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L’asphalte de retour...

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La dernière semaine de la campagne électorale fédérale a donné lieu à un engagement spectaculaire de l'équipe libérale de Justin Trudeau. Ce dernier, brisant ainsi la tradition, s'est prononcé en faveur d'un déficit pour les trois premières années de mandat d'un gouvernement libéral au profit, entre autres, d'un programme d'investissement massif dans les infrastructures.

Ce programme d'investissement de dix milliards de dollars par année sur une période de dix ans vient replonger les villes canadiennes sous les projecteurs. Au-delà du mérite d'un programme d'investissement dans les infrastructures, ce type d'engagement remet en perspective le désir du Québec de choisir les projets d'investissements retenus sur son territoire. Dans une perspective québécoise, cela remet aussi sur la table les revendications de l'Union des municipalités du Québec (UMQ) à l'endroit du ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, pour une décentralisation des pouvoirs de Québec vers les villes. Sans le savoir, Justin Trudeau a ouvert une boîte de pandore avec son engagement sur les infrastructures. Problème de querelles de juridiction entre Québec et Ottawa en perspective avec pour toile de fond les revendications de l'UMQ à l'endroit de Québec à la faveur d'une plus grande autonomie des municipalités et villes du Québec.

Les villes : des créatures centralisées

Les municipalités et les villes du Québec sont des créatures du gouvernement du Québec. Durant la période coloniale qui correspond grosso modo au régime français au milieu du 19e siècle, le gouvernement local est vu avec méfiance tant par l'État centralisateur français que par l'État plus libéral anglais échaudé par les conséquences de la révolution américaine. C'est la croissance du phénomène d'urbanisation et l'afflux d'immigrants provenant de la métropole anglaise qui sera la source d'une forme d'autonomie pour les pouvoirs locaux.

Il faudra attendre les années 1830 pour qu'au Québec, les villes de Montréal et de Québec se voient octroyer des chartes. Celles-ci seront d'ailleurs suspendues dans la foulée des rébellions de 1837-1838. En 1840, on met en place un système de districts qui couvrent tout le territoire colonial. Un régime très centralisateur alors mis en place est soumis aux impératifs de l'autorité coloniale. Ce mode d'organisation est impopulaire auprès de la population. En 1845, il est remplacé par une nouvelle organisation qui fait place à la constitution de municipalités, de paroisses et de cantons qui sont décentralisés. D'autres législations viendront empiéter au fil des ans sur ces balbutiements de décentralisation. En 1847, on revient à une structure centralisée comme celle de 1840. Ce n'est enfin qu'en 1855 que nous aurons droit à une véritable réforme des pouvoirs locaux alors qu'une synthèse des modèles précédents est faite et qu'une loi, l'Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada, fixe les termes d'un compromis qui existe encore aujourd'hui.

C'est du moins l'opinion de l'historien Harold Bérubé qui a publié en 2014 un ouvrage fort intéressant sur les banlieues bourgeoises de Montréal de 1880 à 1939 chez l'éditeur McGill-Queen's University Press : 

« C'est en 1855 qu'une synthèse est faite entre différents modèles. La loi adoptée, l'Acte des municipalités et chemins du Bas-Canada, fixe les termes d'un compromis toujours opérant de nos jours. En 1867, la province de Québec hérite donc d'un système de gouvernement local mis en place à tâtons, par un gouvernement colonial réticent à laisser trop de pouvoirs lui filer entre les doigts. » (Harold Bérubé, Des sociétés distinctes. Gouverner les banlieues bourgeoises de Montréal, 1880-1939, Montréal, McGill-Queen's University Press, 2014, p. 48)

En clair, l'apparition du pouvoir municipal, si l'on se fie aux grands constats de l'historiographie sur le sujet ne sera pas une avancée démocratique comme les discours contemporains veulent bien nous le faire croire, mais plutôt comme une volonté d'assujettir les villes, de les intégrer et de les contrôler : « Le régime municipal serait avant tout un outil d'administration du territoire et de contrôle de la population imposé d'en haut, ayant pour but premier d'accroître l'efficacité et l'emprise des gouvernements coloniaux, puis provinciaux. Il est clair, que dans l'esprit du législateur, le régime municipal est un outil d'administration du territoire et non le fruit d'un quelconque altruisme démocratique ou d'un mouvement populaire en faveur du "local self-government". » (Loc.cit)

