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Drôle de sport que de reculer pour aller de l'avant. C'est
pourtant le spectacle auquel nous avons droit lorsque nous observons les
positions du gouvernement caquiste de François Legault en matière
d'immigration. Dans une chronique récente, je notais que le Québec avait de
nombreux pouvoirs que lui permettait l'accord McDougall-Gagnon-Tremblay. Eh
bien, il semble aujourd'hui à la lumière du dépôt du document de consultation
par la ministre de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration,
madame Christine Fréchette, que le gouvernement a vu la lumière. Du coup,
l'immigration constitue un atout et plus une menace. On ne boudera pas notre
plaisir de voir ce gouvernement poser des gestes dans la bonne direction.
Réflexion sur la capacité d'accueil et d'intégration du Québec en 2023.
Un document intéressant
La semaine dernière, le premier ministre du Québec, M. François Legault,
et la ministre de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration, Mme Christine
Fréchette, ont annoncé, en présence du ministre de la Langue française,
M. Jean-François Roberge, des propositions de modifications réglementaires
importantes au système d'immigration afin de favoriser une immigration
économique francophone pour atteindre, dès 2026, une proportion de près de
100 % de requérants principaux connaissant le français dans la catégorie
économique.
Des modifications
réglementaires sont ainsi proposées pour qu'une connaissance du français soit
dorénavant exigée dans tous les programmes d'immigration économique au Québec.
Ces mesures visent à favoriser la venue de personnes pouvant s'intégrer
pleinement à la nation québécoise et participer en français à la vie
collective.
Ces orientations préliminaires seront l'objet d'une consultation
publique à l'automne. Que l'on ne s'y méprenne pas, les orientations proposées
ne sont pas parfaites, mais elles sont un pas dans la bonne direction. Reste
que le diable est dans les détails. Ce que nous devons craindre quant à la mise
en œuvre de ces orientations c'est la capacité pour le gouvernement du Québec
et de ses ministères d'être à la hauteur de la tâche. Quand on voit la pagaille
dans les réseaux de la santé et de l'éducation, nous ne sommes pas convaincus
que l'excellence soit bel et bien au rendez-vous pour livrer les résultats
attendus d'une politique qui pourrait être prometteuse. Il y a aussi le
problème de la collaboration avec le gouvernement fédéral et de sa capacité à
abréger le temps de délais dans le traitement des dossiers.
Ces éléments mis à part, nous pouvons aussi déplorer que l'on ne
retrouve pas dans le document de la consultation de la ministre Fréchette une
politique forte de régionalisation de l'immigration. Par ailleurs, le flou
artistique demeure quant à la catégorie de résidents temporaires qui sont au
nombre de plus de 300 000 personnes. Catégorie floue à l'excès, on y
retrouve des étudiants étrangers, des congressistes de passage, des
travailleurs saisonniers. Là où le bât peut blesser, c'est que rien n'est prévu
pour la francisation de cette catégorie si l'on veut vraiment que la langue de
travail et d'usage soit le français. Reste que le titre de la catégorie le dit
bien temporaire. Ces gens sont là pour une période variable, mais
habituellement de six mois à douze mois. Cela ne devra pas peser sur
l'équilibre de la langue française dans l'espace public par rapport à la langue
anglaise. Il n'en demeure pas moins que malgré un changement de ton et de cap
dans le discours gouvernemental, on continue d'entendre une rhétorique peu
désirable dans l'espace public en matière d'immigration. Voyons cela de plus
près.
La rhétorique des
nationaleux
Le combat d'arrière-garde en matière d'immigration est le fait
de la mouvance nationaliste au Québec, surtout chez les ténors du Parti québécois
qui trahissent l'expression d'un nationalisme identitaire que je qualifierais
de la mouvance des nationaleux. S'en tenant à l'idée que le Québec ne devrait
pas accueillir plus de 30 000 immigrants, entre 25 000 et 30 000, afin de
respecter la capacité d'accueil. Que veut-on dire exactement par ce concept
fourre-tout de capacité d'accueil ? Oui bien sûr, le bien-paraître exige de
discourir sur les capacités de nos systèmes d'éducation, de santé et de la
pénurie de logements. Mais le fond de la pensée des tenants de cette mouvance
c'est quoi au juste ?
