Dans les deux prochaines semaines, nous serons appelés à célébrer tour à tour, comme c'est la tradition chez nous, la Fête nationale du Québec et la fête du Canada. Pays complexe aux appartenances multiples, le Canada est notre pays. Le Québec dans la frileuse insécurité de son histoire célébrera aussi sa fête nationale. Deux appartenances, deux fidélités qui tout au long de notre histoire commune sont souvent entrées en collision et ont donné lieu à l'existence de récits différents de notre expérience du passé.
Se souvenir, se remémorer notre passé commun n'est pas chose aisée. Nous sommes des collectivités nationales enfermés dans la même maison. Qui plus est, il serait faux de croire que notre expérience commune du passé ne se traduise que par l'histoire de deux peuples fondateurs. Nous sommes passés d'un narratif binational à un récit plurinational. De nos jours, comment peut-on penser le Canada sans y inclure les nations autochtones, les Acadiens et les Québécois entendus comme tous les habitants du territoire du Québec adhérant à une culture majoritaire francophone ayant des institutions particulières comme le Code civil ? À l'aube d'une élection fédérale et de nos fêtes nationales, c'est un moment privilégié pour réfléchir aux questions fondamentales que sont : d'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Quelques réflexions existentielles sur le Québec et le Canada en 2019. Première partie...
Le Québec apaisé
Je suis d'avis que le Québec de l'été 2019 est un Québec apaisé. Cela est lié au résultat de la dernière élection québécoise qui a donné un nouveau gouvernement issu de la Coalition avenir Québec dirigé par François Legault. Pour la première fois des cinquante dernières années, le gouvernement du Québec est issu d'une autre formation politique que le Parti libéral du Québec ou le Parti Québécois. Deux formations politiques qui ont poussé jusqu'à ses limites extrêmes l'opposition entre fédéralistes et souverainistes, au point où les gens ne veulent plus entendre parler de politique dans ces termes binaires opposés et où le simple fait d'évoquer l'idée de la tenue d'un référendum est devenu suffisant pour faire basculer les intentions de vote. Pourtant, un référendum c'est un exercice démocratique légitime.
Pour la première fois depuis longtemps, dû au talent particulier du premier ministre actuel François Legault, la population a l'impression que quelqu'un gouverne en son nom. Ce n'est pas rien. Prenons comme exemples la question du port des signes religieux pour les personnes en autorité, le projet de loi 21, ou la question de l'immigration ou encore l'assainissement de nos mœurs politiques, dans tous ces dossiers, le gouvernement caquiste de François Legault charrie avec lui la perception qu'il gouverne au nom de tous et du bien commun. Pour le moment, on n'entend pas que l'on ne peut pas agir, car c'est contraire aux chartes des droits, que nous vivons dans une économie mondialisée et que les règles internationales interdisent de prendre des actions énergiques pour répondre aux préoccupations de la population sur tel ou tel enjeu.
Bien entendu, il y a beaucoup d'impressions dans cela. Nous sommes toujours liés à de nombreuses ententes internationales, redevables à un cadre étatique, le Canada, qui est lié par sa signature à de nombreux traités internationaux et surtout une économie bien fragile eu égard aux règles du jeu d'une économie mondialisée trop souvent aux mains d'entreprises qui se comportent comme de véritables prédateurs sans conscience sociale. Le meilleur exemple est bien sûr l'incurie de tous les gouvernements de la planète à l'égard de la question de la lutte aux changements climatiques. Quoi qu'il en soit, nous avons depuis octobre dernier un gouvernement qui parle en notre nom au Québec. C'est ce qui explique, à mon sens, le haut taux de satisfaction de la population à l'égard du gouvernement caquiste de François Legault.
Illusions ou réalités ?
