Le temps file. L'an dernier, un 1er octobre, les Québécoises et les Québécois étaient invités aux urnes pour se choisir un gouvernement. Ils ont fait un choix clair et retentissant. Ils ont mis fin à quatre longues années d'austérité libérale pour se donner un nouveau gouvernement en élisant 74 représentantes et représentants de la Coalition avenir Québec dirigée par François Legault.
En obtenant 37,4 % des voix exprimées, François Legault a pu former un gouvernement majoritaire. Le Parti libéral du Québec a pour sa part obtenu 24,8 % des voix et forme ainsi l'opposition officielle à l'Assemblée nationale. Le Parti québécois obtient 10 sièges avec 17,1 % et Québec solidaire, 10 sièges avec 16,1 %. Le taux de participation (66,45 %) est le deuxième plus bas résultat de l'histoire depuis 1927, soit les 91 dernières années.
Au soir de cette élection, le premier ministre Legault, qui ce soir-là était premier ministre désigné par le verdict populaire, avait déclaré : « qu'un gouvernement de la CAQ aura le cœur à la bonne place, mais les deux pieds sur terre. Dès demain, on va se retrousser les manches et on va travailler pour faire plus, pour faire mieux pour tous les Québécois. » Depuis lors, les enquêtes d'opinion publiées depuis cette élection d'octobre 2018 un fort attachement de la population du Québec au gouvernement Legault. La lune de miel se prolonge toujours et François Legault est le principal motif de cette réalité. Retour sur une année de gouvernance caquiste.
La personnalité et le style du chef
Le succès du gouvernement caquiste tient d'abord à la personnalité et au style du premier ministre, François Legault. Il a un style direct et franc et avec lui pas trop de tataouinages. Il n'hésite jamais à corriger le tir comme l'a appris à leurs dépens son ex-ministre de l'Environnement, Marie-Chantale Chassée et sa ministre Nathalie Roy qui s'est vue retirer le dossier de la langue après une performance très moyenne.
François Legault est accompagné d'une solide équipe de députés et ses choix au Conseil des ministres semblent en règle générale judicieux. Pour un parti qui n'a jamais formé le gouvernement, François Legault peut être fier de son équipe. Il est vrai qu'il peut compter sur des compteurs étoiles comme le jeune ministre Simon Jolin-Barette et de la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault, bien que son étoile ait un peu pâli ces dernières semaines.
Le premier ministre Legault et son gouvernement ont choisi d'incarner le nationalisme et l'adoption de la loi sur la laïcité est un symbole fort qui est en quelque sorte un pacte avec le Québec des régions qui est inquiet devant l'immigration et la diversité. Ce n'est d'ailleurs pas typique au Québec. Dans la plupart des démocraties occidentales, on observe des comportements électoraux forts différents entre les régions urbaines et rurales. Les États-Unis d'Amérique en sont une illustration éloquente.
La recette du gouvernement Legault
Qui dit lune de miel dit en même temps que le gouvernement Legault n'a pas commis trop d'impairs ou que ces derniers n'ont pas égratigné la couche de téflon de ce nouveau gouvernement. Le meilleur coup du gouvernement c'est en fait un grand coup de circuit, celui de se montrer au diapason de l'opinion publique québécoise. On sent que ce gouvernement a les yeux rivés sur des sondages internes et que toute son action cherche à s'inscrite dans les tendances dominantes porteuses de cette opinion publique surtout celle des régions majoritairement francophones du Québec. Par exemple, l'adoption de la Loi 21 sur la laïcité répondait au ras-le-bol des francophones du Québec concernant toutes ses manchettes et faits divers liés aux accommodements raisonnables. Pourtant, c'est avec une certaine légèreté que le gouvernement Legault a repoussé les arguments de celles et ceux qui s'inquiétaient des répercussions de cette loi sur la réputation du Québec à l'étranger et du sort que la majorité réserve à ses minorités. Encore fallait-il faire la démonstration que le port des signes religieux par des professeurs a vraiment un effet sur les élèves. J'ai jadis appuyé le principe de cette Loi non pas parce que je crois important de légiférer sur la querelle des bouts de chiffon, mais plutôt parce que j'avais la conviction que cela contribuerait à rassurer les Québécoises et les Québécois sur leur avenir en Amérique du Nord. Sur les questions de l'immigration, encore là, le gouvernement Legault a choisi de légiférer dans le sens de ses engagements électoraux en suivant la mouvance de l'opinion publique des régions, mais contre toute logique en lien avec les pénuries réelles de la main-d'œuvre dans toutes les régions du Québec.
