Je ne sais pas pourquoi. Je ne suis pas un expert du comportement humain en société, mais quand même. Je vois et j'entends, comme vous tous.
Nous vivons dans un monde douillet. Vraiment. Si vous lisez ceci sur le Web, c'est sûrement que vous avez un domicile fixe, des biens, plus ou moins essentiels. Beaucoup de biens, en fait! Bref, une petite vie à vous où tout ne va pas si mal.
Dans ce contexte, elle vient d'où, la rage? Qu'est-ce qui nous fait perdre notre contenance aussi facilement? Qu'est-ce qui nous enrage tant? Qu'est-ce qui fait que nous avons le réflexe de punir l'autre de façon exagérée pour un geste malhabile?
Je ne sais pas trop. Mais de la rage, il y en a!
Monsieur A roule sur l'autoroute 10, direction Montréal. Il dépasse un camion, puis une voiture. Au moment de se replacer dans sa voie, vers la droite, il estime mal la distance entre sa voiture et celle de Monsieur B. Pour dire vrai, il lui coupe le chemin un peu fort. Un geste potentiellement dangereux, j'en conviens. Je ne sais rien des intentions de Monsieur A. Mais il y a fort à parier qu'on parle ici d'une simple mauvaise manœuvre.
Monsieur B trouve que la voiture est passée bien près de la sienne. Il klaxonne. Non. Il kkkkkkkkllllllllaaaaaaaaxxxxxxxxooooooooooooooooooooooooooooooooooonnnnnnnneeeeee! Puis, sans trop regarder ce qui s'en vient, il se tasse à gauche pour dépasser Monsieur A. Au diable les clignotants, la situation commande l'urgence... Au moment où les deux voitures sont côte à côte, Monsieur B a les bras collés au plafond de sa voiture et injurie l'autre sans ménagement, le tout en regardant, parfois, en avant. Puis, il complète le dépassement et coupe la route à la voiture de Monsieur A dès qu'il le peut. « Tiens, mon hostie, ça t'apprendra, criss de cave! » Et Monsieur B continue sa route. Mais il voit rouge. Il n'est pas satisfait. Il ralentit. Volontairement. Il souhaite que Monsieur A soit obligé de ralentir. « M'as te montrer à réfléchir, gros criss... », se dit Monsieur B. Monsieur A ralentit et, contre toute attente, prend la première sortie, semant ainsi Monsieur B qui ne décolèrera pas avant la destination finale de son trajet.
Vous aviez peur que je vous décrive un accident causé par la rage au volant? Non...
De toute façon, il y a bien plus de rage au volant que d'accidents reliés à la rage au volant.
Ma question, à moi, c'est la suivante : « Pourquoi tant de rage? »
Autre exemple, mais sans volant, cette fois.
Un couple est attablé au restaurant. La serveuse vient les voir. Elle est visiblement à la course.
« Il y a beaucoup de monde ce soir! » s'exclame le client.
« Oui, pis il y a un groupe de mototouristes pas reposants... Moi, les mototouristes, j'ai de la misère avec ça...», répond-elle.
Visiblement, elle n'avait pas remarqué que le couple arrivait en moto. La réponse est niaiseuse, j'en conviens. Un jugement de valeur qui est gratuit, sans fondement et, potentiellement offensant.
L'homme ne dit rien sur le coup. Mais, dès que la serveuse a tourné les talons, il éclate : « Tu parles d'une conne de venir cracher sur notre argent? » lance-t-il. « De toute façon, poursuit-il sans même regarder la réaction de sa conjointe, c'est juste une petite conne qui ne sera jamais capable de se payer une moto de toute sa chienne de vie avec son salaire de crève-faim! Une jalouse, tiens, c'est ça, une criss de jalouse...»
Ma question demeure : pourquoi toute cette hargne, cette colère démesurée? Pourquoi ce besoin de détruire l'autre? Le besoin de tuer une mouche avec un bazooka?
Un simple petit « Nous sommes des mototouristes, mais on va essayer d'être fins... » et la serveuse était cassée, pour reprendre l'expression de Brice de Nice...
Les situations où la rage frappe sont nombreuses. Dans les bouchons de circulation, dans l'attente pour payer à l'épicerie, dans la file au guichet automatique... Parfois, ça se transpose sur les médias sociaux, lorsque quelqu'un n'est pas en accord avec un commentaire. Ou dans ces émissions d'affaires publiques à la radio et lors desquelles l'animateur diminue autrui pour susciter une réaction et, finalement, affirmer que « là, on se dit les vraies affaires! »
Une rage qui me trouble.
Il vient d'où ce réflexe du moi, je suis correct et tous les autres sont des cons?
Il vient d'où ce réflexe d'écraser l'autre à la puissance 10?
Une rage de bébé gâté qui ne sait plus ce qu'il veut, à qui l'on doit tout et qui ne doit rien à personne?
Je ne sais pas d'où ça vient, mais je me dis qu'un jour, ça va mal finir.
Clin d'œil de la semaine
Je regarde l'enragé en me demandant : « Mais qu'est-ce que ça va être quand ça être grave? »