La loi 21
Tout cela n'est cependant qu'illusions. La réalité va tôt ou tard nous rattraper. Par exemple, cette idée de bannir les signes de religieux pour les personnes en autorité. Le fameux projet de loi 21 qui a fait l'objet d'un bâillon et qui fait appel à la clause dérogatoire que nous permet la constitution canadienne. C'est tout de même une drôle d'idée quand on y pense sérieusement. Comme si les signes religieux étaient un réel problème dans notre vie quotidienne. Je sais que les accommodements religieux demandés bien souvent par des membres de la communauté musulmane et la communauté juive ont mis en colère les gens. Soudainement, une population dont les droits nationaux dans un pays canadien multiculturel ne sont pas reconnus s'est révélée par une insécurité qui s'est traduite par un sentiment légitime : « On est quand même chez nous ici. À Rome, on fait comme les romains ». Des expressions populaires qui tout en indiquant un certain ras le bol témoigne surtout de notre insécurité maladive de ne plus avoir de chez-nous, d'être en quelque sorte dépossédé de notre coin de pays. Cette insécurité nationale est une dérive des rendez-vous manqués avec le Canada pour nous doter d'un nouveau cadre constitutionnel.
L'insécurité maladive présente au Québec mène à des consensus douteux qui viennent enlever des droits à des minorités dont on devrait pourtant se faire les champions. Nous sommes nous-mêmes une minorité donc, bien à même d'en comprendre d'autres. C'est pourquoi la guerre des bouts de chiffons, comme j'aime appeler le débat sur la laïcité au Québec, nous a menés à adopter une loi qui à bien des égards sera inutile. Le principal mérite de cette loi c'est qu'elle contribue à l'apaisement, mais cela à terme, ne se révélera qu'illusions.
La loi 9
Autre débat qui se révélera une illusion, est celui qui a cours au sujet du nombre d'immigrants acceptables pour le Québec. On se souvient du « en prendre moins, mais en prendre soin » du discours électoral de la Coalition avenir Québec. D'un côté, on présente l'immigration comme une panacée contre les problèmes de pénurie d'emploi. Les entreprises et organismes patronaux ne cessent de répéter l'importance d'avoir des immigrants pour combler les besoins des entreprises afin de leur permettre de soutenir leur croissance ou de simplement maintenir leurs activités actuelles. De l'autre, des ténors de la mouvance nationaliste qui s'inquiètent de l'avenir de la nation québécoise si l'on ouvre trop grandes nos portes aux immigrants. La solution du gouvernement Legault a été de réduire le seuil de l'immigration les premières années pour mieux revenir au seuil actuel rapidement tout en réformant en profondeur les programmes avec son nouveau système ARRIMA qui était dans les cartons de l'ancien gouvernement libéral.
Ce débat aussi puise dans notre insécurité maladive. La question de l'immigration doit faire l'objet de débats, mais dans une perspective fort différente que celle qui prévaut aujourd'hui. D'ailleurs, l'étude de L'Institut du Québec, formé par le Conference Board et les HEC, dans ses simulations prouvent qu'il faudrait doubler le seuil d'immigration des dernières années juste pour maintenir le poids démographique du Québec au sein du Canada. (Kareem El-Assal, Daniel Fields, Mia Homsy, Simon Savard, Sonny Scarfone - Seuils d'immigration au Québec : analyse des incidences démographiques et économiques, Institut du Québec, 2019.) Ce qui s'avère peu réaliste si l'on prend en compte nos réelles capacités de mieux intégrer et de prendre soin des nouveaux arrivants. La question de l'immigration révèle elle aussi que nos débats sont phagocytés par notre incapacité de réinventer le Canada en respectant le caractère distinct de la nation du Québec.
Fêter le solstice d'été plutôt que la nation québécoise
Comme si cela n'était pas suffisant de vivre de l'insécurité nationale, nous pouvons ici et là retrouver dans l'actualité des maladresses qui viennent nous convaincre que la nation est en péril. La dernière de liste est cette idée de rebaptiser la Fête nationale du Québec, Fête du solstice d'été dans l'arrondissement du sud-ouest de Montréal. Au-delà de son côté anecdotique, ce que révèle cet épisode malheureux c'est le fait que l'intention dite expressément dans un communiqué de presse par le président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Benoit Dorais, c'est que cette fête soit plus inclusive. Ah bon. Fêter la nation québécoise ce n'est pas inclusif. On en entend de toute sorte...
Quoi qu'il en soit, je souhaite à toutes et à tous une bonne fête nationale. La semaine prochaine, je vous reviens avec la seconde partie de cette réflexion. Il sera question de la nécessité de réformer le Canada pour en faire une terre d'accueil pour toutes et tous. C'est là où nous en sommes dans le Québec-Canada 2019...