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Tempus fugit…

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 27 avril 2022

Le résultat de l'élection présidentielle française est prévisible. Au moment où j'écris le texte de cette chronique, je ne connais pas le résultat final de l'élection, mais il est probable, à moins d'un cataclysme, que le président sortant Emmanuel Macron remportera cette élection, mais que sa concurrente, la candidate d'extrême droite, Marine Le Pen aura des résultats au-delà du 35 % au second tour. Ce qui signifie que les idées d'extrême droite continuent de progresser auprès du grand public français et que le fossé entre deux France continue à se creuser au pays qui fut jadis le creuset de la liberté, l'égalité et la fraternité.

J'ai eu l'occasion de suivre cette drôle de campagne électorale. J'y ai observé la montée du nouveau faire-valoir de Le Pen, Éric Zemmour. Sa campagne était quelque chose à voir surtout ses rassemblements. La déchéance aux enfers de la droite et de la gauche républicaine avec Valérie Pécresse et la mairesse de Paris Anne Hidalgo. L'attraction irrésistible d'une gauche extrême et woke avec Jean-Luc Mélenchon et l'échec absolu des écologistes avec Yannick Jadot. J'ai surtout constaté que l'ineffable Emmanuel Macron continue à mépriser la France d'en bas avec une superbe technocratique et une arrogance bien française. Le débat entre lui et Marine Le Pen le 21 avril dernier fait foi de preuve. Libres réflexions sur l'élection présidentielle française.

La montée de la droite extrême

A contrario des idées de Mathieu Bock-Côté, je ne crois pas que la France des extrêmes est une construction métaphorique de l'esprit et que l'extrême droite est bel et bien une réalité dans la France contemporaine. Je sais que Bock-Côté plaide la banalisation de ce phénomène et opine plutôt à une thèse de la reconfiguration politique entre mondialiste et nationaliste, mais cela ne me convainc pas. Affirmer que l'extrême droite prend du galon en France n'est pas un phénomène qui l'isole de la planète. Toutes les démocraties occidentales et libérales vivent les mêmes soubresauts à intensité variable. L'élection de Trump chez notre voisin du Sud et son emprise toujours décelable dans la politique américaine en est un exemple probant. Chez nous, avant de nous dire immuniser contre ce mal du 21e siècle, il faudrait mesurer l'ampleur du phénomène Pierre Poilièvre. Nous ne sommes pas les derniers Gaulois. Loin de là.

Ce que nous dit le résultat de l'élection présidentielle française ce n'est pas que nos cousins de France sont de misérables fachos, mais plutôt que le creuset des idées des lumières et de la démocratie est mis à mal par la déliquescence des démocraties libérales. Pour un petit Québécois comme moi, cela est lourd de conséquences, car la France, tout comme les États-Unis, est un lieu d'inspiration pour les tenants de la démocratie libérale. Mieux encore, la France est un vivier d'idées et de culture pour la culture québécoise. Ce qui s'y passe ne nous est pas étranger. La France éternelle n'est pas un maître concept. Tout comme nos idoles de jeunesse, nos héros comme Guy Lafleur, le monde que nous avons connu et aimé disparaît sous nos yeux. Le vieux monde s'étiole pour faire place à un nouveau qui ne semble pas si jojo.

Ce n'est pas une véritable surprise. Le mouvement est amorcé depuis un certain temps. Il est perceptible dans le monde des idées et de la littérature depuis plusieurs décennies. Dans la littérature française par exemple, le thème du grand remplacement a été évoqué avec talent par l'auteur Michel Houellebecq avec son roman Soumission. Les essais nombreux d'Éric Zemmour sur la France étaient aussi des indices. Plus récemment l'auteur David Dufresne a même imaginé une élection remportée par une Marine Le Pen dans sa monographie 19h59. Roman dans lequel un complot permet l'élection d'une candidate de l'extrême droite en France avec la complicité de médias de droite à l'image du réseau C NEWS et d'un Vincent Bolloré. Le même auteur nous a fait découvrir avec une plume alerte le monde des gilets jaunes avec son roman Dernière sommation où l'on pouvait vivre à la fois la misère des gens d'en bas comme on pourrait les décrire et l'effet délétère des réseaux sociaux dans un monde de violence policière et politique.

La littérature et le monde des idées sont un peu comme le canari dans la mine, cela nous donne un peu la température du monde qui change et qui mute.

Le Zeitgeist

Le résultat de la dernière élection aux présidentielles françaises devrait nous inquiéter. Il est révélateur d'un état d'esprit, d'un esprit du temps comme l'enseigne le concept de philosophie allemande : le Zeitgeist. Le Zeitgeist signifie littéralement « esprit du temps ». « Ce terme emprunté à la philosophie allemande désigne "les grandes lignes de la pensée", les questions en débat et la sensibilité d'une époque. » Or, la sensibilité de notre époque est loin du socle du libéralisme politique avec un grand L.

Les questions en débat comme les inégalités sociales et économiques, la fracture entre le 1 % et les autres, la non-considération des élites libérales pour les préoccupations du peuple, l'inconscience crasse de nos dirigeants pour les questions liées à la lutte aux changements climatiques et à la survie de l'espèce humaine sont autant de jalons d'un échec annoncé des démocraties libérales. Le monde d'hier se meurt et tarde à renaître sous sa nouvelle forme. Comme l'écrivait de sa prison en 1929 l'intellectuel italien Antonio Gramsci, « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Une citation d'actualité alors que la civilisation moderne dans laquelle nous vivons commence à s'effondrer. Elle ne tient plus que par sa force d'inertie, le mensonge de ses dirigeants, la répression et le rejet des opposants. Il est commode de démoniser les gens d'en bas, ces incultes qui ne comprennent pas. Faire la leçon aux ignares semble être le nouveau leitmotiv d'une classe politique désincarnée et incompétente.

Le temps file

Il n'est pas impossible pour les civilisations occidentales et libérales de se ressaisir. Il se fait tard comme pour la lutte aux changements climatiques, mais comme on dit, il est toujours temps de bien faire. Il faut repenser la politique, repenser nos modes de produire et de consommer et surtout repenser le monde afin de combattre les inégalités économiques et sociales. Nous n'avons plus, pour plusieurs, la foi en des épiphanies d'un monde meilleur que nous procurait jadis le confort des religions. Nous sommes seuls avec notre humanité. Une humanité qui n'est pas résidente d'un Olympe métaphorique, mais d'une planète fragile qui se meurt. L'élection française qui a reconduit, selon toutes probabilités le président sortant, Emmanuel Macron, est en ce sens un nouvel avertissement de l'urgence d'agir non seulement pour nos cousins français, mais aussi pour nous. Nous sommes au bord d'un gouffre qui risque de nous engloutir si nous ne nous réveillons pas et faisons de notre monde, un meilleur monde. Il est minuit moins une pour la démocratie et les sociétés libérales. Alors vous comprendrez que la France Facho est bien loin d'être ma première inquiétude par les temps qui courent. Tempus fugit !


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