Des fois, j'ai le goût de me replier sur moi-même. Le goût
de me répéter toutes sortes de phrases positivo-positives et dont Facebook
regorge. Vous savez, les « N'attendez pas d'être heureux pour sourire. Souriez
plutôt pour être heureux! » ou encore « Si la vie t'offre du temps,
c'est pour que tu en profites, pas pour que tu le perdes. »
Le genre de phrases qu'on lit, qui nous attendrissent un
peu, le temps de dire « C'est donc vrai » puis le temps de se rendre utile
en cliquant sur « Partager ». Le sentiment du devoir accompli est
bon. On a transféré la phrase, notre bout est fait, puisse-t-elle continuer à
répandre sa dose de bonheur.
Et on ressaute dans notre quotidien sans même se demander ce
que ça veut dire « ne pas perdre son temps. »
La frivolité de la chose me surprend toujours. Mais bon, qui
suis-je pour juger du bien que ça peut faire pour vrai?
N'empêche que des fois, j'ai vraiment le goût de juste me
replier sur moi-même. Surtout après des journées comme vendredi dernier. Un
premier acte terroriste mène à une explosion majeure (précédée de la décapitation
d'un homme d'affaires...) et un deuxième se solde par l'assassinat de plusieurs
touristes étendus sur une plage en Tunisie.
À quoi bon continuer de parler, de réagir, de prendre
position, de m'intéresser un tant soit peu? Autant apprécier ce que la vie m'a
donné et à en profiter pleinement en me disant que les autres, là, loin
là-bas, ben, qu'ils fassent comme moi et qu'ils lisent des belles phrases sur
Facebook!
Vous avez encore le goût de lever le bras et de
crier « je suis Raif! », vous?
Surtout que Jeff Fillion a réglé son cas en ondes, le traitant
de cave au passage, avec comme seul argument qu'il savait comment les choses se
passaient là-bas, alors, il est cave d'avoir écrit contre le système. Qu'on le
fouette, il ne mérite que cela!
Écrire une chronique, c'est comme faire de la radio :
c'est un privilège. Quand les principaux arguments tiennent à deux
« sacres » et un traitement de « cave » répété, on se tient
pas mal loin de l'exercice d'un privilège.
Mais, je reviens à ma question : « Vous êtes
encore Raif, vous? »
Moi, oui. Clairement. Je nous trouve ridicule, comme pays,
de ne pas intervenir auprès du gouvernement saoudien. Et ne me dites pas que ça
ne nous concerne pas! Quand on fait du commerce comme on le fait avec l'Arabie
Saoudite, on est en droit d'exiger un minimum au niveau des droits de la
personne.
Et dire que Raif n'avait qu'à se la fermer, c'est comme dire
qu'il fallait aussi fermer nos gueules, à l'époque de l'esclavage aux
États-Unis. Après tout, on savait très bien que c'est de même que ça se passait,
aux États, à ce moment de l'histoire!
J'ai souvent le goût de juste arrêter de m'intéresser aux
choses poches de notre monde. Qui suis-je, de toute façon? Et qu'est-ce que mon
petit geste peut changer?
Et je repense à la légende amérindienne du colibri qui
charriait, dans son bec minuscule, des gouttes d'eau puisées à la rivière et
qu'il déversait inlassablement sur un feu de forêt. Interpellé par d'autres
animaux sur le fait qu'il était con de croire qu'il allait éteindre le feu
comme ça, il a répondu : « Je ne veux pas éteindre le feu. Je veux
juste faire ma part. »
Et c'est le devoir, me semble-t-il, de quiconque a reçu
assez dans sa vie, de faire sa petite part. C'est aussi un privilège de vivre
dans les conditions dans lesquelles nous vivons.
Pour conserver un privilège reçu, il faut s'arranger pour le
mériter.
Clin d'œil de la semaine
Le vieil adage dit : « Il y a tant de niaiseries à
dire dans une journée ». Jeff Fillion fait sa large part...