions éthiques. Une fois de plus, notre droit à la vie privée est mis à mal.
Vie privée, vous dites?
Outre les dérives du réseau social de Facebook, on pourrait citer de nombreux autres cas de transgression de notre vie privée se basant sur la confiance que nous accordons aux différents sites web ou réseaux sociaux que nous fréquentons. L'appel à la vigilance ne peut suffire quand on constate que le plus puissant État dans le monde transgresse au nom de la sécurité nationale les règles les plus élémentaires du respect à la vie privée. Plus que jamais, les grandes valeurs de la démocratie libérale sont mises à mal par les pratiques douteuses ce ceux qui devraient les préserver. Il n'y a pas de doute, il nous faut relire l'excellent roman de Georges Orwell 1984. Dans ce roman, nous pouvions entrevoir Big Brother. Aujourd'hui, Big Brother est parmi nous...
Lectures recommandées :
Jeremy Scahill, Dirty wars, Le nouvel art de la guerre, Montréal, Éditions Lux, 2014,700p.
Antoine Lefébure, L'affaire Snowden, Comment les États-Unis espionnent le monde, Paris, La Découverte, 2014, 275p.
Georges Orwell, 1984, Paris, Gallimard, 1950, 449 p.