En 2007, le maire Jean Perrault tenait un sommet économique qui visait à transformer l'économie de Sherbrooke. Il fut décidé collectivement de faire un virage vers l'économie du savoir et de mettre l'innovation au cœur de nos préoccupations.
Depuis, Sherbrooke est-elle devenue le modèle québécois de l'économie du savoir? Où en sommes-nous aujourd'hui dans notre volonté collective de respecter notre engagement majeur qui était et je cite : « En 2012, Sherbrooke sera reconnue à l'échelle québécoise, nationale et internationale, comme pôle majeur d'innovation tant au plan social qu'économique, et ce, dans un milieu de vie de qualité exceptionnelle. »
Sans négliger le travail important accompli par notre CLD, Sherbrooke Innopole, pour travailler à réaliser cet objectif, on ne peut que constater, sept ans après, que nous souffrons collectivement d'amnésie. L'économie de notre ville malgré des résultats satisfaisants chaque année n'a pas encore réussi la transition souhaitée vers une économie du savoir. Au contraire, de nombreux signaux devraient nous alerter quant au recul possible de notre volonté de construire chez nous une économie du savoir mettant à profit nos atouts liés à la présence d'un pôle universitaire et de nombreux centres de recherche. Voyants rouges à l'horizon.
L'économie du savoir?
Dans un livre récent intitulé Portrait de famille, l'économiste et journaliste Alain Dubuc consacre un chapitre à l'économie du savoir. Il met en perspective ce qu'est l'économie du savoir soit une économie basée sur l'innovation, la recherche fondamentale et qui manipule plus de données que de matières. C'est le virage qu'a entrepris la ville de Sherbrooke en créant Sherbrooke Innopole et en se donnant une stratégie de développement s'appuyant sur le concept de « clusters » ou de grappes.
Il faut savoir que faire de Sherbrooke un pôle d'innovation majeur reconnu à l'échelle internationale demande plus que des prières ou des incantations. Son succès repose sur trois éléments clés : 1) un environnement catalyseur de croissance économique; 2) des universités dynamiques et des centres de recherche convenablement financés; 3) une volonté d'innovation de nos entrepreneurs. Ces clés reposent sur un milieu entrepreneurial, un climat politique et social propice à l'innovation et une volonté affirmée de garder le cap sur nos objectifs. Aujourd'hui, sans vouloir jouer au prophète de malheur on ne peut qu'être inquiets des voyants rouges qui s'allument eu égard à cette transition incontournable de notre économie vers une économie du 21e siècle.
L'Université de Sherbrooke en difficulté
Nous avons appris dans la nuit de dimanche dernier que l'administration universitaire a évité de justesse un long et couteux conflit avec ses chargés de cours. Cela n'aurait qu'ajouté aux difficultés immenses avec lesquelles l'administration de notre université doit composer à la suite de la politique irresponsable de tous les gouvernements récents à l'égard du financement de nos universités, fer de lance de la construction de l'économie du savoir. Faut dire que la victoire des carrés rouges a laissé des traces sur le financement des universités québécoises. Aujourd'hui, par un curieux renversement de perspectives, les universités ne sont plus sous financées selon les gouvernements du Québec, tant pour l'ancien gouvernement Marois que pour l'actuel gouvernement Couillard.
Le chroniqueur et économiste de La Presse Alain Dubuc pose bien le problème dans son chapitre sur l'économie du savoir tiré de son dernier ouvrage. Il écrit : « Une société du savoir c'est beaucoup plus que des statistiques. C'est un état d'esprit. Nos résultats moyens pour la diplomation sont également inquiétants pour ce qu'ils semblent nous révéler; un malaise dans le rapport que les Québécois ont établi avec leur réseau universitaire, un manque d'affection et de fierté, un manque de compréhension de son rôle pourtant crucial. Cet état d'esprit semble aussi manquer pour plusieurs autres déterminants d'une société du savoir, comme la place qu'on accorde aux grandes villes ou nos attitudes à l'innovation... l'Université, dans une période où le savoir constitue l'une des clés du succès, est l'un des grands leviers qui permettraient au Québec de combler ses retards économiques. C'est un outil essentiel pour une petite nation qui doit faire plus d'efforts pour s'affirmer. » (p. 54, Dubuc, Portrait de famille, Éd. La Presse) Imaginez si l'on prend les mots de Dubuc pour décrire la réalité de l'économie sherbrookoise, cela est encore plus vrai. Une petite ville parmi les grandes, un pôle universitaire, un milieu d'une grande qualité de vie a besoin d'un plan clair pour s'affirmer parmi les grands et ce plan nous l'avons avec Sherbrooke Innopole, nos universités, nos centres de recherche, mais il y manque une volonté claire partagée par tous les acteurs de notre développement pour réussir.
