Au lendemain de la séance de
l'Assemblée nationale où tous les partis se sont ligués pour
faire le procès des propos du député de Québec solidaire de
Maurice-Richard à l'Assemblée nationale du Québec, Haroun
Bouazzi, le chef du Parti québécois, s'est fait analyste de la
chose politique. Il nous a alertés sur le danger que représentait
le wokisme pour la démocratie au Québec. Selon la Presse +, Paul
St-Pierre Plamondon a qualifié le mouvement wokisme
d'antidémocratique et il a affirmé que le Québec en avait
ras-le-bol de cette idéologie qui le divise et qui s'incarne
depuis plus de 10 ans dans Québec solidaire : « Le
wokisme est un mouvement, à proprement dit, antidémocratique, qui
refuse le dialogue et qui se sert de l'intimidation et de la
désinformation pour imposer son agenda. Et les gens sont tannés,
moi le premier. C'est incarné par Québec solidaire dans
l'ensemble de son œuvre depuis 10 ans ». (La presse+
mercredi 20 novembre 2024).
Précisant sa pensée, Paul St-Pierre
Plamondon affirme que : le wokisme comme étant « l'introduction
de plusieurs concepts de tout acabit », comme le « racisme
systémique », « le privilège blanc, l'écriture inclusive,
les safe spaces » et « la culture de la cancellation »,
notamment. Il y ajoute l'usage de « déformation des propos »,
de « désinformation pour créer un procès d'intention »,
puis, « l'utilisation des mots racistes, intolérants et phobe
pour contraindre l'adversaire au mutisme », et finalement, la
« victimisation ». (loc. cit.)
Avec tout le respect que l'on doit
avoir à l'égard d'un chef de parti qui prétend devenir notre
premier ministre, nous sommes un peu dubitatifs devant les
affirmations de Paul St-Pierre Plamondon. D'abord, ce n'est
jamais une bonne idée pour un politicien de devenir chroniqueur de
la chose politique alors qu'il participe au match. Cela laisse le
goût amer d'une charge partisane envers un adversaire menaçant.
Puis, c'est largement exagéré. S'il est vrai que l'on
retrouve chez Québec solidaire de nombreux partisans des thèmes
généralement défendus par les gens éveillés, il est faux de
prétendre que ce parti politique a le monopole du wokisme tout comme
il serait exagéré de faire de tous les nationalistes au Parti
québécois des adeptes du national-socialisme ou du régime de
Mussolini sur la base qu'ils sont des nationalistes. Les étiquettes
ne favorisent pas le dialogue entre gens intelligents. Il vaut mieux
chercher à réfléchir aux questions soulevées plutôt que comme
les idiots qui pointent la lune. Tentative d'élever le débat
autour du wokisme...
Le wokisme, ça mange quoi en
hiver ?
Récemment, Raphaël Canet et Léo
Palardy ont écrit un article fort instructif sur la question dans la
revue Possibles dans un numéro hors-série publié en
septembre 2022. Sous le titre : L'invention des wokes par
le nationalisme conservateur, le professeur au collégial Canet
et son étudiant Palardy font un lien entre le nationalisme
conservateur et la montée de l'étiquette woke dans le discours
politique. Ce qui n'est pas sans intérêt pour réfléchir à la
question à partir des propos de Paul St-Pierre Plamondon et des
excès langagiers de plusieurs membres du gouvernement de la CAQ sur
les réfugiés et sur les immigrants. Cela n'excuse pas totalement
les propos du député Bouassi, mais ça permet d'en comprendre
tout au moins le contexte.
Si je reviens à la définition de ce
qu'est un woke, je rappelle que ce terme qui n'a pas de charge
péjorative ne fait que décrire des gens éveillés aux injustices
sociales et qui réclament des actions des gens au pouvoir pour y
mettre fin. Le terme woke était une arme d'émancipation des
mouvements pour les droits civiques aux États-Unis pour contrer les
réminiscences de l'esclavagisme dans la société américaine. Il
a été réactualisé au profit du mouvement Black Lives Matter et
surtout dans le sillage de l'assassinat de George Floyd par la
police du Minnesota.