Se peut-il que le naufrage démographique présumé du Québec
induit par la forte immigration présente au Canada, menaçant du coup le poids
démographique et la force du Québec dans ce pays, servent mieux les intérêts de
la rhétorique de celles et de ceux qui veulent que le Québec devienne un pays ?
Derrière des propos du député Pascal Bérubé qui a jugé bon de qualifier Michael
Sabia d'Ontarien, ne retrouve-t-on pas une forme de nationalisme tribal qui
fait qu'un vrai Québécois ne peut-être un Canadien ? Que fait monsieur Bérubé
de Québécois francophones de souche qui, comme moi, se disent à la fois
québécois et canadiens ? Sommes-nous à nouveau des traîtres à la nation comme
au temps du référendum de 1980 ?
La mouvance nationaliste, à laquelle nous pouvions associer la
Coalition avenir Québec jusqu'à cette dernière semaine, diffuse une rhétorique
peu propice à ce que nous soyons vraiment une société accueillante et ouverte
au monde. Le discours sur l'immigration de la frange nationaliste de notre
société est peu approprié pour celles et ceux qui croient comme moi que les
nouveaux arrivants sont une grande richesse pour notre société et non pas une
menace à notre identité et à notre cohésion sociale. Il faut que le
nationalisme québécois se conjugue au pluralisme national plutôt qu'au refuge
identitaire.
Gérard Bouchard et
l'histoire nationale
Dans un essai publié récemment consacré à la réhabilitation de l'histoire
nationale, le sociologue et historien réputé Gérard Bouchard nous livre sa
pensée sur un sujet très difficile soit celui de réconcilier le nationalisme
québécois avec le pluralisme national en incluant les minorités qu'elles soient
genrées, racisées ou sociales. Cet intéressant argumentaire du sociologue
plaide pour un nouveau nationalisme qui reposerait sur le rapprochement
interculturel par la production d'une histoire de croisements. Bien sûr, la
question des peuples autochtones demeure en suspens, car ils furent les
premiers à arpenter et à occuper le territoire de nos appartenances.
L'histoire nationale demeure à ses yeux une
solution à mettre en œuvre pour bâtir une société québécoise inclusive : « En
tant que productrice de savoir et de sens, l'histoire nationale demeure plus
que jamais un lieu de rapprochement interculturel, un foyer d'échanges et de
réflexion sur le passé, le présent, en même temps qu'une source de réflexion
sur les valeurs et les idéaux que les citoyens désirent promouvoir ensemble. En
ce sens, elle se pose comme un important outil d'intégration de notre société et
comme une source de mobilisation civique et culturelle. Elle ne peut toutefois
remplir ces rôles qu'au prix d'une vision de la nation qui accorde à toutes ses
composantes les mêmes droits. » (Gérard Bouchard, Pour l'histoire nationale. Valeurs, nation, mythes fondateurs,
Montréal, Boréal éditions, 2023, p. 107)
N'en déplaise aux nationaleux, les droits individuels sont des
lieux importants de notre capacité à faire preuve de capacité d'accueil envers
celles et ceux qui font le choix de s'établir chez nous. La querelle des bouts
de chiffons n'est pas exemplaire de notre capacité d'accueil.
L'exsangue opposition de
Plamondon et des deux mousquetaires
Bref, le gouvernement Legault fait un pas dans la bonne
direction avec son document de consultation sur l'immigration, mais la
tentation est encore forte au sein de la mouvance nationaliste de faire des
immigrants un problème plutôt qu'une solution. La ministre Fréchette semble
faire progresser son gouvernement vers un horizon plus propice à nos intérêts
comme nation distincte en Amérique du Nord. Il reste à espérer que les démons
nationaleux auront été exorcisés pour de bon de l'organisme caquiste laissant
ce terrain à l'exsangue opposition de Paul St-Pierre Plamondon et de ses deux
mousquetaires.
L'immigration est une richesse pour le Québec et ses régions.
Les nouveaux arrivants insufflent un vent nouveau dans ses rangs et le Québec
doit comprendre que son avenir passe par sa capacité d'accueil et
d'intégration. Le gouvernement Legault vient de mettre la table à ce joyeux
festin même s'il choisit de reculer pour mieux avancer...