Jeudi dernier, le ministre des Finances du Québec, Éric
Girard, a déposé le budget du gouvernement du Québec à l'Assemblée nationale. Le
charisme du ministre n'est pas ce qui fonde notre intérêt pour cet exercice, je
le confesse.
Un discours du budget intéressant qui nous permet de
constater l'ampleur des dégâts financiers qu'a causés la crise de la pandémie
actuelle sur les équilibres financiers du Québec. Le budget présenté est
orienté vers la relance économique, le soutien au réseau de la santé avant de
remettre à l'ordre du jour la question du déficit. À la même époque l'année
dernière, le même ministre avait présenté un autre budget au ton empreint de
plus de satisfaction. Néanmoins même si l'exercice de cette année se prête à
plus de retenue, le ministre Girard n'a pas manqué de rappeler que l'économie
québécoise a mieux fait en temps de pandémie que l'économie canadienne
particulièrement celle de l'Ontario. Réflexions libres autour d'un budget qui
est le fait d'un gouvernement responsable et à l'écoute de la population.
Le budget, un exercice politique
D'entrée
de jeu, il faut rappeler que de tous les gestes d'un gouvernement, le dépôt
d'un budget constitue un acte suprême de volonté politique. Au-delà des
discours, c'est les choix budgétaires d'un gouvernement qui trahissent le plus
ses véritables intentions politiques. Il y a plusieurs années Gilles Bourque et
Jules Duchastel, ont analysé et revisité le régime de Maurice Duplessis et la
période de l'après Deuxième Guerre mondiale au moyen d'une étude des discours
du budget. Je ne m'attarderai pas sur cette période particulière, mais retenez
que les arguments du livre de Bourque et Duchastel sont convaincants et
permettent de voir que les discours du budget sont un moment où l'on ne peut
voir par la lecture minutieuse du discours politique de l'époque la traduction
de la hiérarchisation des intérêts économiques et politiques incarnés par le
Gouvernement et les conditions politico-idéologiques de l'exercice du pouvoir. Ce
qui permet aux auteurs de venir interroger un discours prégnant de l'époque
décrivant le régime de Duplessis comme un régime de noirceur. Ce n'est pas ce que révèle l'analyse des
auteurs sur ce régime politique qui apparaît plutôt comme un conservatisme
libéral de bon teint. Restons traditionnels et soyons progressifs en concluent
les auteurs. (Gilles Bourque et Jules Duchastel, Restons traditionnels et
progressifs. Pour une analyse du discours politique. Le cas du régime Duplessis
au Québec, Montréal, Boréal, 1988, 399 pages.)
En ce sens, un examen attentif du dernier budget du
gouvernement Legault confirme l'aspect pragmatique de son gouvernement qui se
tient loin des dogmes et des idéologies politiques en refusant par exemple de
faire sien le discours contre les déficits même s'il s'en préoccupe. Il est
clair que l'on veut se tenir loin de propos qui ferait de ce gouvernement un
apôtre de l'austérité budgétaire qui a fait si mal à l'image du gouvernement
libéral précédent de Philippe Couillard. Le ministre Girard a présenté un
budget sobre qui ne craint pas la dépense pour accompagner à la fois le système
de santé durement éprouvé par la pandémie et veut venir à la rescousse de la
culture, du tourisme et plus globalement du social.
Déficit et PIB
Vous
l'avez sûrement lu autre part. Ce budget est résolument un budget d'expansion.
Un budget qui totalise 134,9 milliards de dollars pour des revenus de
122,6 milliards de dollars, ce qui laisse un déficit anticipé, sur la base
d'un taux de croissance de l'économie de 4 %, un déficit de 12,3 milliards
de dollars. Avant la pandémie, nous avions des surplus, après nous avons un
déficit structurel à combler. Triste renversement de situation. Sur la base du
ratio dette PIB, cela est encore gérable avec un pourcentage pour 2020-2021 de
53,5 %, ce qui est beaucoup moins que le ratio de 58,4 % atteint en 2014-2015
avant les grandes manœuvres d'austérité de l'ancien ministre libéral Carlos Leitão, selon les prévisions du ministre, qui sous-estime peut-être volontairement le taux de
croissance de l'économie. On devrait revenir à un taux plus près de la
situation d'avant-pandémie soit de 51 % en 2025-2026.