Chez nous ce sont les politiciens qui
ont réactualisé l'usage du terme pour s'en prendre à leurs
adversaires notamment le premier ministre Legault à l'endroit du
chef des solidaires, Gabriel-Nadeau-Dubois et maintenant Paul
St-Pierre Plamondon au lendemain de, appelons-la ainsi pour faire
bref, l'affaire Bouazzi. Les auteurs Canet et Palardy en concluent
que le terme woke a été inventé par le nationalisme conservateur
et est utilisé comme un homme de paille pour distraire la population
des véritables enjeux. « On préfère ainsi détourner
l'attention des véritables problèmes plutôt que de proposer des
solutions », nous disent-ils.
Pour ma part, je ne vais pas aussi loin
que Canet et Panardy, je trouve que les excès du discours d'une
frange gauchiste sont vraiment dommageables pour les idées qu'elle
défend auprès de la population. Il faut rappeler que la politique,
c'est l'art du possible et que l'on ne peut tirer sur la fleur
pour qu'elle pousse plus vite.
Le wokisme, dans son essence, vise à
éveiller les consciences sur des injustices historiques et
contemporaines. Toutefois, ces dérives peuvent entraîner des effets
contre-productifs sur le débat démocratique et la coexistence
pacifique. Pour en finir avec ces excès, il est impératif de
défendre la liberté d'expression tout en continuant à lutter
contre les inégalités. En rétablissant un équilibre entre
sensibilité sociale et discours pluraliste, nous pouvons aspirer à
une société où chacun se sent entendu et respecté, sans que le
dialogue ne soit étouffé par la peur de la réprobation.
La responsabilité des
acteurs dans la sphère publique
Il faut rappeler que le discours
public, où le vivre ensemble et l'acceptation de la diversité des
pensées, deviennent les fondements d'un avenir commun. En ce
moment, ce vivre-ensemble, notre capacité dialogique est heurtée de
pleins fronts par la montée de la droite et d'une forme de wokisme
radical qui se révèlent ensemble un défi pour tous les acteurs
présents sur la scène publique : politiciens, journalistes,
commentateurs, éditorialistes, professeurs et tutti quanti...
La démocratie québécoise, tout comme
celle d'autres sociétés occidentales, est en proie à des
tensions idéologiques croissantes. Parmi celles-ci, le wokisme et
les mouvements de droite émergents se distinguent par leur impact
sur le débat public et sur les valeurs démocratiques. Le wokisme
avec son accent sur la justice sociale et les identités
marginalisées et la montée de la droite qui prône un nationalisme
souvent exclusif constituent deux faces d'une même médaille :
celle du conflit qui peut potentiellement menacer les fondements
démocratiques du Québec.
Un autre exemple est la montée des
mouvements de contestation autour des questions environnementales et
sociales, qui, bien que souvent justifiées, peuvent parfois mener à
des limites à la liberté d'expression. Les manifestations contre
des personnalités jugées « non conformes » aux idéaux
progressistes sont fréquentes, à l'instar des incidents liés à
la culture de l'annulation (cancel culture). Ainsi, cette
volonté de créer un « espace sûr » peut parfois nuire au
débat démocratique et à la pluralité des opinions.
Parallèlement à l'émergence du
wokisme, le paysage politique québécois voit également une montée
de la droite, incarnée par des partis comme le Parti conservateur du
Québec (PCQ). Cette droite, qui s'appuie sur un discours
nationaliste et parfois populiste, tend à tirer profit des craintes
liées à l'immigration et à la sécurité culturelle. Des
discours comme ceux du chef de la CAQ, François Legault, sur
l'immigration et la défense de l'identité québécoise posent
des questions sur l'inclusivité du projet démocratique. Paul
St-Pierre Plamondon vient de s'inviter à la fête. Cela n'est
pas étonnant pour quelqu'un qui fait la promotion d'un
nationalisme et qui fait des Québécois de souche la racine de son
discours politique pour accéder è l'indépendance. Cette
polarisation entre la droite et la gauche et entre diverses visions
de l'avenir du Québec est une conjoncture parfaite pour mener à
une fragmentation du discours politique. Ce qui à terme menace notre
capacité à faire advenir des consensus démocratiques ou des
ententes sur les enjeux vitaux qui confrontent l'avenir de la
société québécoise. C'est là la plus grande motivation que
nous puissions avoir pour en finir avec le wokisme...