Né à Sherbrooke au début des années soixante, Michel (ou Pierre, ou Marc, c'est selon) a appris tôt la valeur de l'argent.
La valeur de l'argent était une expression très à la mode lorsque Michel a eu 18 ans. Il a compris très vite que si les gens savaient que tu en avais dans les poches, même sans savoir combien tu en avais, eh, bien, subitement, tu avais une valeur à leurs yeux.
La valeur de l'argent avait donc, à ses yeux, une valeur. Comme l'argent devenait un déterminant important dans sa vie, il a appris, selon les expressions consacrées, à « faire attention à son argent », à intégrer le fait que « le temps, c'est de l'argent » et à conclure que tu peux prétendre être un gars responsable (un bon parti, disaient nos parents!) si tu as de l'argent.
Michel a cependant eu de la difficulté à intégrer la chose. De grands principes fondamentaux sont venus se cogner dans sa tête : le principe du voisin gonflable et celui de la valorisation par l'entourage.
Mais voilà. L'urgence de se démarquer contredisait la notion de patience propre au fait d'économiser. Rapidement, il a frappé un mur. Mais en y regardant bien, dans le mur, il y avait une porte. Des lettres d'or étaient gravées dessus : « Bienvenue à toi, Michel! ».
Le crédit lui a donc ouvert ses portes.
Au gré des encouragements reçus par la poste, puis par courriel, modernisation oblige, voilà qu'il a accepté des offres de crédit qui lui arrivaient prémâchées, presque sur mesure pour lui et qui promettaient la paix de l'esprit et, surtout, la possibilité de continuer sa quête.
D'offre en offre, il déconstruisait, brique par brique, ce qui compte le plus, dans une société où le citoyen est d'abord un consommateur, mais dont il se souciait le moins : une bonne cote de crédit.
La valeur de l'argent n'existait plus. Il n'y avait que les valeurs de l'argent. L'argent ouvre la porte à la consommation d'objets qui, selon les promesses énoncées, ouvrent la porte à la reconnaissance sociale, à la popularité, à l'œil envieux qui semble dire : « wow, lui, il a réussi. Il fait partie de l'élite! »
C'est ça que Michel voulait entendre. Mais comme il n'avait pas le tour avec l'argent, il a ouvert la porte invitante du crédit. La porte donnait sur des jardins apaisants. Dans ces jardins poussent des centaines de variétés de cartes colorées et attrayantes et dont les noms évoquent les métaux les plus précieux! On y trouve aussi arrangements à l'odeur de paix et de liberté dont la racine première est la consolidation. Et quand un jardin finit, un autre s'ouvre. C'est presque infini! Et chaque jardin est orné d'une affiche de bienvenue qui plaide pour le pardon. C'est pas beau, ça? Ben oui, c'est beau, le pardon! Ça vous permet d'acheter une voiture sous le thème vertueux de 2e, 3e, 4e ou même 7e chance au crédit!
Vous voyez, le crédit est inclusif!
Je repensais à Michel, cette semaine, dans la foulée du scandale du vol d'identités qui a secoué Desjardins dernièrement.
Et je me disais que ce serait une belle occasion, pour Desjardins, de brasser les cartes (de crédit et autres!) et de lancer un véritable chantier de formation des citoyens. Une formation qui miserait sur autre chose que l'accélération de la consommation des produits offerts par la bannière.
Et le naïf en moi se demande pourquoi les banques ne s'uniraient pas dans ce grand chantier!
Mais bon, je m'arrête là.
Demander à une banque de mettre en place un chantier de véritable formation sur l'utilisation de l'argent équivaudrait à demander à un humain de renoncer à boire et manger. Le seul élément capital d'une banque? Accumuler les intérêts qu'on leur paie.
S'inquiéter de se faire voler son identité, c'est une chose. Redéfinir notre identité par rapport à l'argent et ses valeurs annoncées en est une autre...
Clin d'œil de la semaine
Étrangement, c'est en mettant de l'argent de côté qu'on finit par en avoir devant soi...