Vous avez étudié en gestion? Alors, vous connaissez la clé de tout. L'essence même de l'entreprise. Sa raison d'être. Son ADN. Sa pertinence. Je parle de la performance.
La performance.
Le mot lui-même est grisant.
Vous lisez articles consacrés aux modèles d'affaires. Aux gens qui y oeuvrent. Qui réussissent. Ils sont là, au sommet de quelque montagne dont on ne voit jamais que le sommet. Peut-être s'agit-il d'un button, mais toujours est-il qu'ils sont au sommet.
Pourquoi?
Parce qu'ils performent.
Douce performance. Enivrante performance. Celle qui se matérialise par des bonis de fins d'étape ou d'année.
Je vous raconte l'histoire de Philippe. Phil pour les non-intimes.
Philippe s'intéresse aux communications depuis son plus jeune âge. Bon. Il a à peine plus de 30 ans. Mais depuis l'adolescence, il s'intéresse au fonctionnement des téléphones cellulaires, tablettes et ordinateurs portables. Il a suivi des cours, des séminaires. Il peut identifier les problèmes de ces machins et, le plus souvent, les réparer. Au fil des années à l'emploi du commerce qu'il l'engage, il a su se faire un réseau de connaissances enviable.
Il en a réparé, des trucs! Mais avec sa bouille et son entregent, le tout bonifié d'une solide capacité d'organisation, il a quitté l'atelier pour travailler, comme il aime le dire « sur le plancher ».
Il aime l'action.
En plus, je vous le donne en mille : il ne bullshit pas. Ou pas mal moins que la moyenne des ours!
Il dirige donc sa succursale.
Son grand coup de 2018? Il a détrôné une entreprise beaucoup plus importante que la sienne dans la fourniture d'ordinateurs, tablettes et cellulaires. Le genre de « deal » qui n'arrive pas souvent et dont l'aboutissement est lié à un amalgame de relations bien positionnées, d'un sens du timing exemplaire et d'un peu de chance, quand même. « Le genre de chance qu'on se fait nous-mêmes! », se plaît-il à croire et, donc, à répéter.
Cette année-là, la chaîne commerciale pour laquelle il travaille l'a bonifié monétairement de belle manière et l'a chaudement félicité sur le réseau de communication interne.
Une étoile est née!
Au congrès annuel, on le cite en exemple.
Y est hot, notre Phil!
Là, pourtant, il est au bout de son rouleau pas mal.
Pire, il est désabusé. L'étape qui le guette : la démobilisation.
Je vous explique.
La vente exceptionnelle (et ponctuelle) de centaines d'unités à une même entreprise a fait en sorte de modifier ses indicateurs de performance.
Donc, son objectif annuel inclut maintenant la vente exceptionnelle. L'indicateur principal détermine que le revenu brut au pied carré a presque doublé. Son boni de fin d'année en dépend. Mais pire encore : l'atteinte de son boni est une condition de maintien du lien d'emploi selon un autre indicateur de performance interne. Pourquoi garder quelqu'un qui ne peut pas rapporter suffisamment au pied carré?
Phil s'était bâti une bonne équipe. Qu'on se le dise, c'est le fun de travailler pour lui!
Mais disons-le ainsi : le fun ne paie pas l'épicerie à la fin de la semaine. Des offres d'autres entreprises faites à certains de ses employés mélangées à certaines situations particulières commandaient des ajustements de salaire. Mais ceux-ci ne correspondaient pas au tableau servant à quantifier et qualifier l'indicateur de performance des ressources humaines. Il a perdu trois joueurs importants.
La déprime le guette. Il n'a plus de plaisir à vendre ces bidules qui le passionnent. Ça ne fait plus de sens.
Et l'absence des trois joueurs a augmenté ses heures de travail.
Bizarrement, le nombre d'heures qu'il travaille n'est inclus nulle part dans les indicateurs de performance!
« Il y a quelqu'un d'autre qui va faire la job si tu ne le peux plus », lui ont dit ses patrons.
Cette histoire n'a pas de fin.
Philippe prend une bière, un soir, dans un restau tranquille.
Il travaille à la liste des indicateurs de performance de sa vie.
Aux dernières nouvelles, il avait commandé une deuxième bière.
Clin d'œil de la semaine
Philippe est directeur. Il regarde le tableau des performances à atteindre. Il ironise qu'il est devenu normal qu'on change un cadre quand le tableau ne tient plus dedans ...