Le prolifique et talentueux auteur-compositeur et interprète magogois, Vincent Vallières , est devenu bien malgré lui la vedette des médias sociaux la semaine dernière au moment de la sortie de son nouvel album.
Des Fermontois et même la mairesse de Fermont n'ont pas aimé que le populaire musicien évoque dans les mots de l'une de ses chansons le concept de ville fantôme.
Dans Fermont, Vincent Vallières chante : « J'ai pris la job à Fermont. C'est tout ce qui me restait à faire. Y'avait plus d'ouvrage en ville. J'étais en train de devenir débile. La paye est bonne c'est vrai. Mais j'te jure que je m'ennuie au complet. Le soir cordé dans le mur. Comme un piquet de clôture. [...] J'espère que notre amour sera jamais comme ces villes fantômes. Abandonnées au nord à l'ombre. Comme tant de promesses oubliées. »
Une tempête dans un verre d'eau
C'est une tempête dans un verre d'eau. Comme si la création artistique devait s'inscrire dans le programme de relations publiques d'une organisation ou d'une région. Il y a quelque chose de maladif dans l'air du temps qui fait que l'on doive tout analyser au travers du prisme de la réalité et des intérêts des uns et des autres. S'il y a un lieu où l'on doive ranger sa croix et sa bannière, c'est bien dans le monde de la création et de la fiction. Il est révélateur de notre époque, où tout est perception et spectaculaire, qu'un milieu s'offusque des perceptions véhiculées à son endroit dans une œuvre artistique ou dans une œuvre de fiction théâtrale ou cinématographique. Cela tient à la spectacularisation du monde et à l'aplatissement des différences où tout le monde est si égal que l'on nie le droit de cité aux talents particuliers ou aux expertises pointues. Nous vivons à l'époque de la spectacularisation de notre quotidien.
La spectacularisation de notre quotidien
Ce phénomène est aussi palpable dans l'exercice de notre vie démocratique. De nos jours, il est de bon ton de critiquer les pouvoirs et les gens qui nous représentent. Même s'ils sont élus au suffrage universel, nos parlementaires fédéraux et provinciaux ainsi que nos élus municipaux et les institutions dans lesquels ils gravitent sont trop souvent perçus comme illégitimes. On se gouverne collectivement comme une société qui accuse les gens qui la représentent de crime de falsification de nos volontés collectives.
Cela signifie l'assujettissement de la politique et de ses acteurs à l'omnipuissance de la société du spectacle régie par ses oligarques post-modernes : les médias et son cortège d'experts patentés. Munis de leurs oracles sondagiers et de leurs certitudes jamais questionnables, ni questionnées, ceux-ci nous proposent une définition quotidienne du monde au travers du prisme étroit d'un spectacle écrit et réalisé par l'intelligentzia montréalaise. C'est ce que je peux caractériser par la « montréalisation des médias ».
Les médias acteurs plutôt que témoins :
Pour illustrer cela, prenons l'exemple d'une campagne électorale comme celle que vit en ce moment Montréal. Les médias créent l'événement et le commentent dans une mise en scène chorégraphiée à l'image d'un match sportif. Au départ, nous avons les concurrents. On suppute sur leurs chances. On identifie leurs forces et leurs faiblesses. À l'aide de sondages, on dessine la configuration politique du moment. Pour commenter, on fait appel à des experts et à des « joueurnalistes » c'est-à-dire d'ex-politiciens ou organisateurs politiques à la retraite. Puis, tout au long de la campagne électorale, les médias déploieront leur puissance pour imposer leurs enjeux de campagne. Ils réussissent la plupart du temps à les imposer grâce à la publication de nombreux sondages qui portés à l'attention du public viendront forger « l'opinion du moment ». Les commentaires recueillis sur les médias sociaux et commentés dans les médias traditionnels sont une autre façon de faire témoigner le bon peuple à prix quasi nul en lieu et place aux sondages d'opinion. Cela donne le même résultat.
L'opinion publique : tribunal populaire?
Le sociologue français Pierre Bourdieu a jadis écrit que l'opinion publique n'existe pas, entendant par là qu'un citoyen questionné, par téléphone, entre la poire et le fromage, n'avait que peu d'opinions au fond sur l'abolition des commissions scolaires, par exemple. Cela n'empêche cependant pas les résultats d'un tel sondage de « faire la une de votre journal le lendemain matin » et d'être considérés par les experts comme la vérité du jour. Même chose avec de nombreux commentaires recueillis sur les réseaux sociaux qui tels un ouragan s'abattent sur une cible à dénoncer au nom de notre bonne conscience. Le tribunal populaire est plus que jamais en vogue. On l'a bien vu avec les gens qui sont nommés à la Commission Charbonneau. Une fois nommés, ils sont coupables. Cela sans procès et sans avoir bien souvent eu l'occasion d'entendre la contrepartie.
Les médias, conteurs d'histoire
Dans ce spectacle désolant que nous nous offrons collectivement comme vie démocratique, les médias jouent le rôle de « story teller ». Ils nous racontent ce que nous sommes. Ils légitiment tout et rien selon ce qu'il y a de plus spectaculaire pour ouvrir leur bulletin de nouvelles ou encore pour farcir leur première page. Après tout, il faut vendre de la copie, non? Ce faisant, ceux-ci en confondant les genres entre nouvelles et commentaires, en légitimant tout et rien, en refusant de poser les vrais problèmes, en ne posant pas les vraies questions, ils ne jouent pas leur rôle si important dans une société démocratique. En versant dans la spectacularisation de notre quotidien, les médias sont en train de vider notre société de son essence démocratique.
Les gens de Fermont et la chanson de Vallières
Dans ce monde où tout est perception et spectaculaire, il n'est donc guère étonnant qu'une chanson puisse faire l'objet d'un tel tollé. Le spectacle prend le pas sur la réalité. Il semble que l'on ne puisse accepter comme aller de soi qu'un artiste puisse créer un imaginaire qui déforme le monde réel. Le fait que des gens de Fermont se sont sentis interpellés par une création de Vallières est compréhensible, mais ce qui l'est moins c'est l'importance que les médias ont accordée à ce phénomène. Convenons ensemble que l'histoire des médias valait beaucoup moins que la chanson...
Tweet de la semaine
« Le seul commerçant que je visite tous les jours n'est ni le boulanger, ni le crémier, ni l'épicier, ni le cafetier, mais le kiosquier ». - Bernard Pivot, Les tweets sont des chats, Paris, Albin Michel, 2013, p. 140
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