Le ministre se garde bien de nous révéler comment il entend
s'y prendre pour effacer ce nouveau déficit structurel laissant nos
imaginations libres de penser ce que nous voulons de la possibilité d'une plus
forte croissance économique ou de la possibilité de voir le gouvernement du
Canada de transférer des sommes importantes en matière de financement du
système de santé. On voit encore poindre un vieux débat du fédéralisme
canadien, le déséquilibre fiscal. Par ailleurs, les prévisions anticipées de
l'évolution des phénomènes macro-économiques et sociétaux pour le Québec ne
permettent pas d'envisager l'avenir avec optimisme. La pénurie de la main-d'œuvre,
le vieillissement de la population, le coût des médicaments et les innovations
technologiques de l'appareillage médical, entre autres, vont entraver la
croissance économique et favoriser l'accroissement des coûts du système de
santé. On n'est pas sorti de l'auberge...
Où va notre dollar de taxe ?
Les gouvernements taxent les citoyens pour leur offrir un
panier de service. Une saine taxation établit le montant perçu en taxes et en
impôt aux services rendus que nous jugeons essentiels. C'est généralement
là-dessus que les partis politiques se combattent sur leurs valeurs respectives
entre ce qui est jugé essentiel, utile ou accessoire aux citoyennes et aux citoyens.
Les dépenses sont consacrées aux missions suivantes : 51,3 milliards
de dollars pour la santé et services sociaux soit 38 % du budget, 28,2 milliards
de dollars pour l'éducation et la culture soit 21 % du budget. À eux
seuls, la santé et l'éducation représentent donc 59 % du budget de l'État
québécois. Le reste des dépenses sont consacrées à l'économie et
l'environnement avec 18 milliards de dollars pour un pourcentage de 13 %
alors que le soutien aux familles et aux personnes entraîne des dépenses de
11,6 milliards de dollars soit 8,5 % des dépenses de l'État. La
justice et la gouverne totalisent 12,1 milliards de dollars pour 8,9 %
des dépenses alors que les autres dépenses non classifiées représentent 13,7 milliards
de dollars pour 10 % de toutes les dépenses.
Le gouvernement fait-il les bonnes
choses avec notre argent ?
On conviendra que ce budget ne donne pas dans la frivolité
si l'on se base sur les postes de dépenses. C'est certain qu'on retrouvera dans
les médias un groupe ou un autre défendant une cause juste et essentielle se plaindre
que l'effort du gouvernement n'est pas suffisant comme le dossier des centres
pour accueillir les femmes victimes violence conjugale ou encore les organismes
qui accueillent des hommes violents. C'est certain que nous serons d'accord
qu'il faut faire plus. Je suis convaincu que le gouvernement du Québec fera le
nécessaire dans ce dossier. On parle ici de vie ou de mort.
Le monde des entreprises pourra se demander si le
gouvernement en fait assez pour aider les entreprises à affronter la pénurie de
la main-d'œuvre et si on les aide suffisamment pour les aider à exporter. Les
groupes écologistes argumenteront sur les efforts insuffisants pour faire
émerger une économie verte. Les municipalités et villes trouveront comme la
mairesse Valérie Plante que Montréal ne trouve pas son compte. Et tutti quanti...
Les besoins sont infinis dans notre société, mais les
ressources sont limitées. Le gouvernement de François Legault a fait ses choix
en fonction de son identité propre, une autre formation au pouvoir ferait des
choix différents. Ce qui explique que les oppositions ont beaucoup à redire sur
le budget. Ce qui est dans l'ordre des choses. Dans les faits cependant, je
suis d'avis que ce budget est un bon budget dans les circonstances actuelles.
La situation du Québec est moins catastrophique que l'on aurait pu le penser.
Les choix difficiles sont reportés. Tant mieux, il y aura de la matière pour la
prochaine campagne électorale pour des débats de fond. On doit s'en réjouir. En
attendant, saluons ce budget du gouvernement Legault. Un budget honnête et
pragmatique...