Connaissez-vous la signification de l'uchronie? Non. Je m'en doutais bien. La définition est la suivante : l'uchronie est un néologisme du 19e siècle fondé sur un modèle d'utopie avec un « u » négatif et un « chronos » (temps), étymologiquement le mot désigne un temps qui n'existe pas. On utilise également l'anglicisme « histoire alternative » « alternate history ».
Vous me voyez venir. Je veux vous parler de la déclaration de la conseillère du président américain Kellyanne Conway qui nous a révélé qu'il y avait des faits alternatifs, « alternative facts » dans le monde nouveau du président américain Donald J. Trump. Exploration des méandres politiques de l'esprit trumpien.
Les méchants médias...
Longtemps, j'ai œuvré professionnellement auprès de politiciens. Tous ont toujours eu à redire des médias et des journalistes. Le plus clair de mon temps, je devais expliquer à ces femmes et à ces hommes dévoués à la chose publique que les médias ne faisaient que leur travail et qu'ils n'étaient pas là pour faire leurs relations publiques. C'était mon travail de faire leurs relations publiques. Depuis cette époque, je suis conscient que la méfiance envers les médias est inscrite dans l'ADN de toutes les personnes qui s'investissent en politique. Même les plus lucides.
L'élection de Donald Trump à la présidence américaine vient ajouter une dimension à cette méfiance convenue entre la classe politique et les médias. La performance de son secrétaire de presse Sean Spicer le 22 janvier dernier était surréaliste. Pire encore, la défense de sa patronne Kellyanne Conway au sujet de l'existence d'une réalité parallèle, « alternative facts ». Tout cela à propos de la taille de la foule ayant participé aux cérémonies d'intronisation du président Trump, c'est très préoccupant. Plongée dans le monde parallèle de Donald Trump et de ses sbires...
Qu'est-ce que la réalité?
Imaginez, au lendemain de la prise de pouvoir d'un nouveau président aux États-Unis, la question d'actualité est d'ordre philosophique. Il s'agit de savoir ce qu'est la réalité. Pour Trump et ses partisans, il existe une seule réalité, c'est celle racontée par Donald Trump. La moindre remise en question de ses propos, de ses arguments est un complot organisé par les méchants médias et par l'élite libérale qui n'acceptent pas la victoire de Donald Trump à la présidence américaine.
Le fait que ce candidat ait obtenu trois millions de voix de moins que son opposante Hillary Clinton est une fausse vérité véhiculée par les médias associés à l'élite de Washington. Une enquête sera déclenchée pour prouver ce fait trumpien. Une photo montrant qu'il y avait moins de personnes à son inauguration que celle du président Obama est un trucage. Les manifestantes, elles étaient plus de trois millions aux États-Unis, à la marche des femmes sont des gens qui auraient dû aller voter. L'élection a eu lieu, leur a répondu Donald Trump.
Si l'on comprend bien la logique qui préside à ce nouveau régime, la vérité ne peut qu'être énoncée que par la bouche de Donald Trump. Tout le reste, les opposants, la société civile et les médias ne sont que de vils comploteurs qui refusent leur défaite. La réalité américaine aujourd'hui est celle déterminée par Donald Trump. Cela, est la pratique de l'uchronie : « l'auteur d'une uchronie écrit l'histoire, non telle qu'elle fut, mais telle qu'elle aurait pu être, à ce qu'il croit. »
Le monde de Donald Trump
Il est facile de comprendre le monde de Donald Trump. Il s'agit d'en comprendre la trame narrative. Donald Trump est le plus grand génie d'affaires que la terre ait pu porter. Dans sa grande générosité, il a décidé de sauver les États-Unis, son pays. Il a donc choisi de sacrifier ses propres intérêts financiers pour aller à l'aide des Américains. Donald Trump a pour mission de briser les chaînes de ces gens oubliés et opprimés par l'élite libérale de Washington et de leur redonner le pouvoir.
Dans la réalité uchronique de Donald Trump, il faut que tous comprennent bien que le monde a changé depuis son élection. Rien ne sera plus comme avant. Désormais, il n'y aura que les États-Unis. Les intérêts américains d'abord et avant tout. Le monde entier pliera l'échine sous les diktats de Donald Trump et des États-Unis d'Amérique. Si vous voulez commercer avec les Américains, ce sera à leurs conditions et en fonction de leurs intérêts. D'où la fin du libre-échange avec l'abolition du TPP et la renégociation de l'ALENA avec ses voisins, le Mexique et le Canada.
Les changements climatiques sont une chimère inventée par les Chinois et les ennemis des États-Unis. Cela n'existe pas. De toute manière, la terre aussi se pliera à la volonté de Donald Trump. C'est lui l'omnipuissant président du plus grand pays de la terre. Les terroristes cesseront leurs activités par l'usage de la force et par l'expulsion des États-Unis de tous ces immigrants illégaux. Pour être certain qu'ils ne pourront revenir, Donald Trump érigera un mur à ses frontières avec le Mexique afin d'éviter que les voyous mexicains viennent commettre des crimes dans son pays.
Donald Trump n'a que faire des ententes multilatérales et de regroupements transnationaux comme l'ONU, l'OTAN et toutes ces organisations qui viennent faire ombrage à la toute-puissance américaine. Désormais, ce sera « America First »...
Les pauvres journalistes
Dans le monde de Donald Trump, il n'y a pas de place pour une presse indépendante et critique. D'ailleurs, la tentation sera grande pour lui de mettre ces journalistes au pas le plus rapidement possible. Serait-il tenté par une nouvelle loi qui stipulera que toutes critiques de sa présidence ou à des faits jugés peu avantageux pour son régime seront considérés comme des gestes de trahison envers les États-Unis d'Amérique? Seul l'avenir le dira...
Les journalistes qui couvrent les activités de la Maison-Blanche sont placés devant une réalité nouvelle qui demandera beaucoup de doigté. Ils seront surveillés de près et celles et ceux qui seront critiques seront punis en conséquence. Le monde de Donald Trump est peu compatible avec une presse libre et démocratique.
Nous aurons droit pour quatre ans de ce monde où la critique de l'autorité sera mal vue. Les journalistes et les médias devront faire preuve de résilience s'ils veulent continuer à bien informer le public américain et le monde. Ce qui se passe aux États-Unis guette aussi toutes les démocraties. La démocratie est une chose fragile et elle mérite notre plus grande attention.
Il ne peut y avoir de vraie démocratie sans de méchants médias. Le monde de Donald Trump doit s'accommoder de cela. Les médias doivent faire leur travail. Il faut vivre un monde où sont présents et importants les méchants médias. En attendant, nous lirons la fabuleuse histoire des États-Unis écrite selon l'uchronie trumpienne...