Retomber
sur ses deux pattes. L'expression est pleine et lourde de sens.
En fait,
c'est bien plus qu'une question d'efficacité, c'est une question d'équilibre.
Un équilibre qui permet d'avancer.
J'ai souvent
l'impression qu'on flotte bien plus qu'on ne marche dans notre monde de fou.
C'est peut-être pour cela qu'on ne s'est pas aperçu, au fil des mutations
modernes, qu'on a perdu une patte en chemin. Cette patte, c'est celle de la
responsabilité. Personnelle et sociale. J'ai souvent écrit que lorsqu'on a
adopté la Charte des droits et libertés,
on aurait dû compléter avec une Charte
des devoirs et responsabilités.
Je me
concentre sur un exemple simple, mais qui illustre bien.
Je suis
souvent surpris de constater à quel point la mauvaise foi gagne le citoyen
quand il a à justifier sa lenteur à réagir. L'exemple : on annonce, dans
les journaux, à la radio, sur le site Internet de la municipalité, sur le page
Facebook de cette même municipalité, parfois même dans l'Info-municipalité (distribué en mode porte-à-porte), qu'il y aura
une soirée d'information sur un projet X. Disons un édifice majeur qui
s'installe dans un secteur donné.
L'information
est publique. Il pourrait même y avoir référendum sur le projet, si tant est
que des gens se mobilisent minimalement. Le référendum n'a pas lieu et les élus
se prononcent en faveur du projet, même si les élus du secteur concerné
hésitent un brin, sachant ce qui s'en vient.
Un beau
matin, dans les journaux et à la télé, on voit émerger un solage immense.
Woops!
Le citoyen à une patte s'exclame, s'écrie, se rebelle! « Heille! Gang de
malades, ce bâtiment-là bloque ma vue. Arrêtez ça! Baptême, pourquoi on vote
pour vous si c'est pour nous jouer dans le dos? »
Le
citoyen qui saute sur place sur la seule patte qu'il lui reste, celle de ses
droits, est outré. Et sa mauvaise foi se décuple chaque jour.
« On
l'a jamais su! C'est dégueulasse! »
Bon...
On l'a
jamais su, c'est pauvre comme argument. Le projet a été annoncé sur plusieurs
plateformes. Plus que jamais auparavant, en fait. Internet, radio, journaux,
télé, porte-à-porte...
Rien n'y
fait, le citoyen unijambiste n'en démord pas : « Tu penses que j'ai
le temps de regarder tout ça, moi? Au prix qu'on paie les taxes, on a des
droits, pis là, ils sont bafoués! Pis lâche-moé avec votre Info-municipalité, c'est dans le Publisac pis moé, je le jette à
mesure qu'il arrive, faque, c'est quand même pas de ma faute! Là, il faut
arrêter le projet! »
En fait,
il faudrait que la municipalité engage des gens pour aller frapper aux portes
et pour parler à chaque personne. Remarquez que là, ça empiéterait sur la vie
privée, la sacro-sainte vie privée du vénérable citoyen. Il est bien plus
intéressant de jouer la victime que d'investir du temps à faire avancer les
choses au moment opportun!
Les
municipalités ne prennent pas que de bonnes décisions. Loin de là! Mais le fait
du désengagement généralisé du citoyen vient amputer le système démocratique.
Le citoyen à une patte fait en sorte que les élus (municipaux ou autres
niveaux) peuvent naviguer à leur guise, sachant que le désintéressement se
déjoue par des phrases bien choisies aux élections.
Tout
cela crée un déficit démocratique qui finit par nuire.
Je crois
vraiment qu'on a perdu une patte en chemin. Et je m'inclus là-dedans. Mais
comme on flotte sur le nuage de la rapidité et de la performance, on ne l'a pas
réalisé. Ça risque de faire mal quand on va retomber sur Terre. Quand on verra
que pour retomber sur ses pattes, ça en prend deux...
Clin
d'œil de la semaine
En
politique, il faut montrer patte blanche : celle qui s'assure de ne pas
bafouer les droits des citoyens. L'autre patte n'a pas à être aussi blanche,
elle n'est pas remarquée.