La réforme du Fonds vert, le remboursement des trop-perçus d'Hydro-Québec, l'abolition de la réglementation de l'industrie du taxi et le rachat des permis des propriétaires-chauffeurs et les gestes forts que le gouvernement Legault entend poser en matière de protection de la langue, de l'abolition des commissions scolaires et des réformes annoncées des corps de police sont tous des sujets de la même eau : collés aux préoccupations et aux préjugés de la majorité. Si l'on peut dire que ce gouvernement gouverne pour satisfaire la majorité, on doit tout de même convenir qu'il ne fait pas preuve d'une vision qui viendra surplomber les vicissitudes de notre quotidien pour nous faire grandir tant comme société que comme individu. Il est vrai que gouverner est un fragile équilibre entre inspirer la confiance à la population tout en la faisant évoluer. La recette du gouvernement Legault tend plus à nous dire ce que l'on veut entendre plutôt que de nous amener à changer. C'est là son principal talon d'Achille.
Les vieux démons
Se coller au nationalisme traditionnel du Québec est porteur en ce moment. Le contraste avec le gouvernement Couillard est à l'avantage du gouvernement Legault. L'insécurité du Québec quant à son avenir national constitue un vecteur du discours politique québécois depuis fort longtemps. La difficulté que va un jour rencontrer le gouvernement de François Legault c'est que le fédéralisme canadien dans l'état actuel des choses n'est pas très accueillant à l'asymétrie ou à la vieille thèse des deux peuples fondateurs. D'ailleurs, la reconnaissance des premières nations a porté un coup fatal à la vision d'André Laurendeau et de Lester B. Pearson d'un Canada formé de deux peuples fondateurs. Devant l'incapacité chronique du Canada de reconnaître dans les faits la nation québécoise et d'accepter l'asymétrie comme principe de fonctionnement de l'État canadien, François Legault verra ressurgir ses vieux démons et; la souveraineté redeviendra un objet de débat au sein de la Coalition avenir Québec surtout que les anciens péquistes sont en forte majorité dans l'entourage de ce gouvernement Legault.
Les brèches à la cuirasse
Quoi qu'il en soit, François Legault a le gouvernail de la nation québécoise bien en main. Il semble capable de bien négocier les virages nécessaires pour maintenir son lien avec la majorité de la population. Il a deux grandes brèches à sa cuirasse. Le recul de son gouvernement sur la réforme du mode de scrutin et la lutte aux changements climatiques. Pour le premier sujet, on verra bien à l'issue de la prochaine élection fédérale le tort qu'aura causé à Justin Trudeau sa volte-face sur cette question. François Legault pourra en tirer des leçons. Le second sujet, la lutte aux changements climatiques est potentiellement plus dommageable pour le gouvernement Legault qui semble ne pas entendre les réserves des écologistes à l'endroit du projet GNL au Saguenay et son entêtement à réaliser un troisième lien dans la région de Québec. Nous verrons bien comment il négociera ces questions au cours de la prochaine année. Il est vrai qu'avec une opposition faible, François Legault peut savourer encore un moment sa place de roi de la montagne. Mais il ne devrait jamais oublier que tout ce qui monte redescend et que sa lune de miel avec le Québec risque un jour de prendre fin sans s'annoncer. C'est à ce moment que François Legault subira son vrai test de premier ministre.
C'est dans l'adversité que l'on reconnaît les vrais premiers ministres. Mais pour le moment, ne gâchons pas son plaisir et reconnaissons que la première année du gouvernement Legault fut l'année de François Legault...