Le résultat de l'élection présidentielle française est
prévisible. Au moment où j'écris le texte de cette chronique, je ne connais pas
le résultat final de l'élection, mais il est probable, à moins d'un cataclysme,
que le président sortant Emmanuel Macron remportera cette élection, mais que sa
concurrente, la candidate d'extrême droite, Marine Le Pen aura des résultats
au-delà du 35 % au second tour. Ce qui signifie que les idées d'extrême droite
continuent de progresser auprès du grand public français et que le fossé entre
deux France continue à se creuser au pays qui fut jadis le creuset de la
liberté, l'égalité et la fraternité.
J'ai eu l'occasion de suivre cette drôle de campagne
électorale. J'y ai observé la montée du nouveau faire-valoir de Le Pen, Éric
Zemmour. Sa campagne était quelque chose à voir surtout ses rassemblements. La
déchéance aux enfers de la droite et de la gauche républicaine avec Valérie
Pécresse et la mairesse de Paris Anne Hidalgo. L'attraction irrésistible d'une
gauche extrême et woke avec Jean-Luc Mélenchon et l'échec absolu des
écologistes avec Yannick Jadot. J'ai surtout constaté que l'ineffable Emmanuel
Macron continue à mépriser la France d'en bas avec une superbe technocratique
et une arrogance bien française. Le débat entre lui et Marine Le Pen le 21 avril
dernier fait foi de preuve. Libres réflexions sur l'élection présidentielle
française.
La montée de la droite extrême
A contrario des idées de Mathieu Bock-Côté, je ne crois pas
que la France des extrêmes est une construction métaphorique de l'esprit et que
l'extrême droite est bel et bien une réalité dans la France contemporaine. Je
sais que Bock-Côté plaide la banalisation de ce phénomène et opine plutôt à une
thèse de la reconfiguration politique entre mondialiste et nationaliste, mais
cela ne me convainc pas. Affirmer que l'extrême droite prend du galon en France
n'est pas un phénomène qui l'isole de la planète. Toutes les démocraties
occidentales et libérales vivent les mêmes soubresauts à intensité variable.
L'élection de Trump chez notre voisin du Sud et son emprise toujours décelable
dans la politique américaine en est un exemple probant. Chez nous, avant de
nous dire immuniser contre ce mal du 21e siècle, il faudrait mesurer
l'ampleur du phénomène Pierre Poilièvre. Nous ne sommes pas les derniers
Gaulois. Loin de là.
Ce que nous dit le résultat de l'élection présidentielle
française ce n'est pas que nos cousins de France sont de misérables fachos, mais
plutôt que le creuset des idées des lumières et de la démocratie est mis à mal
par la déliquescence des démocraties libérales. Pour un petit Québécois comme
moi, cela est lourd de conséquences, car la France, tout comme les États-Unis, est
un lieu d'inspiration pour les tenants de la démocratie libérale. Mieux encore,
la France est un vivier d'idées et de culture pour la culture québécoise. Ce
qui s'y passe ne nous est pas étranger. La France éternelle n'est pas un maître
concept. Tout comme nos idoles de jeunesse, nos héros comme Guy Lafleur, le
monde que nous avons connu et aimé disparaît sous nos yeux. Le vieux monde
s'étiole pour faire place à un nouveau qui ne semble pas si jojo.
Ce n'est pas une véritable surprise. Le mouvement est amorcé
depuis un certain temps. Il est perceptible dans le monde des idées et de la
littérature depuis plusieurs décennies. Dans la littérature française par
exemple, le thème du grand remplacement a été évoqué avec talent par l'auteur
Michel Houellebecq avec son roman Soumission. Les essais nombreux d'Éric Zemmour
sur la France étaient aussi des indices. Plus récemment l'auteur David Dufresne
a même imaginé une élection remportée par une Marine Le Pen dans sa monographie
19h59. Roman dans lequel un complot permet l'élection d'une candidate de
l'extrême droite en France avec la complicité de médias de droite à l'image du
réseau C NEWS et d'un Vincent Bolloré. Le même auteur nous a fait
découvrir avec une plume alerte le monde des gilets jaunes avec son roman Dernière sommation où l'on pouvait
vivre à la fois la misère des gens d'en bas comme on pourrait les décrire et
l'effet délétère des réseaux sociaux dans un monde de violence policière et
politique.
La littérature et le monde des idées sont un peu comme le
canari dans la mine, cela nous donne un peu la température du monde qui change
et qui mute.
Le Zeitgeist
Le résultat de la dernière élection aux présidentielles
françaises devrait nous inquiéter. Il est révélateur d'un état d'esprit, d'un
esprit du temps comme l'enseigne le concept de philosophie allemande : le
Zeitgeist. Le Zeitgeist signifie littéralement « esprit du temps ». « Ce terme emprunté
à la philosophie allemande désigne
"les grandes lignes de la pensée", les questions en débat et la sensibilité d'une
époque. » Or, la sensibilité de notre époque est loin du socle du libéralisme
politique avec un grand L.
Les
questions en débat comme les inégalités sociales et économiques, la fracture
entre le 1 % et les autres, la non-considération des élites libérales pour
les préoccupations du peuple, l'inconscience crasse de nos dirigeants pour les
questions liées à la lutte aux changements climatiques et à la survie de
l'espèce humaine sont autant de jalons d'un échec annoncé des démocraties
libérales. Le monde d'hier se meurt et tarde à renaître sous sa nouvelle forme.
Comme l'écrivait de sa prison en 1929 l'intellectuel italien Antonio Gramsci, « le
vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce
clair-obscur surgissent les monstres. » Une citation d'actualité alors que la
civilisation moderne dans laquelle nous vivons commence à s'effondrer. Elle ne
tient plus que par sa force d'inertie, le mensonge de ses dirigeants, la
répression et le rejet des opposants. Il est commode de démoniser les gens d'en
bas, ces incultes qui ne comprennent pas. Faire la leçon aux ignares semble
être le nouveau leitmotiv d'une classe politique désincarnée et incompétente.
Le temps file
Il n'est
pas impossible pour les civilisations occidentales et libérales de se
ressaisir. Il se fait tard comme pour la lutte aux changements climatiques,
mais comme on dit, il est toujours temps de bien faire. Il faut repenser la
politique, repenser nos modes de produire et de consommer et surtout repenser
le monde afin de combattre les inégalités économiques et sociales. Nous n'avons
plus, pour plusieurs, la foi en des épiphanies d'un monde meilleur que nous
procurait jadis le confort des religions. Nous sommes seuls avec notre
humanité. Une humanité qui n'est pas résidente d'un Olympe métaphorique, mais
d'une planète fragile qui se meurt. L'élection française qui a reconduit, selon
toutes probabilités le président sortant, Emmanuel Macron, est en ce sens un
nouvel avertissement de l'urgence d'agir non seulement pour nos cousins
français, mais aussi pour nous. Nous sommes au bord d'un gouffre qui risque de nous
engloutir si nous ne nous réveillons pas et faisons de notre monde, un meilleur
monde. Il est minuit moins une pour la démocratie et les sociétés libérales.
Alors vous comprendrez que la France Facho est bien loin d'être ma première
inquiétude par les temps qui courent. Tempus fugit !