L'expression m'est chère. J'aime quand les mots deviennent des images. Quand ils dessinent, à grands coups de lettres pourtant peu créatives en elles-mêmes, des scènes vivantes et modifiables au gré des contextes.
Vous, moi, la très grande majorité d'entre nous, finalement, nous sommes des pachas. Notre vie se déroule comme si on avait les pieds sur la bavette du poêle. Tout autour de nous, le confort est installé. Jamais autant que chez le voisin, c'est sûr, mais quand même. Non seulement on ne manque de rien, mais on baigne dans un luxe qu'on n'apprécie plus.
Un exemple. Les téléviseurs conventionnels. Vous savez, ceux qui étaient lourds et profonds, avec un écran de 27 pouces? Je ne vous parle pas d'antiquités d'il y a trente ans, non, reculez de 10 ans à peine et il y en avait partout. Aujourd'hui, disparus, ces écrans préhistoriques. On en rit maintenant.
En moins de temps qu'il en faut pour venir à bout d'un emprunt pour une voiture neuve, voilà que tout le parc de téléviseurs était changé autour de nous. Les écrans de 40 pouces sont maintenant petits!
« Ben, j'avais pas le choix... la technologie était rendue là... »
Je sais. Je comprends. Et tout. Mais quand on arrive à parler comme ça, on a les deux pieds dans la misère des riches. Faut quand même le réaliser...
Les pieds sur la bavette du poêle.
Oui, oui, je sais, vous vous dites, comme moi : « oui, mais on travaille tellement fort pour avoir tout ce qu'on a, on le mérite! »
Le mérite...
À partir du moment où on insère le mot mérite, c'est le mécanisme de défense de notre conscience personnelle qui s'enclenche.
Je suis né dans un environnement où les denrées sont en abondance? Ça se peut. Où la guerre ne fait pas partie de mon quotidien? Ça se peut. Où on imprime de l'argent, quand on en manque, pour ne pas déstabiliser un système monétaire qui fait foi de tout et qui nous permet de nous approvisionner 100 fois plus que nos besoins? Ça se peut aussi.
Tout ça se peut. Mais attention, je travaille fort, dans une semaine. Mon stress est élevé. Je mérite bien ces compensations, non?
Je le répète, on a les pieds sur la bavette du poêle, confortablement blottis dans un univers douillet, savourant les compensations de notre réussite personnelle.
Vous en êtes, j'en suis, nous en sommes.
Et, tranquillement, au fil des jours, on se convainc que tout ça est mérité. Que les autres, dans le monde, n'ont qu'à faire comme nous autres (mais chez eux, par exemple) et on sera tous égaux.
Une pincée de pensée magique, avec ça?
Au fond de nous, on sait fort bien que notre exploitation éhontée des ressources planétaires crée un déséquilibre qui sera mortel un jour. Mais comme ce jour sera vraisemblablement hors de notre vie à nous, pourquoi s'en faire tant? Pourquoi s'empêcher de profiter de ce luxe qu'on mérite, de toute façon?
On retirera nos pieds de la bavette du poêle quand celui-ci cessera d'émettre de la chaleur.
D'ici là, les scientifiques auront bien trouvé quelque chose pour réparer tout ça.