L'environnement catalyseur de croissance économique
À son origine, Sherbrooke Innopole, a mis beaucoup d'efforts pour créer ce que l'organisme appelait un environnement catalyseur de croissance économique. Cela nécessitait la mise en partage d'objectifs avec tous les intervenants, une stratégie de communication axée sur la mobilisation des parties prenantes et une campagne de communication ciblée avec la population pour la mobiliser derrière ces objectifs. Cela fut fait.
Aujourd'hui, cependant, nous ne retrouvons plus cette complicité des acteurs du milieu envers l'objectif de transformer notre économie. Qui s'est levé pour défendre nos universités face au problème de financement récurrent? Qui a défendu les centres de recherche affamés par les compressions budgétaires idéologiques et anti-environnementales du gouvernement Harper? Qui défend aujourd'hui les CLD et les espaces de concertation dans notre région? Qui dénonce le manque d'outils fournis à nos entrepreneurs pour innover? Le programme des Gazelles imaginé par le gouvernement Marois a été abandonné par le nouveau gouvernement sans être remplacé par autre chose.
Plutôt que d'entendre des voix fortes s'élever pour parler au nom de notre ville et de notre région, nous avons plutôt droit à un silence coupable et à des chuchotements qui veulent nous convaincre que nous n'y pouvons rien. Parler haut et fort pourrait nous nuire auprès de tel ou tel pouvoir dans nos dossiers en cours. Pourtant, l'objectif de tous les objectifs, la volonté claire la plus affirmée des vingt-cinq dernières années de faire de Sherbrooke un pôle d'innovation majeur reconnu sur la scène nationale et internationale et celui plus ancien encore de faire de l'Estrie l'un des trois pôles majeurs du développement du Québec technologique.
Se réveiller pour durer...
Répétons des vérités bien connues. Sherbrooke et l'Estrie ont des atouts exceptionnels. Notre dualité linguistique grâce à notre communauté anglophone, notre réseau scolaire bilingue, nos universités, nos centres de recherche et notre capacité entrepreneuriale sont des atouts exceptionnels dans le monde dans lequel nous vivons.
Il faut pour réussir, une volonté politique forte. Une volonté politique partagée. Il faut d'abord que Sherbrooke et l'Estrie soient reconnus comme l'un des trois pôles urbains de développement économique. Outre Montréal et Québec, il y a aussi Sherbrooke. Il faut aussi développer des politiques urbaines audacieuses pour que Sherbrooke devienne une grande ville liée aux centres nerveux des grands réseaux de mondialisation pour la circulation de l'information, les échanges, la mobilité des capitaux. Sherbrooke doit devenir une ville-région de l'innovation. Où sont nos voix fortes audacieuses?
Le premier élément est que nous nous portions à la défense de nos universités. Sans elles, tout l'édifice s'écroule. Avons-nous encore assez de leadership et d'audace pour faire de Sherbrooke une ville universitaire? Cela deviendra-t-il plutôt un slogan creux? Moi je crois qu'il faut retrouver l'audace de faire de Sherbrooke une ville universitaire et une ville-région de l'Innovation. Un outil essentiel pour notre développement économique, social, culturel au service de tous...
Lectures recommandées :
Alain Dubuc, Portrait de famille. 14 vrais ou faux mythes québécois, Montréal, Les éditions La Presse, 2014, 255 p. (particulièrement le chapitre intitulé : « Sommes-nous une société du savoir? » p. 53-68)