Depuis 1867, le monde municipal a connu plusieurs mutations et des développements singuliers ont pu naître à la faveur de la marge de manœuvre dont disposaient les notables locaux. Quoi qu'il en soit aujourd'hui, la question de l'autonomie municipale est criante d'actualité. Elle ne peut que le devenir davantage à la faveur de l'engagement de Justin Trudeau dans un nouveau programme d'investissements dans les infrastructures.

Les villes et l'autonomie

C'est un grand rêve pour plusieurs maires de nos villes de se voir octroyer plus de pouvoirs. Nous n'avons qu'à prêter attention aux discours des maires Coderre et Labeaume pour nous en convaincre.

Serait-il judicieux que les éventuels budgets consacrés aux infrastructures soient décidés localement plutôt que par les paliers supérieurs de gouvernement? Le rôle des gouvernements du Québec et du Canada devrait-il se limiter à décider des critères et de la répartition des budgets par régions administratives? Comment arbitrer les besoins entre grandes et petites villes? Pourrait-on accepter qu'un stade de baseball au centre-ville de Montréal pour garantir le retour des Expos soit prioritaire par rapport à l'accès à l'eau potable dans les localités amérindiennes du Québec et du Canada? Comment se prémunir contre la collusion et la corruption dans les milieux municipaux comme l'a malheureusement démontré la Commission Charbonneau ces dernières années?

Comme on peut le deviner, une autonomie plus grande de nos villes pose de nombreuses nouvelles interrogations. Sommes-nous équipés dans la plupart des villes pour y faire face?

Administration municipale ou gouvernement municipal?

L'une des premières conditions pour permettre une plus grande autonomie des villes est de s'assurer que les citoyennes et les citoyens prennent une plus grande part aux décisions qui les concernent. Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que les citoyens s'intéressent beaucoup à leurs affaires municipales. Le taux de participation aux élections municipales avoisinent les 45 % en moyenne au Québec. Bien sûr, les citoyens ont plus d'intérêt pour se mobiliser projet par projet, mais l'engouement n'y est pas pour l'administration de la chose municipale. Cela devra changer si l'on veut plus d'autonomie pour nos villes et nos municipalités.

Le passage obligé pour éveiller l'intérêt de la population citadine est de passer d'une administration municipale à un gouvernement municipal. Présentement, nous vivons un système hybride d'administration municipale avec des élections pour nos conseillers et le maire de la ville. Le pas supplémentaire serait de créer des partis politiques pour débattre de l'avenir de nos villes. J'évoque ici la nécessité de créer des partis politiques, non pas de créer des machines à faire sortir le vote sous le nom d'un parti.

Chez nous, à Sherbrooke, il y a un parti : le Renouveau Sherbrookois. Il serait intéressant que nous puissions en avoir d'autres pour débattre des enjeux de notre ville. C'est la seule voie qui permettra aux villes d'avoir de l'autonomie et de la vivre autrement que par le détour du retour de l'asphalte dans nos campagnes électorales...

Lectures recommandées :

Harold Bérubé, Des sociétés distinctes. Gouverner les banlieues bourgeoises de Montréal, 1880-1939, Montréal, McGill-Queen's University Press, 2014, 268 p.

Dans ce livre, l'auteur trace l'histoire de trois communautés suburbaines de Montréal, Westmount, Pointe-Claire et ville de Mont-Royal. On peut voir dans son récit l'émergence d'une identité locale dans la résistance de villes aux tendances attractives des villes-centres en matière de développement urbain. Au fil de son récit, on voit des sociétés distinctes émerger et se construire autour de politiques urbaines, d'identité collective et de résistance aux fusions du Centre. Ce livre montre clairement les origines de la démocratie municipale et de l'utilisation par les pouvoirs locaux de leur marge de manœuvre.


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